Nouveau guide de la MIVILUDES 2010 : la politique de la peur

Par le CICNS (octobre 2010)

Guide : « La protection des mineurs contre les dérives sectaires »

 

Georges Fenech, toujours embarrassé avec les termes légaux, nous gratifie d’une toute nouvelle expression : les « mouvements porteurs de dérives sectaires » dès la première page de ce nouveau « guide » de la MIVILUDES. Puis, il enchaîne immédiatement  avec une question qui illustre les  jeux de langage habituels de cette officine : « Qui peut tolérer qu’un enfant soit abusé sexuellement, maltraité, privé de soins, ou d’une éducation qui lui permette de devenir un citoyen libre ? ». Il n’est pas répondu à cette question rhétorique, la réponse étant subliminale, générée dans l’imaginaire des lecteurs qui devraient avoir bien compris où se trouvent les bourreaux d’enfants. Tout comme « un drame national silencieux » devrait susciter l'émotion dans les chaumières.

 

Les premières pages de ce « guide » frappent par la répétition d’une volonté plus alarmante et de plus en plus clairement affichée :

 

Prendre en compte le risque et plus seulement une situation avérée

 

p.17 : «  La prise en compte de la dérive sectaire du point de vue du risque et non plus seulement du danger avéré doit jouer un rôle central dans la prévention et l’anticipation d’un danger potentiel vis-à-vis des mineurs. »

 

p. 14: « La situation d’un mineur en danger ne se limite donc pas à des cas de maltraitance avérés mais implique la prise en compte d’un risque potentiel dans le cadre d’une prévention nécessaire ».

 

Toute dérive policière et entrave aux libertés individuelles sont donc légitimées par ce genre de propos qui soulève pourtant peu de contestations dans notre pays progressivement formaté à abandonner ses acquis, comme c’est le cas de la plupart des pays occidentaux depuis le début du XXIe siècle.

 

p.18 On enfonce le clou : «  La notion de dérive sectaire (est) à la fois inscrite dans le champ de l’intervention judiciaire et en adéquation avec la priorité accordée à la prévention. »

 

Un croquis sommaire p. 19 donne un petit air scientifique à ces coups de boutoir et permet de simplifier le message pour le grand public : il faut détecter la dérive sectaire avant qu’elle n’existe (alors même que page 74 (soit très loin dans le « guide »), il est très justement rappelé : «S’en tenir aux faits en se fondant sur les éléments susceptibles de porter atteinte au mineur au sens de l’article 375 du Code civil » On peut également apprécier p. 77 : «  Si la notion de dérive sectaire peut permettre de donner un sens à des indices épars et qui, sans cela, ne seraient pas significatifs, elle ne doit pas se substituer à l’analyse objective de ces indices. »).

 

p. 20 Le dilemme des acteurs de l’antisectarisme primaire à la française est assez savoureux dans ce qu’il révèle de l’anomalie de la situation française : « Un individu sous emprise affirmera que son adhésion est totalement volontaire et qu’il n’y a là aucune forme de soumission. Un tel discours peut éventuellement troubler le travail des différents acteurs de la protection de l’enfance ». Nous n’aurions pas su mieux définir (et avec autant d’indécence assumée) la problématique de leur action.

 

De nouveaux petits dessins p.21 permettent de bien montrer que la « quête de sens » rend vulnérable et que « la chaleur humaine », le « culturel, le spirituel et le thérapeutique » vont en profiter pour vous tomber dessus et vous détruire (deux tableaux sont consacrés aux formes de la destruction dont : « l’adepte croit consentir librement » et adopter « une nouvelle éthique à la place des anciennes ».)

 

Ensuite, le guide s’évertue à définir de manière relativement confuse (toujours le problème de la légalité, l’action de la MIVILUDES étant toujours dans la marge d’une action démocratique, avec des précautions de style qui contredisent l’intention évidente de répression sans retenue) les indices de dérives sectaires subies par l’enfant, à l’école, dans la famille, dans une association, un peu partout. Des questions clés sont posées pour aider à détecter les risques. Certaines questions, très répétitives, incantatoires, sont des lieux communs, questions légitimes que l’on doit se poser vis-à-vis de l’enfant en toutes circonstances, et pas seulement dans les minorités spirituelles. D’autres sont des répétitions des « indices de dérives sectaires » copiés collés de chez les ADFI, nous vous en épargnerons la liste, et d’autres sont tout simplement abusives dans un pays de droit. Ces questions, prises séparément les unes des autres, ne pouvant que susciter la méfiance à l’égard d’activité ou de choix personnels parfaitement normaux et acceptables :

 

L’adolescent a-t-il brusquement changé de comportement voire de tenue vestimentaire ? Refuse-t-il systématiquement de fréquenter des camarades qui ne partagent pas ses points de vue ? Est-il plus demandeur d’argent de poche ? Ses changements comportementaux importants coïncident-ils avec la rencontre d’un adulte à l’occasion d’un stage, d’une activité bénévole, associative ou sportive ; ou son intégration dans un nouveau groupe d’amis, sans lien avec ses fréquentations habituelles ?

 

Là encore, la  tendance de plus en plus officielle à détecter des risques avant qu’ils soient manifestés s’exprime bien. Le contrôle de l’instruction à domicile occupe également plusieurs pages, rappelant les limites toutes récentes (2007 et 2009) qui lui ont été opposées, toujours « grâce » à la lutte antisectes.

 

p. 80 Un cas est cité, où l’absence de détection d’un problème « sectaire » par un expert est attribué au fait que cet « expert nommé pour recueillir la parole des enfants (…) en l’absence d’une formation en amont, il ne parvient pas à diagnostiquer le risque de dérive sectaire. »

 

P 63, la MIVILUDES évoque « certains écueils récurrents » à éviter dans la manière « d’appréhender le phénomène  sectaire » dont deux nous semblent à la fois pertinentes et amusantes (car elles pourraient à elles seules remettre en question la totalité de la lutte antisectes). Selon la MIVILUDES, il faudrait donc faire attention à ne pas :

 

- Dramatiser le contexte  (« Il perçoit de manière excessive, comme dans un miroir grossissant ») ;

 

- Céder à la fascination (« Il n’est pas rare que certaines familles témoignent d’une ouverture apparente et fassent preuve d’un accueil chaleureux vis-à-vis du professionnel de l’action sociale. »)

 

Pour conclure, le style rédactionnel de la MIVILUDES marche toujours sur un fil. Il s’efforce de respecter la légalité tout en travaillant à induire des menaces latentes, potentielles, des risques possibles. Il est alors assez facile de pointer du doigt tout et n’importe quoi pour y trouver les fameux « risques potentiels » (faute d’avoir trouvé suffisamment de risques réels jusqu’à aujourd’hui ?). L’ensemble de ce guide est alarmant dans ce qu’il génère chez le lecteur de confusion, d’amalgame entre menace réelle et nécessité de prévention sur des situations inexistantes, dans l’insistance (depuis des années) à présenter les comportements les plus sains, les plus légitimes (quête de sens, changement d’opinion, changement de mode de vie) comme des signes de danger, motivant la population à la délation, à la peur dans toutes les situations de la vie quotidienne. De longues parties du guide sont d’ailleurs consacrées à expliquer « comment faire un signalement » aux administrations « compétentes », ce qui constituerait une information technique légitime si elle ne reposait pas sur des dizaines de pages de glorification de la rumeur, du lieu commun, de la peur du voisin et de tout ce qui est nouveau. Rien de nouveau dans cette lecture pénible de la dérive d’une politique non seulement vouée à l’échec dans son approche des comportements humains mais qui est en passe de susciter de plus en plus de peurs irrationnelles et d’injustice dans notre pays.  

 

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