Le rapport 2006  de la MIVILUDES

Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires

Le rapport à télécharger

commentaire d'André Tarassi

commentaire d'Éric Bouzou

commentaire de Michel de Coutelle


Commentaire d'André Tarassi :

En introduction de son rapport 2006, M . Roulet déclare que  : « L’année 2006 aura été une année de travail et d’efforts (…) Afin, également, que les mouvements sectaires et leurs responsables n’aient aucun doute sur la détermination de la République à ne pas reculer d’un pas dans sa mission au service de ceux qui attendent d’elle sûreté et solidarité. ».

 

La suite du rapport, ainsi que les contacts que nous avons pu avoir avec les services de la MIVILUDES , démontrent sans ambiguïté cette « détermination à ne pas reculer d'un pas » apparentée, de notre point de vue, à un "aveuglement volontaire". Une campagne n’est jamais menée par hasard et si nous n’en connaissons pas toutes les intentions, sa constance dans le déni des informations apportées par le CICNS confirme année après année qu’il s’agit bien d’une campagne de destruction au large spectre d’action. Il serait utopique d'espérer une quelconque remise en question de ce côté-là.

 

La MIVILUDES , la sociologie et le CICNS

 

Originalité de ce rapport sans surprise sur le fond (nous n’en attendions donc pas) : la MIVILUDES s’essaye, pages 14 à 36, à une étude psychanalytique et sociologique des travers attribués aux sectes. Il est clair que certains reproches adressés ces dernières années à la MIVILUDES ne sont pas tombés dans l’oreille de sourds et qu’une tentative de donner une image plus académique et moins antireligieuse primaire leur est apparue indispensable. La MIVILUDES s’est donc façonné un joli paravent (reproche que l’on fait volontiers aux sectes) devant sa campagne menée sans discernement contre toutes les nouvelles expressions de la spiritualité et non contre les dérives sectaires, comme elle voudrait le faire croire (s’il en était autrement, la MIVILUDES aurait pris à son compte les mises en gardes que nous lui adressons depuis près de trois ans sur les dommages causés à de nombreuses personnes par la campagne antisectes telle qu’elle est menée aujourd’hui).

 

Cette quête d'une meilleure image serait louable s'il n'y avait cette tentative de discréditer de la manière la plus superficielle et la plus diffamatoire le son de cloche apporté par les critiques de l’action de la MIVILUDES comme le CICNS. 

 

On trouve ainsi cette affirmation au sujet de notre association : « Le CICNS mène campagne … pour la libéralisation du droit de propriété intellectuelle » et « sa cible principale est le droit d’auteur ». Quelle plaisanterie douteuse ! Comme si l’action de notre association était concernée en priorité par cette question dont nous avons fait un petit encart hors sujet à l’occasion d’un litige de copyright. Il est sans doute plus fructueux, pour la MIVILUDES , de définir le CICNS à partir de propos pris hors contexte de son action véritable (en y réfléchissant, ce petit tour de passe passe qui réduit l'action du CICNS à une absurde "lutte contre les droits d'auteurs" et dont l'effet serait dommageable pour "le tissu économique" n'est sans doute pas un hasard et nous éclaire certainement sur les craintes et objectifs de la mouvance antisecte).

 

Plus loin, la traditionnelle affiliation à la Scientologie permet d’ajouter une couche de suspicion pour ceux qui auraient encore des velléités de trouver un quelconque intérêt à notre travail : « la scientologie n’apparaît pas en première ligne, mais l’analyse attentive (1) des arguments utilisés et des méthodes déployées (…) contre la commission d’enquête parlementaire laisse à penser qu’elle les a beaucoup inspiréset plus si affinités ».

 

 

Les méfaits des sectes

 

De longues pages (36 à 134) répètent ad nauseam les accusations habituelles faites en vrac aux minorités spirituelles - « les sectes » -, laissant le soin aux lecteurs dont l’esprit est martelé par tant de « diabolisme » de les transférer à tout groupe ou personne de son voisinage puisqu'aucune distinction n’est faite entre des groupes ou personnes éventuellement condamnées et les autres.

 

Cet amalgame que nous dénonçons depuis plusieurs années, et qui est, lui, la véritable « cible principale » de notre action, se poursuit avec constance. Le bulldozer de l’intégrisme laïque avance pour déblayer la route d’une République purifiée de toute expression spirituelle et de toute différence.

 

Page 102, la MIVILUDES n’hésite pas à reprendre à son compte l’expression attribuée à Beaumarchais : « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » en évoquant l’action des « lobbies » sectaires (dont le CICNS fait partie, selon ce rapport). Cette petite partie de ping-pong (nous reprochons ce méchant jeu de la calomnie aux antisectes depuis longtemps) serait juste ridicule si elle n’était pas un jeu de dupe dont nous constatons les conséquences quotidiennement, par les appels que nous recevons à nos bureaux.

 

Les victimes de la chasse aux sectes sont réelles et subissent de surcroît l’invisibilité conférée par des médias complaisants qui se nourrissent aujourd’hui exclusivement aux sources de l’antisectarisme le plus primaire. Il se trouve que leurs accusations sont plus vendeuses que nos informations.

 

Page 257, par contre (et la révélation est un comble l’année de la commission d’enquête sur les sectes et l’enfance !), on peut lire : « Comparée aux années précédentes, l'année scolaire 2005- 2006, a été pour la Cellule de prévention des phénomènes sectaires (CPPS), une année particulièrement calme. La CPPS n'a, en effet, été que rarement saisie : trois cas d'enfants considérés comme en danger ». Et de quel danger s’agissait-il pour ces trois cas ? « Soit parce que des parents appartenant à des mouvements sectaires envisageaient de les scolariser dans des écoles à l'étranger, soit parce que l'un d'entre eux était considéré comme un enfant indigo. ». Il sera sans doute jugé très « pro-sectaire » de conclure qu’il n’y avait en fait aucun danger réel… tout au moins si l’on respecte les principes d’une démocratie.

 

La conclusion du rapport

 

Le premier paragraphe illustre à lui seul le fantasme de la MIVILUDES eu égard au fléau social :

 

« L’année écoulée illustre bien l’évolution du phénomène sectaire tant en France que dans le monde. En effet, si l’on n’a, fort heureusement, pas eu à déplorer de grande manifestation délirante et dramatiquement spectaculaire, on assiste, en revanche, à une volonté soutenue, de la part des mouvements en question, de se noyer dans le paysage, de se fondre dans la masse, de s’insérer dans tous les rouages de la société, sous couvert de soins, de formation, d’assistance, de compétences spécifiques, voire, de spiritualité, bref, de tout ce qui peut paraître sympathique et honorable. »

 

Lisons-nous la même chose ?

 

Il ne s’est rien passé cette année et les sectes paraissent même sympathiques et honorables !

 

Mais la constance des chasseurs de sectes n’en est cependant pas affectée (pourquoi le serait-elle ? le bulldozer qui avance sans conducteur est-il affecté par le fait qu’il n’y a rien à déblayer ?) : « Que les victimes et leurs familles soient assurées de la volonté sans faille des pouvoirs publics de faire en sorte que les dommages qu’elles ont subis, sont pris en compte et seront réparés».

 

Les membres du CICNS sont pour leur part assurés, « grâce » à ce dernier rapport, que même les dommages qui n’ont pas été réellement subis risquent, comme les années passées, d’être « pris en compte » et de donner lieu à des règlements de compte, retraits de gardes d’enfants après divorces, des diffamations et même des suicides causés par cet aveuglement volontaire d’un appareil répressif qui ne manifeste aucun signe de maturité.

 

 

Note : Nous avons pu constater à quel point l'analyse de la MIVILUDES est "attentive" : les citations de cet article très court sur le "copyright" attribuées au CICNS ... sont en fait de Mark Lemley de l'école de droit de Stanford. Il suffisait de lire attentivement pour le réaliser. On pourrait se demander, pour paraphraser M. Fenech de la commission parlementaire sur les sectes et l'enfance qui critiquait les résultats scolaires des enfants de Tabitha's Place, si les rédacteurs de ce rapport sont "capables de restituer le sens ce qu'ils ont lu".        Revenir au texte

 

 

Commentaire d'Éric Bouzou :

 

La section du rapport la MIVILUDES décrivant « l'emprise ou la mise en état de sujétion » (p14 à 36), suscite plusieurs remarques.

 

Quelles sont les personnes visées dans cette section ? Les termes « secte » et « dérives sectaires » ont rendu abstraite la population concernée qui n'a presque jamais la faveur de s'exprimer, de témoigner ; la possibilité même de lui accorder une audience est considérée comme impensable. On connaît deux ou trois noms répétés inlassablement, mais la population concernée est très large ; la position d'un organisme comme  la MIVILUDES n'a pas changé, les groupes désignés dans les rapports parlementaires de 1996, 1999, 2006 sont tous des sectes, parmi de nombreux autres non listés.

C'est dire que l'analyse proposée, péremptoire, concerne des milliers de personnes dont on apprécie ainsi les supposées carences psychologiques infligées ou subies. Il est utile de se représenter visuellement ces milliers de personnes devant soi, de leur donner chair, et de s'interroger : sont-elles réellement irresponsables, manipulées ou manipulatrices et l'élan spirituel à la base de ces rassemblements n'est-il qu'un paravent ? Il est probable que si ces hommes et ces femmes étaient vus et écoutés, beaucoup des préjugés entourant les minorités s'effaceraient. Surtout pas, diront les tenants du discours anti-secte, ce serait prendre le risque d’être manipulé !

 

L'analyse psychologique tentée dans le rapport doit être évaluée à partir des intentions qui sous-tendent les hypothèses de base. Ces hypothèses peuvent être résumées comme suit : les membres des sectes sont soit manipulés, soit manipulateurs; le témoignage de ceux qui expriment une souffrance est une preuve de la nocivité du groupe; le témoignage de ceux qui se sentent bien est aussi une marque de la nocivité du groupe qui parvient à cette illusion par manipulation.

L'intention derrière ces hypothèses n'est donc pas d'étudier la population des minorités spirituelles mais de montrer qu'elles sont toutes le foyer d'un lavage de cerveau.

 

Notons que beaucoup de lecteurs du rapport n'auront pas la grille de lecture suffisante pour saisir véritablement le bien-fondé de toutes les notions psychologiques évoquées (cela concerne l'auteur de ce commentaire et sans doute une bonne partie du CEPO et du CO de la MIVILUDES ) : le surmoi n'est pas une notion maîtrisée par le grand public. C'est dire que ce déroulement prolixe de citations d'experts ressemble plus à un décorum permettant d'arriver « scientifiquement » à la conclusion qui, elle, est dénuée de tout doute scientifique : « Une fois de plus on constate que les victimes ont d'objectives raisons de se plaindre : attirées par de fausses promesses - qu'elles soient de santé ou de spiritualité - elles sont happées et perdent le contrôle de leur vie ».

 

Nous ne ferons pas à la MIVILUDES le procès d'avoir une approche plus scientifique, c'est une démarche souhaitable. Mais contrairement à un chercheur qui peut développer sa propre théorie et la soumettre à la communauté scientifique, la mission interministérielle donne un avis à destination de l'ensemble des citoyens et doit s'assurer que l'avis en question est partagé par une majorité de la communauté scientifique. La question est bien de savoir si les notions psychologiques évoquées et surtout la conclusion à laquelle elles donnent lieu, correspondent à une vision largement partagée. Gageons que si cet assentiment existait il aurait été mentionné... et que les contributions scientifiques ont été choisies pour étayer des conclusions a priori et non pas pour éclairer le sujet.

 

L'utilisation des sciences « humaines » dans la gestion des affaires publiques et la conception des lois nous semble mériter les plus extrêmes précautions étant donner la fragilité des théories en question. Et ceci d'autant plus que la vulgarisation scientifique permet aujourd'hui à chacun de parler de notions que peu maîtrisent et de s’habituer ainsi à prendre position à partir de ces simplifications intellectuelles. Ces précautions ne sont malheureusement pas respectées en France et la loi About-Picard en est l'exemple le plus criant. P 29 du rapport il est dit « Les experts auprès des tribunaux consultés par la MIVILUDES soulignent la complexité des mécanismes d'emprise ». On peut raisonnablement s'inquiéter d'une législation conçue à partir de notions psychologiques non maîtrisées et qui supplantent l'avis du juge par l'avis de « l'expert » ; quels experts peuvent aujourd'hui prétendre maîtriser « sérieusement » la question de la sujétion ?

 

Enfin pour la nième fois, on s'étonnera à nouveau de l'absence de contribution des sociologues des religions dans ce rapport et dans cette section plus particulièrement ; il est vrai qu'ils ont la mauvaise idée, dans leur grande majorité, de ne pas se contenter d'une approche superficielle et de ne pas partir d'idées préconçues sur les groupes étudiés.

André Tarassi est né en 1961, il est le fondateur du CICNS. Chercheur indépendant, il étudie les Nouvelles Spiritualités depuis 25 ans. Il a étudié le journalisme et la télévision aux États-Unis.  Il a publié, sous un autre nom, plusieurs ouvrages sur la démarche spirituelle.  

Eric Bouzou est né en 1958. Il est ingénieur. Son parcours technique a été jalonné de rencontres avec des personnes animant la dimension spirituelle de l'homme. Son intérêt pour la défense de la liberté spirituelle l'a conduit à s'engager activement dans l'action du CICNS.

 

Lire également "Le séminaire sectes et laïcité de la MIVILUDES"

Le Guide de l'agent public face aux dérives sectaires

Le Guide des Maires

et le rapport 2003  le rapport 2004  le rapport 2005

 

 

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