PAS DE SECTES S.V.P, NOUS SOMMES FRANÇAIS !par Susan Palmer
Lors
d'un récent voyage de recherche en France, j'ai visité des communes et des
centres de méditations et j'ai interviewé des personnes qui se définissent
elles-mêmes comme étant dans une démarche spirituelle.
Tous
les groupes auxquels j'ai rendu visite sont inscrits sur une liste
gouvernementale de 172 « sectes », présumées dangereuses. Ils sont considérés
avec une méfiance détachée, au même titre que le seraient ici des bandes de
motards ou des cellules terroristes. En mai, la France a passé la loi
About-Picard qui criminalise les activités missionnaires et facilite la
dissolution des associations volontaires (voir également LA LIBERTÉ
RELIGIEUSE MENACÉE EN FRANCE, le Québecois
Libre, no 85).
En
tant que professeur de religions et chercheur sur les nouveaux mouvements
religieux (les NMR, comme nous, les universitaires, aimons les appeler), je peux
inviter des scientologues, des Hare Krishna et des moonistes à parler dans le
cadre de mon cours sur les controverses et mouvements religieux à l'Université
Concordia. J'amène mes étudiants du Collège Dawson visiter un temple Hare
Krishna ou à des baptêmes d'OVNI raëliens pour qu'ils puissent observer les
rituels.
Je
ne m'étais jamais rendu compte à quel point nous sommes gâtés. Les Canadiens
jouissent d'un degré de liberté académique et de liberté religieuse jamais
atteint dans la plupart des autres pays, même en France, en dépit de sa
brillante tradition intellectuelle. Si j'étais une sociologue française et que
je m'étais comportée de cette manière, j'aurais perdu mon emploi. On me
traiterait « d'amoureuse des sectes », « de Scientologue qui se cache » ou
de « révisionniste » minimisant les atrocités perpétrées par les sectes.
Je donne un cours sur les méthodes de recherche au Collège Dawson dans lequel les étudiants en sciences sociales apprennent à ne pas porter foi aux opinions populaires, mais à lire, à recueillir des données en utilisant diverses méthodes d'échantillonnage et à les analyser systématiquement avant de présenter les résultats de leur recherche. Si la MILS avait remis son rapport sur les sectes dans ma classe, j'aurais été obligée de lui donner la mention « échec ».
En
France, les experts sur les sectes sont en fait fiers de proclamer avec
insistance que « nous n'avons rien à voir avec les groupes que nous combattons
». En mars, au tribunal de Pau, j'écoutais le psychologue Michel Moreau qui se
spécialise sur « les manipulations mentales » (la version française atténuée
de la théorie du lavage du cerveau/contrôle mental développée par la CIA).
Nous étions tous les deux des témoins experts au procès de parents des Douzes
Tribus accusés de négligence criminelle conduisant à la mort de leur enfant né
avec une malformation cardiaque.
Quand
le juge a demandé à Moreau s'il avait déjà visité la communauté des
Tribus, il a répondu « non » et il a continué en faisant de vagues
généralisations, comparant le groupe au Temple Solaire. Il était très évident
qu'il n'avait rien lu sur les Tribus, lesquelles sont un groupe unique parmi les
NMR.
«
J'ai été choquée par ce que j'ai observé en France. Choquée par l'intolérance
et les préjugés envers les minorités religieuses, les atteintes aux droits
individuels et, surtout, par la stupidité absolue et l'ignorance crasse du
gouvernement français. »
Lorsque
j'ai témoigné que j'avais mené des recherches sur le terrain sur le groupe
depuis 1989 au Vermont et que j'avais publié six articles, deux chapitres de
livre et deux entrées dans une encyclopédie les concernant, il est devenu
clair qu'en France, une véritable recherche sur le terrain disqualifie le
chercheur en tant qu'expert. J'étais contaminée parce que j'avais frayé avec
l'ennemi. On m'a demandé si j'étais un membre de la communauté. Ma recherche
a été rejetée par le juge parce qu'elle n'avait été effectuée qu'aux États-Unis
et parce que mon séjour dans la communauté française des Douze Tribus n'avait
duré que cinq jours. Les parents ont été condamnés à six ans de prison
et le juge a décidé que les enfants des Tribus seraient enlevés à
leur famille et leurs pères envoyés en prison à moins qu'ils ne soient envoyés
à l'école publique et vaccinés.
Il
était clair pour moi que si ces parents avaient été laïques, ils auraient pu
mieux se défendre. S'ils avaient été catholiques, la mort tragique de leur
enfant n'aurait pas été utilisée pour contrôler et stigmatiser l'Église
catholique.
Je
me sentais frustrée. J'avais pris une semaine de congé de l'enseignement, pris
l'avion pour la France, planifié mon témoignage pour me faire dire de la
fermer, vraisemblablement parce que j'étais une affreuse Américaine ayant des
notions peu judicieuses de la liberté religieuse qui avait même eu le mauvais
goût de frayer avec les sectes.
Quelques
groupes ont réussi à faire enlever leur nom de cette infâme liste. L'Église
mormone (dont le nombre de saints des derniers jours s'élève à plus de 10
millions) a été retirée de la liste, mais d'autres églises minoritaires chrétiennes
– Science Chrétienne, Adventistes du septième jour et Témoins de Jéhovah
– y sont toujours. Leur reconnaissance légale a été retirée et elles ont
été frappées d'arriérés d'impôt.
Une féministe qui organisait des activités d'artisanat à l'échelle internationale pour aider des femmes des pays du tiers monde à se prendre en main a été choquée de découvrir qu'elle figurait sur la liste. À son soulagement, le malentendu a été clarifié et son nom retiré de la liste. Lors d'interviews, les secrétaires trésoriers de Mahikari et de Spiritual Human Yoga se sont plaints tous deux d'avoir de la difficulté à se reconnaître dans les rapports gouvernementaux.
Leur
véritable problème, cependant, ce sont les médias. Les principaux journaux,
en France, se fient sur l'Association de défense des familles et de l'individu
(ADFI), l'organisation anti-sectes française, et les
rapports gouvernementaux pour rédiger leurs reportages à caractère
sensationnel. Les journalistes tendent à adopter l'attitude désinvolte «
quand tu as vu une secte, tu les as toutes vues ».
Un récent article de magazine sur les sectes a grossièrement exagéré le nombre des membres et a accusé de façon presque routinière les leaders d'avoir des tendances pédophiles ou de planifier des suicides de masse. Presque tous les groupes étaient classés comme étant apocalyptiques. Quatre d'entre eux étaient des groupes auxquels j'ai consacré des livres, mais je pouvais à peine les reconnaître. Mais peut-être était-ce une chance pour eux, car j'ai ensuite visité un groupe qui avait fait l'objet d'une « recherche » par la commission et qui est aujourd'hui dissous – Horus, une communauté agricole du Nouvel Âge dans la campagne du Vaucluse.
« Je suis considérée comme la femme la plus dangereuse en France », affirme Marie-Thérèse Castano, une grand-mère basque dont les compétences horticoles et écologiques mystiques l'ont conduite à mener une expérience collective d'exploitation agricole visant l'auto-suffisance. Elle a récemment passé une année en prison. Elle a décrit comment Alain Gest, de la MILS, avait pris rendez-vous pour la rencontrer en 1996. Il est arrivé en compagnie du maire local, est resté quelques minutes et a refusé d'entendre son récit de la vie quotidienne du groupe. Au lieu de cela, Gest a exigé d'avoir un entretien privé avec un enfant, déterminé à trouver des preuves de « manipulation mentale ». « Il a agit comme un huissier, il est venu nous aviser que nous étions une secte dangereuse », soutient Castano.
Dans
mon cours sur les méthodes de recherche au Collège Dawson, nous abordons la
question de l'observation à faible impact de la part des participants de façon
à ne pas perturber le terrain de recherche. Nous cherchons à découvrir des
moyens pour compenser les biais culturels dans l'interprétation des données.
J'ignore ce qui va arriver dans la guerre anti-sectes française maintenant que
la loi About-Picard est en place. Mais au moins, j'ai recueilli d'excellents
exemples sur la façon de ne pas effectuer une recherche qui vont me servir dans
mes cours.
Susan Palmer enseigne la religion au Collège Dawson et à l'Université Concordia (Montréal). Cet article est d'abord paru en anglais dans le quotidien The Gazette (Traduction: Marie-France Carpentier).Susan Palmer est devenue, au cours des dernières années, la figure dominante sur la question de l’étude des nouveaux mouvements religieux au Québec. |
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