Rapport 2007 de la MIVILUDES  

 

Commentaire d'Éric Bouzou

 

Le rapport 2007 de la MIVILUDES n’apporte aucune heureuse surprise dans la manière d’aborder la question des sectes en France. On y retrouve beaucoup d’amalgames et d’approximations qui donnent une fausse idée du phénomène dit « sectaire ». Ce commentaire propose une réflexion sur certains sujets abordés dans le rapport.

 

Le positionnement en martyr de la MIVILUDES

 

Un effort particulier des rapporteurs consiste à présenter la MIVILUDES comme une « cible » d’« attaques » (toute critique est vécue comme une attaque) émanant d’organismes qui, outre les sectes elles-mêmes, ne comprendraient pas la pertinence du travail effectué par la mission et ses associations partenaires l’UNADFI et le CCMM. Dans le mot du président, M. Roulet précise « J’ai relevé le cynisme et l’arrogance de certains responsables de mouvements sectaires. Je suis encore stupéfait par l’aplomb et la mauvaise foi de leurs leaders et de leurs défenseurs ». Plus loin : « La tendance au développement des entreprises de paralysie des services en charge de la vigilance et de la lutte contre les dérives sectaires s’est vérifiée ».

 

La section intitulée « Stratégie d’influence de la mouvance sectaire à l’international : l’exemple de l’OSCE » (page 111) est un réquisitoire offusqué de vingt pages sur les critiques effectuées à l’encontre de la politique antisecte française. Page 122 il est précisé : « l’énergie déployée par certaines ONG, tant au sein qu’en dehors du cadre de l’OSCE, pour critiquer les pays investis dans la vigilance et la lutte contre les dérives sectaires mérite qu’on s’intéresse à leur profil ». Des minorités et des associations de défense des libertés oseraient donc utiliser les tribunes européennes pour défendre des droits légitimes. Page 115 le paragraphe titre « Des cibles récurrentes : les acteurs, institutionnels ou non, de la vigilance et de la lutte contre les dérives sectaires ». Faire passer la MIVILUDES et l’UNADFI pour des victimes incomprises de la polémique relative au traitement de la question des sectes en France, est un étonnant retournement de situation. Les auteurs semblent s’indigner également des critiques adressées à l’encontre de la MILS (Mission interministérielle de lutte contre les sectes), triste précurseur de la mission actuelle, dont beaucoup d’observateurs ont reconnu les excès, même au sein des personnes favorables à une politique sévère en matière de sectes. Il est possible que certains rapporteurs soient nostalgiques, tant la MIVILUDES paraît agir « façon MILS » tout en s’efforçant de présenter une image plus respectable.

 

Il manque au rapport un paragraphe pour compléter cet épanchement victimaire. Celui qui mentionnerait les appréciations fort critiques, au sein même du gouvernement, à l’endroit de la MIVILUDES , et cela, même si certains auteurs ont préféré se rétracter devant les assauts de la pensée unique. Le ton en est certainement aussi tranché que tout ce qu’ont pu dire officiellement les prétendus « pro-sectaires » au sein des instances européennes ou en France. Mais il est bien sûr délicat de s’indigner dans un rapport officiel sur les propos de la directrice de cabinet du Président de la République (« en finir avec le blabla » de la MIVILUDES ) ou bien de la Ministre de l’Intérieur (qui a mis récemment en doute l’efficacité de la mission) et de son Chef du bureau des cultes (cf. son audition lors de la commission d’enquête parlementaire « l’enfance volée » où il mentionne l’imprécision du travail de la mission).

 

Concernant la différence de culture entre le Ministère de l’Intérieur et la mission placée sous l’autorité du premier ministre, nous renvoyons le lecteur à l’article du Monde écrit par Raphaël Liogier (Révolution culturelle dans la lutte anti-secte : http://www.cicns.net/sociologues_raphael_liogier_le_monde_sectes_alliot_marie.htm ).

   

De l'usage de la prétérition

 

La prétérition est une « figure de rhétorique, par laquelle on fait semblant de ne pas vouloir parler d'une chose dont cependant on parle" (Académie française). "(...) figure de rhétorique par excellence, en ce qu'elle influence l'attitude de l'interlocuteur (...) (universalis.fr).

 

On retrouve cet artifice rhétorique et ses variantes tout au long du document à la fois dans le vocabulaire employé et dans les arguments déployés.

 

Il ne faut plus parler de « sectes » désormais ; le rapport est attentif à ce point, il parle donc de mouvements sectaires. Y a-t-il une réelle différence ? Les groupes ne sont-ils pas visés en tant que tels malgré des précautions oratoires trompeuses imposées par un code de bonne conduite ? Au sujet du terme « secte » qui pose toujours problème, le rapport précise page 13 « l’absence de définition de la secte n’efface pas la réalité de l’existence de victimes des dérives de certains mouvements sectaires. Cette notion de dérives sectaires est évolutive et son approche française est à la fois pragmatique et textuellement encadrée ». Le texte cohérent (souligné) avec les intentions affichées aurait dû être : « (…) la réalité de l’existence de victimes des dérives sectaires de certains groupes (…) ». Mais la tentation est trop grande de cataloguer le groupe : on remplace donc « secte » par « mouvement sectaire » et le tour est joué. Mme Picard, actuellement présidente de l’UNADFI, avait affirmé qu’il ne fallait pas préciser la notion de « secte » car les dites sectes se débrouilleraient toujours pour sortir de cette définition. Elle n’avait pas jugé bon de reconnaitre que cette imprécision délibérée lui permettrait en revanche de faire rentrer officieusement sous ce label n’importe quel mouvement arbitrairement. Le choix a donc été officiellement « d’encadrer » la notion « évolutive » de dérive sectaire. On imagine bien la taille du cadre pour y faire rentrer une notion floue et évolutive.

 

M. Roulet affirme dans le mot du président : « Il ne s’agissait pas, pour la MIVILUDES , de stigmatiser qui que ce soit a priori, mais bien de jouer pleinement son rôle de vigie » mais le rapport conclut : « lobbying, désinformation, poursuites judiciaires, intimidation, manipulation constituent les méthodes quotidiennes de ces groupes ».  Ces groupes sont également désignés page 114 comme « Les mouvements sectaires et leurs alliés » comme s’il s’agissait d’une véritable armée ; page 122 le rapport évoque « ce qui unit ces groupes dans un réseau de « lobbying pro-sectaire». Le président de la MIVILUDES pense vraisemblablement que tout ce qui est écrit entre le mot d’introduction et la conclusion du rapport justifie ce verdict final sans appel, qui serait donc un état de fait et non pas une stigmatisation tout azimut a priori. Le lecteur cherchera néanmoins en vain les preuves suffisantes qui donneraient crédit à la conclusion du rapport. La stigmatisation a toujours été un des outils favoris des protagonistes antisectes car même lorsque ce qui est dit est faux (et c’est très souvent le cas, soit factuellement, soit dans le sens de l’exagération), il en reste toujours une empreinte dans le public. Cette stigmatisation est appelée « vigilance aigüe » pour respecter le code de bonne conduite.

 

Page 44, le rapport effectue un bilan des métiers de l’accompagnement psychologique : « Ce panorama des métiers de l’accompagnement psychologique (…) met en évidence une insuffisance voire une absence de formation initiale dans les disciplines concernées, pour plus de la moitié des psychothérapeutes recensés par une fédération professionnelle, soit un ensemble de 5 000 à 7 000 praticiens. Ce constat, s’il ne doit pas aboutir à la conclusion hâtive que la moitié au moins des psychothérapeutes aurait des pratiques charlatanesques et dangereuses, est néanmoins un facteur de risque aggravé dans ce secteur de prestations (…) ». Il est permis de douter que l’auteur de ces lignes n’ait eu aucune intention de décrédibiliser les psychothérapeutes ; la quantification hâtive bien qu’aussitôt démentie du nombre de charlatans était inutile, d’autant plus en suggérant que tous les psychothérapeutes considérés pourraient être incompétents.

 

Dans la section : « Les risques liés à certaines techniques de coaching en entreprise » page 83, les auteurs du rapport précisent : « S’il n’est pas dans le propos de la présente étude de  prendre parti sur la philosophie de la doctrine ou sur le contenu de ses méthodes induites, la MIVILUDES estime néanmoins indispensable d’alerter le public sur les dangers qu’une pratique inappropriée est susceptible d’engendrer ». Il est peu crédible, étant donnée la teneur des quelques dix pages descriptives qui suivent, de prétendre être sans parti pris. On peut s’interroger sur les véritables intentions des auteurs. Ces derniers précisent d’ailleurs de façon générale dès la page 17 du rapport : « Il est absolument essentiel de se référer à la doctrine du mouvement et de l’intégrer à l’enquête car elle contient de manière quasi systématique l’idéologie qui préconise ou aboutit à la violation de la loi ». Ils se sont donc référés aux techniques de coaching, sans prendre parti sur une doctrine…qui pourrait néanmoins aboutir à une violation de la loi…Le type de raisonnement utilisé pourrait sans difficulté conduire à désigner comme dangereux d’aller faire ses courses chez l’épicier car il pourrait lui venir l’idée de nous molester.

 

«  Il est absolument essentiel de se référer à la doctrine du mouvement et de l’intégrer à l’enquête (…) » n’est rien d’autre qu’une évaluation des doctrines et pratiques (y compris religieuses) par un organisme d’état laïc qui n’est pas censé s’occuper des croyances.

 

Les rapporteurs ne peuvent ignorer l’impact nécessairement négatif a priori de ce type de rhétorique sur les personnes ciblées.

 

L’argument fallacieux (et peu démocratique) de l’emprise mentale

 

Emprise mentale, manipulation mentale sont les nouvelles expressions qui ont remplacé la notion plus imagée de lavage de cerveau. Ce sont des notions centrales de l’argumentaire antisecte qui peut s’exprimer de la sorte : les adeptes d’une secte sont manipulées mentalement : ceux qui s’en plaignent en sont les témoins vivants, ceux qui prétendent avoir fait un choix conscient d’adhésion au groupe et sont satisfaits de ce choix, sont les plus atteints.

 

Le rapport affirme page 37 : « Les notions d’emprise mentale et de mise en état de sujétion, qu’elles soient un des éléments matériels de l’infraction ou qu’elle ne constituent que le contexte de cette dernière, sont toujours un préalable à la mise en œuvre d’une dérive sectaire ». Résumons : pour évaluer une dérive sectaire, le juge aurait donc à sa disposition les dix critères de dangerosité rappelés page 26 ; si un certain nombre sont avérés (le nombre est à sa discrétion vraisemblablement), il pourra alors parler effectivement de « dérive sectaire », conclure à l’existence d’une « emprise mentale »…et appliquer la loi About-Picard, cette regrettable tentative du législateur français de pénaliser la notion floue et non maîtrisée de sujétion psychologique (la traduction juridique actuelle de l’emprise mentale).

 

Les rapporteurs ont utilisé une logique circulaire qui ne s’embarrasse pas d’éviter les contradictions puisqu’ils concèdent page 28  : « Face à la complexité de déterminer à quel moment un individu, qui choisit initialement librement de s’en remettre aux exigences de son nouveau groupe, perd cette liberté par une mise en état de sujétion, le juge pénal a, dans l’analyse des dossiers de dérives sectaires, dégagé la possibilité de cerner la notion d’emprise mentale à la fois dans le cadre de l’application de la loi About-Picard et dans la mise en oeuvre des autres textes du code pénal, car il n’y a pas en France de législation « antisecte » mais des textes de droit commun pouvant s’appliquer aux dérives sectaires ».

 

Le juge peut donc être rassuré. S’il ne sait pas ce qu’est l’emprise mentale, il pourra toujours appliquer la loi About-Picard qui sait punir ce qu’il ne comprend pas. Il aura recours au soi disant  « expert » (ils se comptent sur les doigts d’une main) qui, étant donné la volatilité du sujet, prendra la décision à sa place.

 

Dans la jurisprudence américaine, une théorie scientifique ne peut être invoquée que si elle fait l’objet d’un consensus majoritaire de la communauté scientifique concernée (Voir l’ouvrage de Massimo Introvigne : « Lavage de cerveau – mythe ou réalité »). Cette approche paraît raisonnable. Apparemment en France, ce n’est pas le cas. Nous n’avons pas connaissance d’une théorie de l’emprise mentale qui soit partagée par une majorité de la communauté scientifique ad-hoc et nous considérons comme particulièrement inapproprié que le parlement français ait voté une loi pénale sur un sujet d’étude aussi délicat (et qui devrait encore être cantonné au milieu de la recherche), en visant de plus ostensiblement une partie de la population, malgré les affirmations du contraire (si cette loi n’était pas discriminatoire à l’encontre des dites « sectes », elle aurait été invoquée par exemple à l’endroit de la société Renault sur la base des critères de dangerosité mentionnés page 26 et le nombre de suicides constatés dans l’entreprise ; nous ne souscrivons bien sûr pas à l’utilisation de cette mauvaise loi à l’encontre du constructeur automobile, mais souhaitons pointer du doigt par cette illustration, les incohérences du législateur et de la MIVILUDES ).

 

L’absence de méthodologie et l’insuffisance chronique de références et de chiffres vérifiables

 

Le lecteur du rapport 2007 de la MIVILUDES cherchera en vain dans le document les références d’études pluralistes et vérifiables pourtant indispensables pour un travail de synthèse de cette nature.

Les sociologues des religions sont ignorés comme d’habitude. Les auteurs du rapport précisent page13 « (…) aujourd’hui les dérives sectaires sont plus nombreuses dans le domaine de la santé, des thérapies alternatives et du développement personnel, que dans le cadre à proprement parler spirituel et religieux ». Cette phrase laisse entendre sans vraiment le dire que le phénomène de dérives sectaires dans les milieux spirituels n’a pas l’ampleur qu’on a laissé entendre pendant 30 ans. La MIVILUDES passerait donc à des sujets plus pressants tout en conservant un capital accusatoire : moins que « plus nombreuses » c’est encore de nombreuses dérives sectaires.  Au lieu de faire enfin un bilan salutaire avec l’aide des sociologues, la MIVILUDES préfère détourner l’attention jusqu’au prochain scoop qui lui permettra de réalimenter la psychose à l’encontre des minorités spirituelles.

Non seulement la MIVILUDES ne tient pas compte du travail des universitaires (à quelques rares exceptions et apparemment uniquement quand le propos est compatible avec son discours) mais elle reproche à ceux qui l’utilise de le faire page 120 : « Pour conforter et légitimer son discours, la mouvance sectaire fait appel à la parole d’experts universitaires. La dénonciation du refus du contradictoire et l’appel à la caution de sociologues, juristes, philosophes, historiens des religions ou autres « experts » sont une des constantes de la rhétorique sectaire (…)». Il n’est pas inutile de rappeler en quels termes M. Roulet jugeait le travail universitaire lors de la conférence organisée par le Cesnur à Bordeaux : une façon "pour quelques universitaires de passer leur temps à se citer entre eux" (source : Sud-Ouest, 2 juin 2007 article de Hélène Rouquette-Valeins).

Une section est consacrée au satanisme. Dans un article du Monde du 17 mars 2008, Stéphanie Le Bars précise : « [selon] Olivier Bobineau, membre du groupe Sociétés, religions, laïcités du CNRS, un temps associé aux travaux de la MIVILUDES , les chiffres avancés par la Mission sont "absurdes". "Le satanisme est un non-problème et ne représente aucun danger", assure le chercheur, qui vient de diriger un ouvrage collectif Le Satanisme, quel danger pour la société ?(…)».

Page 159 le paragraphe du rapport titre : « Regard d’une psychologue sur les dérives de la pratique des faux souvenirs induits ». Delphine Guerard (Psychologue clinicienne de l’association « Alerte Faux Souvenirs Induits ») commente sur dix pages la pratique des  souvenirs induits.

 

Pourquoi le travail d’Olivier Bobineau (et celui d’autres chercheurs) n’est-il pas intégré à la présentation de la MIVILUDES  ? Pourquoi une place privilégiée est-elle accordée à l’avis de Delphine Guerard ? N’y a-t-il pas d’autres expertises disponibles ?

 

Il ne nous appartient pas d’évaluer la doctrine du satanisme ou la théorie des souvenirs induits, notre propos est de questionner les précautions prises pour garantir des enquêtes de qualité. Un organisme public d’évaluation des risques, sur des sujets aussi vastes et diversifiés que les nouvelles spiritualités et les méthodes alternatives de santé, se doit d’être un organe de synthèse des travaux de recherche. Il doit être le relai du consensus scientifique et juridique sur ces sujets, s’il y en a un. Si le consensus n’existe pas, sa mission est de s’assurer que des travaux permettront d’aboutir à une vision d’ensemble équilibrée. On peut admettre la partialité, tout en la regrettant, d’associations comme l’UNADFI ou le CCMM. Elle n’est pas acceptable de la part d’une mission rattachée au premier ministre.

 

Le rapport fait référence page 101 à l’association INFORM. Le travail de fond effectué par cet organe britannique d’étude des minorités spirituelles (voir notre interview de sa présidente) est à l’opposé de celui effectué par la MIVILUDES , qui pourrait avantageusement s’en inspirer.

Concernant les chiffres qui permettraient d’illustrer le prétendu fléau social constitué par les dérives sectaires, ils sont bien évidemment absents (ou contredits : voir la citation précédente d’Olivier Bobineau sur le satanisme). Page 13 les dérives seraient « plus nombreuses » dans le secteur de la santé et du développement personnel. Trente années de lutte auraient dû, en principe, permettre à la MIVILUDES (et ses prédécesseurs) de présenter des statistiques chiffrées et étayées ; elle en est toujours réduite à recourir à des données factices, faussement alarmistes ou aux adjectifs « beaucoup », « nombreux », et cela sans envisager une remise en cause de sa démarche.

 

Curieusement cette absence de chiffres étonne dans le paragraphe commentant les suites de la commission d’enquête parlementaire « l’enfance volée » page 53. Rappelons les faits : avant enquête, les députés en charge avaient affirmé péremptoirement que 80 à 100 000 enfants étaient en danger dans les sectes. Après enquête et en dépit des preuves contraires apportées par les différentes administrations, le rapport de la commission persistait à annoncer des chiffres extravagants de 60 à 80 000 enfants en danger. Ces chiffres ne sont pas mentionnés dans le rapport 2007 de la MIVILUDES qui les a pourtant fermement soutenus du temps de la commission. Cette omission (volontaire ?) mériterait explication sachant que le matraquage médiatique sur ces fausses données a de toute façon fait son travail de sape dans le public.

 

Le déni d’accès légitime au système judiciaire

 

Le déni de légitimité des minorités et des ONG à témoigner au sein des instances européennes se double d’un déni de légitimité dans l’accès au système judiciaire. Ce point est illustré page 53 par une nouvelle loi proposée par le président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, suite à la commission d’enquête parlementaire « l’enfance volée » : « Des témoins cités par la Commission , dont les propos ont été rendus publics par la chaîne parlementaire (…) ont fait l’objet d’une procédure judiciaire de la part de certains représentants de mouvements incriminés ». Pour éviter cette « exploitation judiciaire », la nouvelle loi votée récemment vise « à accorder aux témoins des commissions d’enquête la même protection juridique que celle reconnue aux personnes appelées à témoigner devant les tribunaux ».

Des personnes auront donc désormais le droit de s’exprimer sans retenue lors d’auditions publiques et médiatisées sans que les groupes visés puissent être entendus et sans qu’ils puissent avoir recours à la justice ; cette loi s’apparente à un véritable droit de diffamer en paix à l’encontre des mouvements désignés comme sectaires.

 

Ce déni d’accès légitime au système judiciaire est d’ailleurs plus général puisqu’on reproche très souvent aux « mouvements sectaires » un « acharnement procédurier » chronique. Il est possible que certains groupes utilisent intensivement l’appareil judiciaire pour se défendre mais ils ne le font pas par plaisir. C’est une riposte à l’acharnement d’une partie des pouvoirs publics et des médias pour les transformer en boucs émissaires. Lorsqu’un député se permet de dire (avec un sentiment d’impunité assez remarquable) au cours d’un journal télévisé de grande écoute, que les membres d’un mouvement spirituel (à savoir les Témoins de Jéhovah) sont tous de « parfaits délinquants » et que le journaliste l’interviewant ne trouve aucun commentaire à faire, faut-il accepter le lynchage médiatique ? N’est-il pas légitime d’utiliser les outils juridiques mis à disposition des citoyens ? Lorsqu’une mairie refuse sans justification légale à un mouvement, soit un permis de construire, soit la location d’une salle de réunion, en se basant sur l’inscription du mouvement dans le rapport parlementaire sur les sectes, pourtant sans valeur juridique, faut-il accepter cette discrimination ou demander réparation au tribunal administratif ? Il est du reste probable que la majorité des groupes et des personnes visées n’ont pas les ressources financières ou l’énergie pour aller en justice aussi souvent que cela le mériterait, ce qui donne une grande latitude pour discriminer impunément.

 

Le choix de l’aveuglement

 

Nous avons rencontré M. Roulet le  24 octobre 2006 et lui avons demandé s’il avait conscience des discriminations subies par de nombreuses personnes honnêtes et sincères qui sont visées directement ou indirectement par la politique française de lutte contre les sectes. Sa réponse a été qu’il n’était pas au courant mais néanmoins intéressé d’en entendre parler. Suite à notre exposé (qui a été complété par la suite par d’autres informations) nous avons pu constater que le président de la MIVILUDES n’entendait pas notre propos et sa conclusion a été : « N’y aurait-il qu’une seule victime, l’action menée se justifie ! ». Cette phrase exprime bien la volonté de négliger les effets collatéraux importants d’une démarche, pourvu qu’elle réponde à l’approche victimaire du moment.

Page 6, M . Roulet précise : « Eh bien, pendant trois ans, j’ai rencontré quotidiennement ces victimes que l’on voudrait invisibles, j’ai écouté leurs familles, j’ai mesuré les dégâts, les dommages irréparables commis par tout ce que la mouvance sectaire compte de gourous et d’apprentis sorciers ». La MIVILUDES disposait de plus de 200 pages après le mot du président  pour exposer de façon vérifiable sa méthodologie d’évaluation des victimes.

 

Il ne s’agit pas, du reste, de rendre « invisibles » des victimes prétendues ou réelles. Mais  la visibilité évoquée ne peut pas être que médiatique pour en amplifier artificiellement et trompeusement l’impact ; elle doit être basée sur des enquêtes croisées avec un panel d’expertise pluraliste et reconnu (sociologues, juristes, praticiens du monde de la santé, etc.) permettant d’aboutir à un classement et une quantification des différents litiges. Ce travail d’analyse ne préjuge pas des dispositions à mettre en place pour traiter la souffrance des personnes, mais il convient de ne pas associer systématiquement et a prirori l’expression d’une souffrance avec la culpabilité d’un groupe, d’un gourou, d’une doctrine. Ce travail n’a jamais été fait, sans doute, comme l’ont démontré les auditions des différentes administrations lors de la commission d’enquête parlementaire « l’enfance volée », parce que le nombre de victimes réelles est très faible et remet en cause l’action conduite jusqu’à présent.

 

Prenant le contre pied d’une approche pragmatique, au cas par cas, évitant les amalgames et reposant sur des enquêtes et statistiques juridiques et scientifiques, la MIVILUDES déséquilibre volontairement son discours et son action. Ce choix délibéré génère beaucoup de confusion et de tension.

 

Sortir du tunnel

 

La MIVILUDES se retrouve très souvent affublée des attributs sectaires (aussi flous soient-ils) qu’elle combat, et ceci de la part d’un nombre croissant d’observateurs, ce qu’elle vit naturellement difficilement puisqu’elle a jugé bon de se positionner en « cible » dans ce rapport 2007. Ne doutant pas un instant que ses membres soient indignés d’être assimilés à des conduites qu’ils réprouvent, ces derniers pourraient en profiter pour réaliser (de façon très adoucie) ce que vivent beaucoup plus sévèrement des centaines de minorités accusées sans preuves d’êtres des sectes dangereuses.

Nous ne pensons pas que la politique de la MIVILUDES évoluera tant que sa mission n’est pas équilibrée. Comme l’illustrent Robert Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois dans leur livre « Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens », des décideurs mis en face de l’échec de leur stratégie, continueront en majorité dans la même direction erronée, d’autant plus s’il leur est suggéré d’en changer.

Dès lors que le contexte d’étude d’un phénomène de société n’est plus serein (et le contexte d’étude des « sectes » ne l’a jamais été), la priorité est de restaurer un climat de confiance et les conditions d’un vrai débat. La création d’un observatoire indépendant des minorités spirituelles permettra à la fois de rétablir un environnement favorable et de s’engager dans une véritable démarche de connaissance. Le CICNS encourage le Ministère de l’Intérieur à suivre cette voie.

 

Haut de page


© CICNS 2004-2015 - www.cicns.net (Textes, photos et dessins sur le site)