Commission d'enquête sénatoriale sur les sectes : commentaire d'audition de la Direction générale de la Police nationale

Par le CICNS (avril 2013)  

Quatre représentants de la Direction générale de la Police nationale sont auditionnés : M. Patrick Hefner, contrôleur général, conseiller auprès du directeur général de la Police nationale, chef du pôle judiciaire, prévention et partenariat ; M. Christian Hirsoil, contrôleur général, sous-directeur de l'information générale ; M. Bernard Petit, contrôleur général, sous-directeur chargé de la lutte contre la criminalité organisée et de la délinquance financière à la Direction centrale de la police judiciaire ; et M. Frédéric Malon, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central de la répression des violences faites aux personnes (OCRVP) dont dépend la Caimades (Cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires). ».

« La Police nationale a toujours adopté une démarche pragmatique pour lutter contre les dérives sectaires. »

« Tout d'abord, elle a cherché à mieux cerner le phénomène sectaire, singulièrement dans le domaine de la santé : 50 % des affaires en traitement à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et concernant des sectes ont trait à la santé, 25 % à la Miviludes. »

« Second objectif : se doter d'outils de renseignement et de lutte les plus performants possibles. La connaissance quantitative et qualitative des sectes se fonde sur les renseignements qui remontent des structures locales. Ces données sont analysées et synthétisées par les services centraux, dont la fonction est également de maîtriser non seulement le droit positif mais aussi la jurisprudence, parfois fluctuante, afin de constituer un lieu de référence et d'expertise. »

Nous sommes au « pays où les sectes existent », les prémisses sont posées, immuables et rigides. Il y a une totale absence d’interrogation en amont de cette conviction établie comme réalité. S’il y a, comme annoncé, une démarche « pragmatique », elle s’exerce en aval.

« D'un point de vue statistique, le phénomène est difficile à évaluer : dans l'état 4001[1], établi en 1972, aucun des 107 index ne concerne les dérives sectaires (…). »

« La délégation aux victimes de la DGPN travaille en lien avec 104 associations d'aide aux victimes, notamment l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (Unadfi) et l'Alerte faux souvenirs induits (Afsi). »

« …La veille Internet est réalisée grâce à des mots-clefs. Une Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) donne également la possibilité aux internautes de signaler des dérives. »

« Les Renseignements généraux avaient participé à la réalisation d'un panorama sur les sectes dans les années 1990. En 1995, ils avaient fourni une étude identifiant 172 mouvements, à l'occasion du rapport parlementaire de MM. Alain Gest et Jacques Guyard, Les sectes en France, complété, en 1999, par un autre rapport parlementaire, Les sectes et l'argent - une constante sur ce thème. La Sdig a produit en 2009 un panorama des dérives sectaires. Ce document recense et décrit les méthodes des auteurs de dérives sectaires dans le champ de la santé. En 2012, nous avons suivi attentivement le phénomène apocalyptique : 100 notes ont été émises au niveau central, 800 au niveau territorial. »

« Nous suivons les thérapeutes déviants, dont la pratique n'est pas conforme aux prescriptions, les pseudo-praticiens, qui regroupent les escrocs et les personnes animées par le goût de l'emprise mentale et le pouvoir sur les individus - ressorts psychologiques fréquents dans les dérives sectaires. Nous suivons également les thérapies à danger pour des groupes de personnes qui impliquent une perte de repère et du libre arbitre. »

La démarche pragmatique s’égare. Nous entrons dans un domaine où l’on suppose des intentions, des vécus  aux uns et aux autres (ces personnes seraient « animées par le goût du pouvoir », il y aurait « une perte de repère et de libre arbitre »).

« Les signalements proviennent des associations de défense des victimes : Adfi, CCMM, Info-sectes... Les signalements directs auprès des services départementaux d'information générale augmentent, particulièrement de la part des familles ou d'amis inquiets. Même si les plaintes d'adeptes sont rares, certains arrivent à se défaire de la pression exercée sur eux (…). »

La tautologie fonctionne pleinement : ils sont dans une « secte » parce qu’ils sont sous emprise et c’est une « secte » parce qu’ils sont sous emprise.

« Nous procédons par des mots-clefs qui criblent le flux Internet : noms de sectes ou termes scientistes ou pseudo-scientifiques. Cette veille est exploitée quotidiennement et transmise à la section sectes et dérives sectaires de la Direction. Lorsqu'une augmentation de flux est détectée, les bureaux des départements concernés sont informés. Les départements les plus touchés sont ceux du Sud, territoires riches et sensibles aux questions de santé. Là encore, nous produisons des notes d'information et alimentons la Caimades (…). »

« La Caimades peut diligenter des enquêtes, seule ou en cosaisine avec les services territoriaux de la PJ ou de la gendarmerie (…). »

« Les six enquêteurs spécialisés sont appuyés dans leurs investigations par deux psychocriminologues de l'OCRVP (…). »

« Depuis sa création, la Caimades, avec l'appui de l'ensemble des services de la police judiciaire, a traité une quarantaine de dossiers très divers (…). »

« Parmi les vingt dossiers en cours, plus de la moitié ont trait à la santé. (…). »

La Caimades a été créée en 2009. Quarante dossiers ont été abordés par six enquêteurs en 4 ou 5 ans : c’est une moyenne d’un peu plus d’un dossier par an et par enquêteur. Vingt dossiers sont encore en cours,  c’est moins d’un dossier par an et par enquêteur qui a été finalisé. Il semble que ce dispositif tourne tant soit peu à vide.

« En cas d'exercice illégal de la médecine, les avis du conseil de l'Ordre des médecins, pas toujours assez tranchés, sont peu utilisables par les enquêteurs. Autre difficulté, les adeptes ne s'identifient pas toujours à des victimes et peuvent protéger leur gourou. Ainsi, la Caimades a acquis désormais une grande expérience, et son travail est reconnu. La validation par les juges des enquêtes menées reste évidemment attendue avec impatience. »

Des plaintes s’expriment – le conseil de l’Ordre ne donne pas des avis assez tranchés, les adeptes sont d’accord avec leur « gourou », la validation des juges se fait attendre… – mais ne suscitent toujours pas d’interrogation sur la nature des présupposés de départ.

« L'article 223-15-2 du code pénal date d'une douzaine d'années : il est encore jeune. Son volet de droit commun, sur le délit d'abus de faiblesse, est assez classique, mais sur celui qui est plus spécifique aux dérives sectaires et porte sur la manipulation mentale, il y a très peu de jurisprudence pour nous éclairer sur la marche à suivre et pour confirmer si les stratégies d'enquête que nous mettons en œuvre sont les bonnes. »

« La décision rendue aujourd'hui à Lisieux nous conforte dans nos méthodes. Cette affaire est l'une des premières affaires traitées par la Caimades. »

« M. Bernard Petit. - La loi About-Picard est d'application assez récente, les premières condamnations commencent à tomber. Prenons le temps de l'évaluer, attendons que les recours en cassation aient abouti. »

La recherche d’une stratégie pour amener les juges à utiliser la loi About-Picard est explicite.

M. Yannick Vaugrenard. « (…) Souvent, des enfants sont en cause dans ce type d'affaires, et l'on observe même parfois des phénomènes de déscolarisation. »

M. Christian Hirsoil. « (…) Cependant, la déscolarisation n'est pour nous qu'un indicateur parmi d'autres. »

Sur ce point, la réponse du contrôleur général, sous-directeur de l'information générale,  va dans le sens de modérer la généralisation du sénateur : déscolarisation équivaut à « secte ».

L’impression générale est celle oppressante de personnes très convaincues de leur opinions, décidées à tout mettre en œuvre pour déployer une action répressive et  que rien ne remet en question : ni le faible nombres d’affaires au regard des moyens déployés, ni les hésitations de la justice, ni le choix affirmé de personnes qu’elles ambitionnent de « sauver ».



[1] 4001 Source administrative relevant les faits constatés (délits et crimes) par les services de police, de gendarmerie et la préfecture de police de Paris.

 

 

 

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