L'impossible tolérance ?

 

L'IEP de Toulouse met à disposition un mémoire de Monsieur Lionel Mariani intitulé : 

"Les réponses politiques à la "question des sectes" - l'exemple français de l'impossible tolérance."



Un travail exemplaire 


Ce mémoire est une description très complète et équilibrée de la lutte anti-secte moderne en France depuis sa genèse dans les années 70 jusqu'à nos jours. Il faut en particulier saluer le travail de vérification méthodologique employé par l'auteur pour s'affranchir au mieux "de multiples biais [qui] risquent à tout moment de faire trébucher le chercheur dans une analyse teintée de subjectivité (...) Tout chercheur en sciences sociales se doit donc de réaliser une surveillance intellectuelle de soi afin de rester conscient des possibles interférences du parcours et de l’habitus social sur la production scientifique". L'auteur mentionne en particulier ses différents stages au sein du Bureau Central des Cultes (au Ministère de l'Intérieur) et à la MIVILUDES et les liens d'amitié qui ont pu teinter ses analyses.

Ce document de qualité intéressera toute personne souhaitant comprendre le climat français relatif à la question des sectes et les réponses apportées par les différents acteurs politiques. Toutes les parties impliquées sont présentées et citées, ce panorama permet au lecteur d'avoir une vue d'ensemble et de se forger sa propre opinion, une attitude éditoriale que l'on aimerait voir dans les médias sur ce sujet.

La critique du CICNS


Nous ferons néanmoins un ensemble de remarques concernant la description de l'action de la MIVILUDES, non pas pour critiquer la qualité et l'équilibre permanent des éléments présentés, mais pour commenter ce qui peut s'apparenter à une prise de position peu convaincante (teintée peut-être par les liens d'amitiés évoqués ci-dessus) et une difficulté (dans ce cas précis) à appeler un chat un chat. Nous sommes conscients que l'auteur n'a pas souhaité analyser l'efficacité des réponses politiques. Son propos nous donne cependant l'occasion d'évoquer cet aspect.

Lionel Mariani conclut son mémoire par ses mots : "Le référentiel de la dangerosité intrinsèque des sectes reste en effet prédominant et légitime, a fortiori, une approche publique en terme de lutte. Toute approche nuancée voire compréhensive semble difficile : « l’impossible tolérance » face aux sectes semble être la seule option envisageable et légitime en France."

"Le référentiel de la dangerosité intrinsèque des sectes" est-il légitime ? C'est le coeur du problème. Cette dangerosité ne peut se qualifier scientifiquement que comparativement, comme l'a exprimé Eileen Barker lors du colloque que nous avons organisé sur le thème : "Sectes : fléau social ou bouc émissaire ?". Quelles études, sur n'importe quel domaine à la mode : pédophilie, abus de faiblesse, violence etc., montrent-elles que lesdites sectes sont un foyer de dangerosité plus important que le reste de la société ? A notre connaissance il n'en existe pas et pour cause. Si ces études étaient faites elles montreraient peut-être que cette dangerosité est moindre et la question serait non pas celle du danger sectaire mais plutôt celle de l'apport positif des minorités spirituelles. Or la dangerosité des sectes en général est un a priori, une fausse évidence qu'on ne souhaite même pas questionner. Ce qui nous amène à l'action de la MIVILUDES.

L'auteur du mémoire précise : "Le terme de « durcissement » étant trop fortement connoté, il ne traduit pas la réalité de l’évolution actuelle de la structure interministérielle chargée de la conduite de la réponse politique au « problème des sectes ». Par approfondissement du caractère répressif il faut en réalité entendre la redéfinition et la mise en oeuvre d’une politique plus offensive, par rapport à la MIVILUDES de Jean-Louis Langlais et Gilles Bottine, dans le but de lutter plus efficacement en amont et en aval des dérives sectaires" et plus loin : "Pour autant, contrairement à ce qu’ont pu dire certains, rien, dans les faits, ne peut laisser supposer que la Mission interministérielle se soit transformée en une structure « déraisonnable », « obscurantiste » ou « liberticide »".

Est-il raisonnable de prétendre, sans preuve et avant enquête, à l'unisson avec les députés du groupe d'étude sur les sectes, que 80.000 enfants seraient en danger dans les sectes ?

 

Est-il raisonnable de prétendre, après enquête parlementaire et avec la preuve du contraire, à l'unisson avec les députés de la commission, que 80.000 enfants sont en danger dans les sectes ?

Est-ce une preuve de respect des libertés fondamentales pour le président de la MIVILUDES que de dire (des mots qu'il a prononcés devant nous) : "N'y aurait-il qu'une victime, ma politique se justifie", sans prendre en compte les dommages collatéraux de cette politique ?

Est-ce une preuve de respect des libertés fondamentales de cautionner ainsi des assauts policiers tels que les ont subis certaines personnes (personnes mises à terre avec un pistolet sur la tempe) et les innombrables discriminations subies par d'autres en raison de leur choix de vie ?

N'est-ce pas une preuve d'obscurantisme que de refuser le contradictoire de la majorité des chercheurs en sciences sociales sur la question des minorités spirituelles ? 

N'est-ce pas de l'obscurantisme que de parler de fléau social sans en apporter la moindre preuve et sans activer les leviers permettant d'apporter ces preuves ? Pour un problème de la taille d'un fléau social, une preuve serait un consensus de la communauté scientifique (sciences humaines) et juridique sur ces questions : quelles actions la MIVILUDES a-t-elle entreprises dans ce sens ?

Il faut appeler un chat un chat. Le durcissement de la politique de la MIVILUDES est patent et le terme de "durcissement" se justifie car il n'y a aucune rationalité derrière ce changement de politique mais plutôt une réponse politique opportuniste. Lionel Mariani parle de la compétence du personnel de la MIVILUDES en ces termes : "Ainsi, avec leur savoir-faire de fonctionnaires, ces individus sont en capacité d’opérer des montées en généralité ou des descentes en technicité sur les questions relevant du phénomène sectaire". Une véritable volonté de dialogue et une ouverture d'esprit auraient sans doute été plus utiles. La mission interministérielle est une mauvaise réponse à un faux problème ou, au mieux, une question mal posée, et son action en l'état ne pourra que générer tension et confusion. La réponse adéquate aujourd'hui en France est la création d'un véritable observatoire des nouvelles spiritualités qui puisse appréhender la question de l'émergence spirituelle de ces dernières années dans son ensemble et pas seulement sous l'angle de la dangerosité.

 

Haut de page


© CICNS 2004-2015 - www.cicns.net (Textes, photos et dessins sur le site)