Le rapport 2004 de la MIVILUDES

Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires

Le rapport à télécharger

Comme l'année passée, nous vous proposons notre commentaire sur des passages clés de ce rapport. 

Notre première mauvaise "surprise", parmi d'autres, a été de découvrir que notre centre était mentionné page 54, à la fin d'un paragraphe qui permet un amalgame discret mais efficace avec "les nouvelles formes de sectarisme". Au sein d'une "mission" qui affirme par ailleurs sa volonté de ne plus dresser de listes de "sectes" , il est révélateur de noter cette tentative sans ambiguïté de discréditer notre action. 

Les membres du CICNS, qui gardaient un très léger espoir de dialogue, déplorent cette attitude et ne peuvent que faire le constat d'une volonté farouche d'éradiquer toutes les expressions qui ne font pas écho à la pensée unique au sujet des "sectes".

Rien de nouveau dans ce rapport lancinant qui poursuit son élan destructeur avec aveuglement. Les mêmes cas extrêmes de dérives sont mentionnés ici et là de "manière incantatoire" (pour reprendre une expression du rapport) afin de justifier les outils de plus en plus nombreux de la répression sans discernement menée à l'encontre de groupes inoffensifs, pour le moins, et dont le travail pourrait être reconnu d'utilité publique dans de nombreux cas. A nouveau, le CICNS ne conteste pas la nécessité de condamner les actions criminelles, mais nous ne pouvons malheureusement que souligner encore et encore l'utilisation faite de certains actes criminels et de dérives isolées pour stigmatiser et éliminer les formes nouvelles de l'éternelle recherche spirituelle.

Les extraits du rapport sont en italique.  

Par André Tarassi


Un point a été fait, relatif à la mise en œuvre des dix propositions pour l’année 2004 (...) la proposition n°2 : « Favoriser le signalement des personnes en état de faiblesse » a fait l’objet de nombreuses interventions, du représentant de la Chancellerie, du Conseil national de l’ordre des médecins ou du Conseil d’Etat. Il s’agirait en effet de permettre aux personnes tenues au secret professionnel (professions de la santé et professions juridiques, notamment les avocats ou les notaires), de pouvoir dénoncer à l’autorité judiciaire des faits d’abus frauduleux de faiblesse dont elles auraient connaissance. 

 

L'incitation faite aux personnes tenues au secret professionnel à dénoncer est l'étape suivante de l'incitation à la délation faite au grand public l'année passée. Quand les règles fondées par les esprits éclairés finissent par être reniées les unes après les autres, nous sommes devant un déclin de civilisation. La lecture de ce rapport est profondément attristante. Elle donne à imaginer ce vers quoi toutes ces personnes bien intentionnées (le langage veut le faire croire en tous cas) veulent conduire notre société. Les délateurs étant surtout informés des dangers de la différence, il y a fort à parier que la calomnie et la diffamation ont encore de beaux jours devant elles.


Concernant le Guide (de l'agent public face aux dérives sectaires), les membres du Conseil (d'orientation de la Miviludes) ont bien perçu ce document d’information et de formation des agents publics. A été souligné le côté pratique et pédagogique du document. Le représentant de l’ordre des médecins a plaidé pour que le Guide soit bien diffusé à la fonction publique hospitalière. Le représentant du ministère de la défense a souhaité, quant à lui, que toutes les brigades de gendarmerie soient destinataires du guide. 

 

Quand on prend connaissance de la partialité et de l'étroitesse d'esprit des propos de ce guide, on pourrait voir la diffusion étendue de ce petit manuel comme une propagande digne des régimes totalitaires. Une vision unilatérale du monde qui nie la richesse de la démarche spirituelle en la réduisant à ses expressions les moins représentatives ne peut être que le fruit d'une intention qui ne s'appuie plus sur les principes démocratiques.


BILAN D’APPLICATION DE LA LOI ABOUT-PICARD « S'agissant du délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse prévu et réprimé par l'article 223-15-2 du Code pénal, il a pu être dénombré, au 1er octobre 2003, trois enquêtes préliminaires et cinq informations judiciaires. Sur les trois enquêtes préliminaires, deux ouvertes exclusivement de chef d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse ont été classées sans suite, la troisième ouverte de ce chef et de travail dissimulé a également été classée sans suite. Quant aux cinq informations judiciaires des chefs d'abus de faiblesse et d'escroqueries, l'une d'entre elles a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu, et les quatre autres sont toujours en cours ». « Le Garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire que la possibilité de dissolution de mouvements à caractère sectaire ayant été condamnés pour des infractions prévues par l'article 1er de la loi du 12 juin 2001 n'a pas été mise en œuvre à ce jour, à défaut de condamnations définitives requises par cette loi. La mise en œuvre de cette disposition suppose que deux condamnations définitives aient été prononcées à l'encontre de la personne morale ou du dirigeant de droit ou de fait de cette personne morale pour des infractions limitativement énumérées ». 

 

Voilà le bilan édifiant de cette fameuse application de la loi About Picard dont les anti-sectes se glorifient. Sur trois enquêtes... trois ont été classées sans suite. Sur les cinq informations judiciaires, une a fait l'objet d'un non lieu et les quatre autres "sont en cours". Le Garde des Sceaux conclut, sans le dire, à l'inutilité de cette loi, "à défaut de condamnations". Cette loi semblait si pressante au moment de sa promotion, comme s'il y avait du monde au portillon des prisons et des guillotines. Et voilà qu'une fois votée, elle démontre son absurdité.

 

Le département d'État américain publie chaque année un rapport sur la liberté de religion, qui couvre l'ensemble des États. Jusqu'en 2001, ce rapport était en effet critique à l'égard de la France, mettant en cause la politique menée à l'encontre des « sectes », communément dénommées outre-Atlantique et dans de nombreuses instances multilatérales « nouveaux mouvements religieux ». La suppression de la mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) et son remplacement par la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) ont contribué à la reprise d'un dialogue plus serein sur ce dossier. Ainsi, le rapport 2003 du département d'État américain sur la liberté de religion dans le monde ne dénonce plus la politique française en ce domaine. (…) L'effort d'explication entrepris a donc commencé à porter ses fruits. Il doit être poursuivi. (…) »

 

Il est amusant de lire comment la Miviludes s'inquiète plus de l'opinion des Américains, comme motif de remise en question de leurs emballements, que de l'opinion des personnes concernées en France. Aujourd'hui, les membres de la Miviludes, comme toutes les structures anti-sectes, considèrent les personnes engagées dans une démarche spirituelle ou thérapeutique alternative comme des animaux dépourvus d'intelligence et de parole. Ceci explique sans doute le fait qu'ils ne puissent envisager le moindre dialogue.


Deux époux étaient adhérents du mouvement Sahaja Yoga, dont la doctrine prône en particulier la prise en charge des enfants par des structures dépendant du mouvement (à l'étranger). Les parents affirmaient ne plus envisager d’envoyer leurs enfants à l’étranger (...). Les conclusions du rapport d’expertise établissaient cependant que les enfants étaient psychiquement en danger, « compte tenu de l’emprise très forte de leurs parents du fait de leur adhésion aux thèses du mouvement Sahaja Yoga ». La Cour en a déduit que les conditions d’éducation des mineurs étaient ainsi gravement compromises (...) les experts n’excluent pas l’éventualité d’une séparation pour protéger les enfants si « l’alliance » avec les parents ne peut aboutir. Cette décision présente l’intérêt d’établir un lien direct entre la doctrine d’un mouvement et la notion de danger au sens de l’article 375 du Code civil. 

 

Oui, quel merveilleux intérêt n'est-ce pas ? Nous pouvons maintenant établir un lien entre la "doctrine" (les croyances qui devraient être respectées et protégées par la loi) et la notion de danger. Entendons bien : doctrine = danger. Nous aimerions voir cette équation s'élargir, si elle devait subsister, à doctrine anti-sectes = danger. Est-il extravagant de penser ainsi ? Il n'y a dans ce rapport aucune démonstration de la nocivité de l'enseignement de ce mouvement qui est uniquement condamné pour "sa doctrine" et quelques spéculations sur l'avenir des enfants. Mais, bien sûr, le paragraphe est conçu pour des personnes déjà acquises à la cause anti-sectes et se dispense de la nécessaire intégrité de véritables chercheurs.

 

Dans l'ensemble, nos partenaires européens s'en tiennent à une approche très libérale du phénomène sectaire. Dans les pays de tradition anglo-saxonne, habitués de longue date à une floraison toujours renouvelée de mouvements religieux, c'est une attitude délibérée (...) Dans ce contexte, notre approche du phénomène sectaire surprend parfois mais intéresse.

 

En dehors de la Chine, nous n'avons pas connaissance de beaucoup de pays "intéressés" par les mesures répressives aux relents de dictature que la France met en place avec tant de conviction.

 

(La Miviludes) avait souhaité dynamiser ce dispositif en demandant aux préfets de département, de réunir au moins une fois dans l’année leur cellule de vigilance. Force est de constater que pour l’année 2004, 34% seulement des départements ont provoqué cette réunion, aussi est-il permis de s’interroger sur les raisons de cette faible mobilisation (...). Certains préfets estiment que leur département a une très faible « activité sectaire » et qu’il n’est sans doute pas nécessaire ou utile de mettre en place cette structure et de la faire vivre. D’autres appréhendent la question du phénomène sectaire comme étant une question de sécurité publique et traitent cette problématique dans le cadre de la conférence départementale de sécurité. 

 

Il nous semble beaucoup plus "intéressant", par contre, de constater avec la Miviludes que tous les préfets ne voient pas les choses de la même manière. Certains ne voient pas de sectes chez eux et d'autres pensent, comme nous, que la criminalité est une question de "sécurité publique" et non de chasse aux sorcières. Quand la Miviludes, coupée des réalités du monde comme d'autres politiques, découvrira qu'elle vit dans un songe, elle pourra sans doute remettre en question l'idée qu'elle se fait de la réalité. Le CICNS, en contact direct avec le monde des minorités spirituelles, ne voit rien dans leur situation et leurs actes qui valide la nécessité d'une telle répression.

 

(Lors du) séminaire « Sectes et laïcité », la volonté de la MIVILUDES était de faire parler aussi bien ceux qui ne voient que de « nouveaux mouvements religieux » que ceux qui sur le terrain s’occupent de victimes des dérives sectaires. Ce dialogue, par séminaire interposé, n’avait jamais eu lieu (...) Il fallait en cette année préparatoire au centenaire de la loi de 1905 chercher l’appui de la laïcité, non pas comme arme anti-religieuse, mais comme moyen d’un « vivre ensemble » dans une société multiculturelle et multi appartenante.

 

La Miviludes s'est bien gardée d'inviter toutes les personnes concernées à ce séminaire. Les quelques sociologues un peu mesurés présents dans le débat ont été accueillis comme des intervenants par lesquels il fallait passer pour redorer l'image de la Miviludes. Mais leur perception du monde reste lettre morte dans ces débat biaisés. Quant aux enseignants spirituels, aux thérapeutes alternatifs, et aux milliers de personnes satisfaites de la relation qu'elles ont avec les uns et les autres, il serait impensable pour la Miviludes de les inviter à parler de ce qu'ils vivent au quotidien, des témoignages qui seraient pourtant bien éloignés des clichés et lieux communs véhiculés par les médias depuis 25 ans et resservis inlassablement dans ces colloques sans âme.


L’une des définitions possibles pour qualifier un groupe « d’organisation sectaire », quels que soient sa taille et son objet, tient à la capacité qui est la sienne de modifier la personnalité de ses adeptes en vue de favoriser l’allégeance inconditionnelle au clan et à son gourou. Au départ, l’individu choisit librement de s’en remettre aux exigences de son nouveau groupe de référence, au nom de contreparties positives espérées et promises ou pour satisfaire des aspirations non résolues de tout ordre (quête spirituelle, désir d’épanouissement personnel, volonté de changer le monde, souhait de combler un vide affectif, etc….).

 

Au départ, l'individu choisit librement... Mais la Miviludes sait déjà ce qui va lui arriver :

 

Progressivement, l’individu va abandonner tous ses repères antérieurs au profit de ceux imposés par sa tribu d’élection et accepter que cette dernière régente à sa place les moindres aspects de sa vie, lui dictant de nouvelles règles de conduite, lui imposant des apprentissages, un vocabulaire, des rituels, qui tendent tous vers le même but : le façonner selon le modèle imposé de l’adepte docile et entièrement disponible, asservi à la loi du groupe. 

 

Comme pour toutes les affirmations des activistes anti-sectes, il est toujours instructif de reporter les accusations faites exclusivement aux sectes sur la situation de notre société de consommation (que l'individu ne choisit d'ailleurs pas librement). L'individu est obligé d'adopter des repères qui ne doivent pas être remis en question (c'est pourquoi on persécute les minorités de convictions différentes) "lui dictant de nouvelles règles de conduite, lui imposant des apprentissages, un vocabulaire, des rituels, qui tendent tous vers le même but : le façonner selon le modèle imposé de l’adepte docile et entièrement disponible, asservi à la loi" de la société. Ce constat n'est pas qu'un retournement de situation. Il est celui que toute personne sérieuse doit faire sans stigmatiser des minorités et éviter ainsi de traiter les problèmes de notre société en les regardant "en face". La certitude de notre République moribonde de détenir les bonnes "règles de conduite", "apprentissage", "vocabulaire" et "rituels" est un grave problème de société.

 

La nécessité d’informer pleinement les jeunes des dangers que peut recouvrir l’adhésion sans recul à un groupe. « Ne pas être happé par une secte au détour d’un entraînement sportif ou d’une initiation artistique ou autre, exige de savoir en reconnaître les signes extérieurs et de pouvoir compter sur sa propre raison pour faire un travail critique dans les moments décisifs ». 

 

La "raison" invoquée par la Miviludes permet-elle de faire un travail critique ? Le CICNS a été fondé sur le constat d'un déficit de réflexion et pour montrer les égarements de certitudes dramatiques. La diversité des points de vue sur une situation, à "un moment décisif", comme celui de la Miviludes ou celui du CICNS, par exemple, doit-elle conduire à en condamner un au profit exclusif d'un autre ? La Miviludes détient-elle la vérité ? Un travail critique commence par un travail d'humilité ... une qualité qui manque beaucoup aux adeptes de l'anti-sectarisme.


Les victimes d’emprise et de sujétion de nature sectaire ne sont pas seulement les anciens adeptes qui ont vécu seulement leur appartenance à un groupe comme une souffrance dont ils ont du mal à se soulager ; ce sont aussi les familles dont les membres ont rompu tout lien avec elles pour rejoindre un mouvement. Certes, ces drames individuels ou familiaux ne troublent pas directement l’ordre public. Et ils ne relèvent pas automatiquement d’un traitement judiciaire. Les pouvoirs publics ne peuvent toutefois pas s’en désintéresser. 

 

Toujours cette sempiternelle dramatisation d'un phénomène universel. On envoie aujourd'hui sans sourciller de jeunes gens à la guerre sachant qu'ils "vont rompre tout lien" avec leur famille, parfois de manière définitive, on accepte que les monastères et les couvents aient pu être un choix de vie légitime depuis des siècles, et que toute personne majeure puisse prendre des directions qui l'éloignent parfois de ses parents. Cette corde que la Miviludes aime faire vibrer de manière démagogique, reconnaissant pourtant qu'il n'y a pas de trouble à l'ordre public, est abusive et constitue une intrusion dans la vie privée des citoyens. Jusque-là, la revendication que la religion s'exerce dans le cercle privé était déjà un glissement sérieux puisque la loi autorise à manifester sa foi aussi longtemps qu'il n'y a pas de trouble à l'ordre public. Mais le fait que la Miviludes envisage de contrôler les liens familiaux, comme le fait déjà l'ADFI avec la bénédiction du gouvernement, est un abus qui ne peut rester sous silence.

 

L’exemple français n’est pas (...) aisément transposable. Il est même regardé par certains de nos partenaires comme singulier. L’on retrouve ici la difficulté à faire partager notre conception de la laïcité. Une laïcité qui garantit totalement la liberté de conviction et l’autonomie de la personne mais qui veille aussi à ce que soit respecté un ordre social fait de valeurs communes. 

 

Cette dernière phrase, qui constitue le paravent de dignité derrière lequel se cachent les véritables intentions des auteurs de ce texte et de ceux qui l'ont inspiré, est un mensonge. La laïcité française est une laïcité d'exclusion, qui nourrit la peur dans les esprits de la population pour juguler la diversité. Il y a là un autre aveuglement typique des esprits réfractaires aux évolutions naturelles des sociétés : la diversité ne se contrôle pas, ou pas longtemps. Elle est inscrite dans les lois de la nature. Le comportement apeuré de nos chasseurs de sectes traduit peut-être leur sentiment plus ou moins conscient d'un déclin des forces qui menaient le monde jusque-là.

 
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André Tarassi est né en 1961, il est le fondateur du CICNS. Chercheur indépendant, il étudie les Nouvelles Spiritualités depuis 25 ans. Il a étudié le journalisme et la télévision aux états-unis.  Il a publié, sous un autre nom, plusieurs ouvrages sur la démarche spirituelle.


Lire également "le séminaire sectes et laïcité de la Miviludes"

Le Guide de l'agent public face aux dérives sectaires

Le Guide des Maires

et le rapport 2003

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