Rapport 2008 de Georges Fenech "la Justice face aux dérives sectaires"Un commentaire d'Éric BouzouLes mots en gras dans les citations du rapport de Georges Fenech proviennent du texte original
Georges
Fenech, le nouveau président de la MIVILUDES, a rendu public son rapport
destiné au Premier Ministre François
Fillon sur le thème : "La
justice face aux dérives sectaires". C'est le troisième
document officiel publié en 2008 sur le thème des sectes par les pouvoirs
publics, le premier étant le rapport
2007 de la MIVILUDES et le deuxième le guide
de la même mission à destination des collectivités territoriales. Au total,
près de 400 pages qui, ajoutées à celles des années précédentes, véhiculent
l’idée d'un véritable fléau social. Pourtant la gravité du problème
sectaire en France n'a pas été établie au moyen d'enquêtes ou de
statistiques mais en créant de toutes pièces le sentiment d'un danger
d'ampleur nationale. Il n'est donc pas surprenant que le rapport de Georges
Fenech, tout comme les précédents, arrive sur le bureau du Premier Ministre en
partant de ce postulat : le danger est réel et généralisé. La lettre
de mission de François Fillon accepte implicitement cet a priori. Emmanuelle
Mignon, ancienne Directrice
de Cabinet de Nicolas Sarkozy, ayant
testé les réflexes
de l'intelligentsia sur le sujet, a appris à ses dépens qu'il
ne fallait pas sortir du cadre de la pensée unique sur la question des sectes.
Quelques
éléments d’explication sont proposés dans un article
précédent sur les ressorts de la lutte antisecte en France.
Introduction (page 11)
Le
rapport de G. Fenech commence
ainsi : "Passés
maîtres dans une forme de tératologie de l’adepte, les dirigeants de
mouvements à caractère sectaire exploitent sans scrupule la moindre faiblesse
d’un individu, isolé à la suite d’une rupture familiale, professionnelle
ou encore frappé d’une maladie grave". Il démarre donc
avec une phrase partiellement incompréhensible pour le lecteur ordinaire qui ne
connait probablement pas le sens du mot "tératologie". Obliger
ce lecteur, dès la première phrase, à consulter un dictionnaire,
serait-il une façon de conférer artificiellement au document un
caractère « savant »
? Le Littré
donne la définition suivante de « tératologie »
: « Partie
de la pathologie dans laquelle se trouvent décrites et classées les
monstruosités ». Le décor est donc fixé pour près d'un citoyen sur 120,
puisque G. Fenech précise plus
loin, page 10 :
« La
société ne pouvait rester insensible à ce mal endémique qui touche quelques
500 000 de nos concitoyens ».
La deuxième phrase du rapport affirme :
« Présentes
dans toutes les couches sociales, tous les secteurs d’activité y compris les
milieux institutionnels, économiques, universitaires, juridiques, médicaux, éducatifs,
sportifs, ces organisations n’ont jamais cessé de proliférer. Certains
sectateurs occupent des postes clefs et mettent leur pouvoir et leur influence
au service d’une doctrine avilissante pour l’individu en se drapant derrière
les « nouvelles spiritualités » ». Cette description est digne des
mauvais scripts de films catastrophes hollywoodiens. Aucune preuve ni quantification de ces allégations ne sont fournies, même en référence.
Georges
Fenech mentionne page 10 : « Un
très large consensus de la classe politique française »
sur la question sectaire.
Il omet de préciser que le Ministère de l'Intérieur propose de
longue date et parfois publiquement une
analyse très différente de celle de la MIVILUDES et que les députés qui
s'occupent réellement de ces questions à l'Assemblée sont très peu nombreux.
Beaucoup d’hommes politiques sont prompts aujourd'hui à défendre une
« victime » même sans connaître le contexte précis qui la
projette sur le devant de la scène ; c'est un « placement »
électoral trop tentant. Le consensus de la classe politique sur la question
sectaire n'est en aucune manière la preuve d'une prise de conscience éclairée
sur le sujet. Les préconisations proposées
dans le Rapport sont, dans l’ensemble, loin d'être transparentes en termes
budgétaires et il est légitime de
s’interroger sur la fiabilité des circuits administratifs qui évaluent
la pertinence des dépenses publiques.
Le statut de la
MIVILUDES (page 13)
G. Fenech (page
13) souhaite adosser le statut de la mission à un texte législatif (plutôt
qu'à un décret) : « Une
loi pérenne aurait pour autre avantage de faire disparaître les craintes récurrentes
d’une dissolution de la Mission ou de son rattachement au seul ministère de
l’Intérieur ». Si l’existence d’un organisme
d'Etat est contestée, il est nécessaire d'étudier les raisons de cette
contestation au lieu de tenter de les gommer artificiellement par
le biais d’un texte législatif. Le vote d'une telle loi ne serait pas
un gage automatique de légitimité ; il est bien connu que les députés
se délestent souvent sur quelques parlementaires des sujets qu’ils ne
considèrent pas prioritaires, ce qui d'ailleurs pose la question de la
représentation démocratique au Parlement. Les textes votés sur la problématique
sectaire rassemblent un nombre très restreint de députés. Selon
G. Fenech, le statut juridique
« le plus
approprié reste incontestablement celui d’une mission rattachée au Premier
ministre ». La transformation en Autorité
administrative indépendante, prônée par « certains
parlementaires (...) serait de nature à laisser croire que l’Etat
pourrait se désengager de cette charge » et
« seules l’autorité et la légitimité du Premier ministre permettent
d’assurer l’efficacité de l’action des pouvoirs publics, au besoin par des directives contraignantes ».
Pourtant la HALDE
(Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité) et la CNDS
(Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité) sont des autorités
administratives indépendantes ayant un
pouvoir opérationnel effectif, reconnu et plutôt apprécié dans leurs
domaines respectifs. S’il leur est fait un reproche,
c'est bien de n'avoir pas suffisamment de moyens pour étendre leur capacité
d’action (cette insuffisance de ressources apparaît même critique pour la
CNDS qui semble avoir été victime de son succès et « sanctionnée » par l'Etat). Mais cette limitation en
ressources n’est pas liée à leur statut puisque G. Fenech demande aussi une augmentation de moyens pour la MIVILUDES. L'indépendance
n'est donc pas un gage d'inefficacité, ni un signe de désintéressement de
l'Etat. Un Etat démocratique mature est justement capable de s'appuyer sur des
organismes indépendants qui assurent un pluralisme de points de vue. A
contrario, n'étant pas mature sur la question sectaire, l’Etat français
centralise frileusement son action pour occulter toute voix contradictoire. Pour
sortir de cette ornière, le CICNS préconise de créer un Observatoire
indépendant des minorités spirituelles. G. Fenech souhaite
constituer un Conseil d'Administration de la MIVILUDES en remplacement du
Conseil d'Orientation actuel (page 15). Ce CA est censé ne retenir que les « personnalités
expertes dans leur domaine », dont sont exclus les sociologues
des religions ; la contribution de ces sociologues serait pourtant utile
puisque, selon le magistrat, les mouvements sectaires se draperaient « derrière
les nouvelles spiritualités » (page 11). Certes, des
universitaires ne se contenteraient pas d'affirmations, ils demanderaient des
preuves. Selon
G. Fenech : « La
lutte contre les dérives sectaires est un vrai enjeu politique, qui nécessite
l’engagement personnel du chef du gouvernement ».
S’agit-il d’un enjeu politique ou bien d’un enjeu « politisé »
pour des raisons qui ne seraient pas celles affichées ?
Pour
une intervention plus efficace du juge répressif (page 17)
G. Fenech expose dans
cette section les tenants et aboutissants de la loi About-Picard.
Cette loi (Source
Legifrance) permet de prononcer la dissolution de
« toute personne morale, quelle qu'en soit la forme juridique ou l'objet,
qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir
ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui
participent à ces activités ». Elle tend à
« renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires
portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales ».
Le
lecteur peut se reporter à l’article
de Patrice Rolland (CNRS-EPHE) pour une analyse de la genèse de la
loi About-Picard et à l’article
de Maître Pérollier pour une analyse du texte de cette loi. Que
le mot « tératologie »
employé dès le début du Rapport soit
un terme médical n'est pas innocent. Une des principales thèses des
activistes antisectes développe la notion d'emprise mentale du gourou sur
l'adepte. Le premier abuse sa victime, le deuxième ne se rend pas compte
qu'il est abusé. Ce mécanisme
toucherait, selon G. Fenech,
quasiment 1% de la population. Ces citoyens sont donc considérés comme déséquilibrés
et patients potentiels du système de soins officiel.
La
notion d'emprise mentale n’est pas maîtrisée et ne fait l’objet d’aucun
consensus de la communauté scientifique. Cette difficulté n'a pas arrêté le
législateur français qui a conçu la loi About-Picard à partir de la notion de « sujétion psychologique »
dont on ne se sait pas si elle est l’équivalent de l’emprise mentale.
Notons que l’expression « emprise mentale » a succédé à
« manipulation mentale », qui elle-même avait remplacé le concept
de « lavage de cerveau » (brainwashing en Anglais).
La France est le seul pays à disposer d’une loi aussi aboutie sur ce type de
délit. En sept ans, cette loi n'a
donné lieu qu’à une seule jurisprudence dans l'affaire
du Néo-phare (alors
que les dérives sectaires sont prétendument un des fléaux de notre société).
G. Fenech se désole de cette
sous utilisation de la loi : « La
raison tient sans doute dans la difficulté rencontrée par les magistrats
instructeurs insuffisamment formés, d’appréhender le concept même de sujétion
psychologique ». Les magistrats français ne sont
pas les seuls à connaître des difficultés puisque le Conseil de l'Europe
avait conclu que ces termes n’étaient pas définis. Maître
Laurent Hincker, lors d’un colloque organisé par le CICNS,
nous rappelle que : « Le Conseil de
l’Europe a toujours fait prévaloir qu’il ne fallait pas de loi spécifique
dans les pays européens concernant les sectes et que, dans tous les cas, s’il y avait quelque chose à faire, c’était
d’avoir des lieux d’information et de formation où soient prises en compte
de manière contradictoire les informations données non seulement par les
associations de victimes mais
aussi par les associations qualifiées de sectes elles-mêmes ». G. Fenech lui-même
se pose quelques questions : « Comment
en effet démontrer avec certitude que le consentement de l’adepte n’était
libre qu’en apparence ? » mais
sans remettre en cause les concepts pseudo scientifiques qu’il utilise.
Maître
Jean-Marc Florand, interviewé par le CICNS sur la loi About-Picard,
précise : « Tout le monde, à ce moment-là, fait de la
manipulation mentale. Donc je ne vois pas comment on pourrait spécifiquement
reprocher – sauf cas d’école, on trouvera toujours certainement un cas –
une infraction de manipulation mentale dans un mouvement sectaire. Cela
me paraît une infraction peu démocratique et dont on sait qu’elle a été très
en cours dans des pays autrefois qui ne brillaient pas pour leurs qualités démocratiques.
Donc je pense que c’est une mauvaise loi ».
G. Fenech poursuit
(page 20) son analyse en concédant : « Sur ces questions, la Mission a été amenée à constater que s’il n’existe aucune définition
juridique d’une « secte » il n’existe guère plus de définition
de la dérive sectaire à laquelle pourraient faire référence les
magistrats. ». C’est l’aveu que l’action des pouvoirs
publics s’effectue depuis toutes ces années sans que personne ne sache de
quoi il est question. Puis il ajoute : « qu’il est aujourd’hui admis que le principe de neutralité de l’Etat
à l’égard de tous les cultes et de toutes les croyances exclut de définir
légalement une « secte », qui reste une simple notion de fait ». La
loi de séparation de 1905 a 108 ans et G. Fenech admet, qu'aujourd’hui
seulement, l’Etat n’a pas
à définir ce qu’est une secte. C’est une appropriation très lente et bien
peu crédible de l’esprit de la laïcité française. S’agissant des dérives sectaires, G. Fenech
propose de diffuser « aux magistrats
du parquet pour attribution et aux magistrats du siège pour information un
guide juridique de la « lutte contre les dérives sectaires » explicitant
les quinze critères aujourd’hui parfaitement identifiés »,
et ceci sans qu’aucune validation indépendante et pluridisciplinaire de ces
critères n’ait été effectuée. Notons que la liste qu’il fournit est différente
de celle de la MIVILUDES,
ainsi que de celle de l’ADFI.
Constatons également qu’en quelques pages, la notion « d’emprise
mentale » s’est transformée en « déstabilisation mentale »
dans cette liste parfaitement identifiée.
Page
22, le Rapport préconise de
« créer au sein des pôles d’instruction économiques et
financiers une spécialisation dans le domaine des flux litigieux d’origine
sectaire ». En cette période de
sauvetage in extremis du système bancaire mondial, on aimerait qu’un zèle
particulier soit appliqué en priorité aux canaux « non sectaires »
de la finance dont il n’y a plus à démontrer les abus et l’absence totale
de moralité. Organisation de la police et de la gendarmerie (page 23) G. Fenech décrit dans cette section
la nouvelle organisation de la gendarmerie et de la police pour lutter contre
les dérives sectaires. « La
gendarmerie nationale a adapté son organisation interne tant au niveau déconcentré
qu’au niveau central pour une meilleure connaissance d’un phénomène protéiforme
et diffus sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin ». Un lieutenant-colonel assisté de trois
militaires spécialisés « est
devenu l’interlocuteur privilégié des correspondants des autres services de l’Etat
et en particulier de la MIVILUDES et de l’institution judiciaire. Plus
loin, le magistrat mentionne que
« la gendarmerie nationale souhaiterait
pouvoir exercer une surveillance plus systématique du réseau Internet, ce qui
nécessiterait de dégager des nouveaux moyens en personnel et en matériel ». Concernant la police nationale, « le 6 mai 2006, dans un souci de coordination et de
centralisation de l’information, l’Office central pour la répression des
violences aux personnes (OCRVP) s’est vu confier par décret « la lutte
contre les dérives sectaires constitutives d’infractions pénales ». Un
groupe d’enquêtes référent « sectes » composé de sept fonctionnaires et
militaires de la gendarmerie a été affecté à ce service ». A aucun moment,
G. Fenech ne mentionne les dérives de ces forces de sécurité et
la brutalité de certains assauts
policiers lancés contre des communautés spirituelles. Voir, à
titre d’exemple, les témoignages vidéos des membres du château
de la Balme et l’affaire
de l’Essentiel. La question de la formation
des unités de sécurité est soulevée par G.
Fenech ; il la souhaite équivalente à celle proposée à l'Ecole
Nationale de la Magistrature.
L’un des protagonistes de
l’affaire de l’Essentiel, citée ci-dessus, nous confiait les propos d’un
gendarme qui participait à l’enquête sur leur communauté : « Au
bout d’un moment, il m’a dit : « De toutes façons, ne t’inquiète
pas, le but est de détruire la secte et de raser Terranova ». Il m’a
montré un film qu’ils avaient fait sur un ordinateur où l’on me voyait,
moi et Peter Deunov, un Maître spirituel bulgare dans la lignée d’Aïvanhov
qui a été fiché justement par une commission parlementaire comme étant une
secte dangereuse. Ils
m’assimilaient à eux et on me voyait voler dans le ciel – donc un document
fait par des gendarmes – sur un tapis volant avec la musique d’Era. Il
m’a dit que ça avait été fait pour briefer tous les autres, pour leur
expliquer où ils allaient et que le but réel était de détruire une secte ».
Cet exemple montre que la formation des forces de sécurité nécessite
effectivement un sérieux toilettage. Elle doit avant tout appeler au bon sens,
au respect du contradictoire et au respect des personnes. Il n’est pas sûr
que la version actuelle de cette formation suscite ces qualités. A ce titre,
les responsables au sein de la gendarmerie et de la police pourraient utilement
s’inspirer d’un document
publié par le FBI décrivant comment interagir avec une communauté
spirituelle. Sensibilisation
du juge civil (page 27) S’agissant
du juge aux affaires familiales, les témoignages de personnalités du monde
juridique restitués par G. Fenech vont tous dans le sens d’une demande de spécialisation de
certains magistrats sur la problématique sectaire. Etonnamment, aucun témoignage
ne relate l’utilisation abusive de la peur sectaire pour obtenir gain de cause
dans une affaire familiale. C’est pourtant une réalité dont témoignent par
exemple trois
mères de famille et qui ne peut être éludée. S’agissant
du juge des enfants, G. Fenech se retrouve devant la problématique qu’il avait déjà
rencontrée lors de la commission
d’enquête parlementaire
« L’enfance volée »
qu’il présidait (2006) : « Force est de constater que sur une
population d’environ 60 000 enfants concernés à des degrés divers par la
problématique sectaire, seule une
centaine d’entre eux fait actuellement l’objet d’un suivi par les juges
des enfants. On constate même une diminution du nombre de signalements
concernant des enfants victimes d’une dérive sectaire ». Il poursuit en affirmant péremptoirement :
« Ce
chiffre à l’évidence est insignifiant par rapport à la réalité »
et préconise de « réactualiser l’enquête de 2003 pour connaître
le nombre précis de signalements de mineurs touchés par le phénomène
sectaire ». C’est sans
aucun doute la proposition la plus censée de tout le Rapport. Il reste à rendre publiques les conditions de conduite et
de dépouillement de l'enquête afin que la méthodologie utilisée puisse être
vérifiée, ceci d’autant plus que G.
Fenech annonce le résultat avant d’avoir les retours d'enquête. Sur France
5, le 3 octobre 2008, donc après la remise de son Rapport
au Premier Ministre, G. Fenech
affirmait que 80 000 enfants étaient directement menacés par des dérives
sectaires. En quelques mois, le chiffre a donc augmenté de 20 000 et les
enfants ne sont plus menacés « à des degrés divers » mais
« directement ». Il est probable que le magistrat adapte son
discours en fonction des interlocuteurs
mais, en tout état de cause, ces chiffres sont infondés, grotesques et
démontrent une grande irresponsabilité.
Ils participent à la désinformation qui entoure la question sectaire en France
et au sentiment de rejet que certains
souhaitent nourrir, au sein de la population, à l’encontre des minorités
spirituelles ou autres mouvements dits sectaires. Formation
des magistrats (page 33) En
supplément de la formation annuelle reçue sur les dérives sectaires à
l’Ecole Nationale de la Magistrature, G.
Fenech propose d’instaurer une formation en début de cursus.
Egalement, « des stages de sensibilisation à destination des auditeurs de justice
pourraient être proposés au sein des deux principales associations que sont l’UNADFI
et le CCMM, ainsi qu’auprès de la MIVILUDES ». Nous préconisons que tous les auditeurs de justice
prennent connaissance des informations contenues dans notre site et visionnent
notre documentaire : « 120
minutes pour la liberté spirituelle ». Le CICNS est également
prêt à faire des conférences-débats sur le sujet à l’Ecole Nationale de
la Magistrature. Ces préconisations s’appliquent aussi aux correspondants
« dérives sectaires » au sein des parquets généraux dont le rôle
est, comme le précise G.
Fenech «
d’assurer une coordination au
plan régional de l’action publique avec celle des autres services de l’Etat
en la matière ». La question sectaire n’est pas réduite à la vision
qu’en donnent la MIVILUDES et les associations antisectes. C’est à travers
des sources d’information multiples que les futurs magistrats, indépendants
faut-il le rappeler, pourront correctement appréhender la situation. Prémunir l’administration pénitentiaire du prosélytisme
sectaire (page 37) G. Fenech s’en
prend principalement dans cette section aux Témoins de Jéhovah et à la Scientologie.
Le magistrat précise : « Les Témoins
de Jéhovah ont déposé à plusieurs reprises des demandes d’agrément en
tant qu’aumôniers de prison, sans obtenir satisfaction, en raison du risque
de prosélytisme. Toutefois, face à ce refus, l’administration pénitentiaire
a été condamnée à plusieurs reprises par les tribunaux administratifs ».
Il cite également Monsieur Claude d’Harcourt, directeur de l’administration
pénitentiaire, lequel « a indiqué
à la Mission que pour se
conformer à cette jurisprudence administrative, tout en se préservant des
risques de prosélytisme, il est envisagé de créer un statut intermédiaire de
« visiteur cultuel » sans tous les droits d’accès réservés aux aumôniers
agréés ». Ce propos illustre la laïcité à géométrie variable
telle qu’elle est pratiquée en France au mépris des décisions de justice et
du texte de la loi de 1905 (voir la situation diamétralement opposée au Canada). Promouvoir
le rôle des associations de victimes (page 39) G. Fenech rappelle
que ces associations de « défense
contre les sectes » ont obtenu
en juin 2000 le droit de « se
constituer partie civile en cas de commission de certaines infractions portant
atteinte aux droits de l’homme ». « À l’heure actuelle seule l’UNADFI
a obtenu l’agrément d’utilité publique. Le dossier administratif du CCMM
est en cours de constitution ». Les associations antisectes instrumentalisent les
pouvoirs publics depuis leur apparition dans les années 70 (ADFI).
Elles sont d’ailleurs à l’origine de la politisation de la question
sectaire en France (voir l’analyse historique de M.
Lionel
Mariani). Ces associations, financées par l’Etat, occupent une
place prépondérante dans le dispositif de lutte contre les dérives sectaires
en France (G. Fenech les prévoit
membres du Conseil d’Administration de la MIVILUDES) qui contraste avec
l’absence totale de représentation des groupes qualifiés de sectaires et
d’associations comme le CICNS.
Ce manque d’équilibre et de prise de recul dans l’analyse d’un phénomène
de société, au sein d’un organisme public comme la MIVILUDES, est la cause
de nombreuses discriminations (voir nos témoignages). L’approche partiale de ces associations n’a sans
doute pas échappé à certains observateurs au sein des pouvoirs publics
puisque G. Fenech relate
que : « les associations
rencontrées par la Mission ont déploré d’avoir été évincées des
nouveaux dispositifs émanant de la création des conseils départementaux de prévention
de la délinquance, d’aide aux victimes, et de lutte contre la drogue, les dérives
sectaires et les violences faites aux femmes ».
Le magistrat n’en reste pas là puisqu’il ajoute : « Face
à cette nouvelle situation peu satisfaisante, la Mission fera sienne
l’avis de Monsieur Paul Michel, procureur général près la cour d’appel de
Bastia, de créer au sein de chaque conseil départemental un groupe de travail
consacré spécifiquement aux dérives sectaires ». Accroître le rôle des
associations de victimes alors qu’aucune contribution contradictoire n’est
admise est inacceptable. G. Fenech précise :
« Il existe trois types de victimes de dérives sectaires : 1 – les adeptes
qui n’ont pas encore conscience d’être des victimes ; 2 – les ex-adeptes
qui ont besoin de beaucoup de temps pour se reconstruire et trouver la force et
les moyens de saisir la justice avant que la prescription de l’action publique
ne soit acquise ; 3 – les familles de victimes qui souvent ne portent pas
plainte car elles en sont dissuadées par les services d’enquêtes ou sont
refoulées par la justice faute d’intérêt direct à agir ». Cette catégorisation transforme implicitement 500 000
personnes en citoyens coupables ou victimes de dérives sectaires. C’est une
vision méprisante et intolérante d’une partie de la société,
qui se dissimule derrière une action de défense des victimes. Le CICNS a par ailleurs précisé
sa position sur la question des abus
au sein des minorités spirituelles. Pour
la construction d’une coopération judiciaire européenne (page 45) L’idée d’une extension du modèle français de
lutte contre les sectes à toute l’Europe a de quoi inquiéter. G. Fenech est actif dans ce domaine puisqu’il a récemment défendu
ce modèle (octobre 2008) auprès de M. Lenarcic, directeur du BIDDH (Bureau
des Institutions démocratiques et des droits de l'homme) à l'OSCE
(Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe). Dans son Rapport, le
magistrat précise qu’il souhaite voir la création « d’un espace juridique européen doté
d’un cadre législatif visant les activités illégales des organisations à
caractère sectaire » et d’un
« Observatoire européen sur les sectes » (page 47). En
deux lignes, les « organisations
à caractère sectaire » se transforment en « sectes ».
Pourtant, sur toutes les ondes, G. Fenech martèle qu’il ne s’intéresse pas aux sectes mais
aux dérives sectaires. Constatons qu’en France,
il n’y a guère que le Président de la MIVILUDES et les Ministres qui fassent l’exercice hypocrite de ne parler
officiellement que de dérives sectaires alors que les prétendues sectes sont
les véritables cibles. Fort
heureusement, l’Europe est sans
doute le cadre dans lequel la France sera rappelée à l’ordre, comme elle
l’est déjà si souvent pour cause de non respect des droits de l’homme. Il
est assez ironique d’imaginer que plusieurs Etats européens, qui ne se prétendent
pas laïcs, montreront à la France la voie vers un meilleur respect des choix
spirituels. Conclusion
(page 49) Selon
G. Fenech :
« le moindre fléchissement permettrait à tous les contempteurs de l’Etat
de droit et du respect de l’individu de regagner du terrain. Dans cette
action des pouvoirs publics, le juge « gardien des libertés » doit veiller
comme en tout autre domaine à préserver les droits essentiels que sont les
libertés d’association, de conscience ou de religion. Mais sous couvert de
respect de ces libertés, la réalité de la mouvance sectaire dissimule souvent
des atteintes graves à l’ordre public, aux personnes et aux biens ». Plus loin : « Je reprendrai pour ma part, en guise de conclusion à mes travaux, le vœu
même du Président de la MIVILUDES Jean-Michel ROULET : «
Puissions nous ne jamais nous tromper de victimes et continuer à répondre à
ceux qui appellent légitimement l’Etat
au secours ». J.M
Roulet et G. Fenech à sa suite
refusent de prendre en compte les dommages collatéraux de leur politique
sur de nombreuses personnes honnêtes et sincères qui n’aspirent qu’à
vivre en paix leurs choix spirituels. Séparer les bonnes des mauvaises victimes
est typique d’un système de propagande, comme le montre Noam Chomsky dans son
livre « Manufacturing Consent » (Editions
Vintage). Dans ces
conditions, prétendre protéger les « vraies » victimes et les
« vraies » libertés individuelles est une forfaiture. Le Rapport de G. Fenech n’est
pas différent, dans le fond et la forme, des documents publiés par la
MIVILUDES (le magistrat était membre du Conseil d’Orientation de la Mission
avant d’en être Président). A
défaut de disposer en France d’un véritable Observatoire indépendant des minorités spirituelles, il
est légitime d’attendre d’un organisme public comme la MIVILUDES : -
qu’il garantisse le
respect du contradictoire, au lieu
de privilégier les seules thèses des associations antisectes ; -
qu’il adopte une démarche
de connaissance pluraliste s’appuyant sur des faits étayés et non sur des
amalgames, des rumeurs et de la désinformation ; -
qu’il respecte l’esprit
de la laïcité française sans la travestir en une version autoritaire et intolérante ; -
qu'il s’attache à
promouvoir les règles de droit commun au lieu de préconiser une législation
spécifique et discriminatoire. Ces qualités ne sont pas présentes
dans le Rapport de G.
Fenech, pourtant haut magistrat, ce qui augure mal du fonctionnement de
la Mission Interministérielle
dans les prochaines années. |
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