Anne Morelli

 

 

extraits du livre : "Lettre ouverte à la secte des adversaires des sectes"

 

publié aux éditions Labor, collection Quartier Libre

 

 

Anne Morelli a participé en tant qu’expert à la Commission d’enquête parlementaire sur les sectes. Elle est professeur d’Histoire des Eglises chrétiennes contemporaines et de Textes chrétiens contemporains à l’Institut d’histoire  des religions de l’Université libre de Bruxelles.

Elle va donc tout au long de ce livre établir un parallèle entre les « petits groupes religieux » appelés communément sectes et les grandes religions. Dans son enfance elle a connu  de nombreuses communautés religieuses, trois cousines de sa mère sont entrées dans différentes communautés (monastère de la Visitation, petites soeurs des pauvres et petites soeurs de l’Assomption.)

 

Voir l'interview vidéo d'Anne Morelli par le CICNS 

 


 

 

Les parallèles :

 

·        Les mots :

 

«  Tout mot que nous employons est généralement chargé d’une émotion négative ou positive…Il en est de même des mots « religion » et « secte ». Le premier fait vraiment sérieux. Les religions sont respectables et il est choquant, voire vulgaire de s’attaquer à leurs pratiques.

Par contre, le mot « secte » suscite angoisse et inquiétude. On oublie que jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’Eglise (avec majuscule, l’Eglise catholique bien entendu) désignait comme « secte » tout ce qui n’était pas elle. »

 

A suivre toute une série de mots qui varient en fonction de qui on parle :

 

religions

sectes

Prêtre

gourou

Croyant, fidèle

adepte

Prosélytisme

propagande

Apôtres, compagnons du messie

Acolytes du gourou

Catéchèse

Embrigadement

Foi

Croyances

Vêtements liturgiques

Déguisements, colifichets

 

 

·        le travail :

 

«  Le rapport Guyard  sur les sectes en France accuse celles-ci de « détourner les circuits économiques » par le recours au travail clandestin …La proposition de loi instituant en Belgique  une commission d’enquête parlementaire chargée d’élaborer une politique en vue de lutter contre les sectes (mars 1996) estime que les sectes recrutent des personnes qui travaillent comme des esclaves sans aucune protection.  … Mais lorsqu’on a la foi (et je pense l’avoir dans le domaine de la lutte pour les droits égaux, par exemple) on n’a pas l’impression de travailler ni de se dévouer. On ne gagne pas d’argent par son action, mais on gagne autre chose qui n’est pas mesurable mais pourtant réel…Les sectes ont repris les traditions en vigueur dans les religions qui veut que l’engagement total passe par le dévouement total. La vie monastique est évidemment construite sur cette base. »

 

·        l’argent :

 

«  On peut aussi rapprocher ce dualisme base-hiérarchie des couvents et des « sectes » avec ce qui se passe dans l’Eglise en général. Les prêtres de la base vivent aujourd’hui souvent dans des conditions matérielles peu reluisantes eu égard à celles réservées aux prélats…La règle commune est plutôt que les religions tirent profit des biens, dons et travaux de leurs membres et que le domaine spirituel ne reste pas longtemps à l’abri du domaine commercial. »

 

·        Vie privée, sexualité :

 

«  Mais je ne vois aucune différence de fond entre Mme Gabrielle, grande prêtresse du groupe Ananda, qui impose la capote, la pilule ou le stérilet à ses fidèles et M Wojtyla, « souverain pontife » qui les leur interdit. Tous deux, pour des raisons qui leur semblent excellentes, interviennent dans le plus intime des vies, viennent fouiller dans les tables de nuit et s’occupent de choisir à la place des individus. »

 

·        lavage de cerveau, bourrage de crâne :

 

« Peut-on distinguer les « vraies » conversions des « fausses », et si oui, par quels éléments objectifs ? Il faut se souvenir que les apôtres se recrutent sur un simple « Viens et suis-moi ». Que Saint Paul s’est converti en un instant sur le chemin de Damas… Je crois - personnellement - qu’ils n’ont pas menti en se décrivant frappés par la grâce subite de la conversion…La pérennité millénaire des religions n’est due qu’à cet envahissement intempestif des consciences enfantines, cette violation permanente de leur liberté par une information forcée, qui est le propre de tout conditionnement, mais sans doute aussi de toute éducation. »

 

·        perdre sa personnalité :

 

« La secte, comme la communauté charismatique, le couvent, la prison, l’hôpital, la caserne, le pensionnat (et peut-être aussi certains partis ou entreprises lorsqu’il s’agit de Disney ou Mac Do !) est l’une des institutions totalitaires qui prend, marque, change de nom ou immatricule, imprime dans un moule et déguise pour donner l’impression d’uniformité des corps et des esprits. Elle ôte par essence sa personnalité à l’individu, qui n’a d’intérêt et de dignité qu’en tant que membre du groupe. Ses règles expliquent tout et on ne peut en sortir. La mettre en doute, c’est déjà s’en exclure. »

 

·        avoir affaire à la justice :

 

« Le parallèle avec la manière dont sont traités les démêlés judiciaires des sectes est parlant. Pour les sectes, une accusation vaut preuve et est hautement mise en relief par les médias. S’il s’agit d’un ministre d’un culte reconnu, la plus grande discrétion, le plus long temps possible, est toujours de rigueur.

 

·        vie « saine » et vie « malsaine » :

 

«  A en croire l’image entretenue dans le public, un autre trait distinctif des « sectes » par rapport aux religions serait que les premières entraîneraient à vivre une vie « malsaine », au contraire des secondes. Par « malsaine », on peut tour à tour et selon les cas entendre  une vie sexuelle trop ou pas assez réglementée, un régime alimentaire « anormal », des vêtements étranges, des rites, un décorum incompréhensibles…une discipline très rigoureuse qui affaiblit l’individu et réduit son esprit critique…

 

·        intervenir dans la politique :

 

« En tant que vice-présidente du MRAX (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie) lorsque je pense qu’une prochaine décision politique va  influer sur les causes que je défends…j’écris aux représentants politiques  en leur exposant le point de vue de notre mouvement, je leur demande un entretien afin de défendre ce point de vue de vive voix, je leur fais valoir les conséquences que leur vote ou leur décision pourra avoir sur le vécu de ceux que j’estime défendre. Cet ensemble de démarches en politique s’appelle d’un terme barbare : faire du lobbying…Or ce droit d’influencer les décisions politiques sont reconnus à tous …sauf aux religions  minoritaires… »

 

·        croyances loufoques et croyances sérieuses :

 

«  Toutes les croyances sont par essence du domaine de l’irrationnel mais nous estimons celles que nous connaissons depuis toujours sérieuse et »normales » et celles que nous découvrons aujourd’hui loufoques et « anormales ». Ce n’est surtout pas sur le terrain des croyances que nous pouvons établir objectivement la frontière qu’on voudrait ériger entre sectes et religions. »

 

·        sectes « nocives » et religions « bénéfiques » :

 

«  La difficulté de définir  et de distinguer les sectes est évidente. Leurs pratiques sont semblables et leurs croyances impossibles à classifier en terme de rationalité. »

alors autres critères : ancienneté, nombres de fidèles, « au-dessus d’un certain plancher, la secte accèderait au statut de religion …Si la nocivité se calcule en nombre de morts, l’Ordre du Temple Solaire doit être considéré comme un piètre amateur  par rapport aux dégâts humains causés simultanément par les grandes religions…Je pense que les sectes ne sont encore, en matière de « nocivité » que de pâles amateurs à côté des grandes multinationales des religions, dont les morts sont à comptabiliser par millions. Quant à savoir laquelle parmi les sectes d’aujourd’hui sera dangereuse demain, je me refuse à ce type de prospective, car l’évolution des groupes humains est impossible à prévoir…Qui aurait pu imaginer dans les premiers siècles de notre ère que ces chrétiens persécutés, si sympathiques par la fermeté de leurs convictions face à leurs bourreaux, deviendraient, quelques siècles plus tard, les moteurs de l’Inquisition… »

 

·        faut-il instaurer l’obligation de persécuter les « gogos » :

 

« Sous prétexte que les naïfs sont abusés par des chefs religieux peu démocrates auxquels ils obéissent , se dévouent, consacrent leur argent, leur santé et parfois leur vie, tout cela au nom d’idées qui nous paraissent absurdes, faut-il ajouter à leurs aliénations diverses une persécution officielle qui ferait d’eux des martyrs ? … Les pouvoirs publics s’arrogent ainsi le droit, en matière religieuse, de « séparer  le bon grain de l’ivraie » Au premier irait les subsides, au second les poursuites judiciaires… »

 

·        un lobby très puissant : le lobby antisectes :

 

«  Leurs méthodes sont partout  semblables : jeter le discrédit sur tous les groupes religieux en dehors des grandes religions classiques et semer à ce sujet la désinformation. La secte des adversaires des sectes tenaille tout particulièrement les médias et le monde politique, mais ne néglige pas non plus l’approche du monde de la  recherche universitaire…Une autre  pratique de désinformation menée par la secte des adversaires des sectes est de gonfler les chiffres des adhérents à ces religions minoritaires…Les lobbies antisectes insistent  aussi sur un aspect « captation de notre belle jeunesse », qui ne correspond guère à la réalité que nous avons pu vérifier lors de nos enquêtes de terrain. »

 

·        les initiatives législatives des grandes multinationales de la religion contre les PME religieuses :

 

« Les monopoles religieux, en perte de vitesse sinon en péril dans nos régions, ont imaginé des stratégies législatives pour ralentir leur érosion et empêcher le développement de leurs jeunes concurrents. L’offensive se mène sur le plan tant européenque national… Unanimement décrié par les milieux universitaires, le rapport de la commission d’enquête parlementaire française sur les sectes a fait l’objet d’une réfutation systématique tant dans ses méthodes de travail hasardeuse que dans ses conclusions. »

 

·        Conclusion :

 

«  N’ayant pas trouvé au cours de mes recherches un seul critère objectif permettant de distinguer les sectes des religions, je me refuse évidemment à participer à ce tri ..Je plaide pour l’ouverture aux idées de demain et pour la tolérance. La tolérance est une vertu incommode… »  

 

 

 

Informations au sujet d'Anne Morelli à http://www.ulb.ac.be/rech/inventaire/chercheurs/0/CH1160.html

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