Le MacCarthysme

Un autre précédent de chasse aux sorcières

Dans le condensé de l'article de Jérome Fernoux que nous vous proposons ci-dessous, certains passages ont été mis en italiques et en blanc. Les commentaires entre parenthèses, relatifs à la question qui nous occupe sur ce site, ont été ajoutés par le webmaster (ndw) du site du CICNS Une lecture rapide de ce condensé peut donc être faite ici en ne parcourant que les paragraphes en italiques et les notes.

INTRODUCTION

(...) Le Maccarthysme trône aujourd’hui parmi les nombreux lieux communs et raccourcis idéologiques permettant de faire instantanément comprendre au citoyen Lambda que l’affaire est grave et l’inquisition à l’ouvrage. Les développements dont notre étude fera l’objet montreront comment et pourquoi cette période, durant laquelle déclamer des vers de Nabokov délivrait un passeport pour l’un des comités d’enquête sur les activités " non-américaines ", a généré un traumatisme profond qui explique pour une grande part la consécration que nous venons d'évoquer.

Une analyse seulement descriptive s’avérerait ici fastidieuse du fait du nombre important de domaines touchés par le Maccarthysme. Dans l’univers politique en premier lieu, puisque ce phénomène apparaît dans le contexte de la guerre froide. La sociologie tient aussi une place déterminante dans sa gestation et son développement. L’Histoire enfin nous donne une idée très précise de la manière dont il convient d’appréhender cette manifestation de la haine envers un groupe donné. A la variété des causes succède celle des conséquences. La sphère politique tout d’abord, car nous le verrons, ce phénomène est sous-tendu par une idéologie politique très marquée. Le domaine psychologique ensuite, par les méthodes employées et les retombées que les enquêtes ont pu avoir sur les hommes qui ont dû s’y soumettre. En matières philosophique et juridique enfin, au regard tout d’abord des implications au niveau des libertés publiques, mais aussi des éléments législatifs et judiciaires qui ont marqué ces années. La tentation de donner à notre étude la seule forme d’un inventaire a donc été écartée, car trop rigide mais surtout sans aucune perspective.

Le mot Maccarthysme est la substantivation du nom d’un sénateur américain, Joseph McCarthy, qui fit une entrée fracassante sur l’avant-scène politique en soupçonnant le département d’Etat d’être un repaire de communistes, tandis que le pays entier était conditionné à voir dans toute conception progressiste de la société une menace évidente sur la survie du rêve américain. Le célèbre caricaturiste du Washington Post Herbert Block a le premier employé ce substantif dans un dessin  paru un mois après le premier discours de McCarthy à Wheeling. Le Maccarthysme est l’épuration de l’Administration, puis de la société américaine entière ensuite, " infestée " selon lui d’agents communistes subversifs cherchant le renversement du gouvernement par la force. Cette conception, que nous pouvons d’ores et déjà classer dans l’extrémisme, ici de droite, a trouvé plusieurs applications juridiques que nous aborderons longuement dans cette étude. Cette définition reste cependant trop restrictive. A Fulton Lewis jr., un animateur de radio nationale de l’époque qui y voyait l’américanisme, Richard H. Rovere dans sa biographie très complète du sénateur répond qu’ "il [McCarthy] était une force essentiellement destructrice, un partisan de la révolution sans vision révolutionnaire, un rebelle sans cause ". Malgré l’effort de conceptualisation de ces deux analyses, elles donnent une image qui nous paraît encore trop réductrice. Tel que nous l’avons présenté jusqu’ici, le Maccarthysme apparaît comme un mouvement circonstanciel, qui fait dire avec Marie-France Toinet auteur de "la chasse aux sorcières, le Maccarthysme" qu’il s’agit de la " quintessence d’une hystérie collective personnifiée par un démagogue génialement manipulateur ". Le Maccarthysme est ici réduit à son seul inspirateur qui, quoique déterminant dans son existence, occulte une part immense du champ ouvert par la question.

Le Maccarthysme est bien plus que tout cela. Il nous apparaît comme un mouvement impersonnel, un comportement récurrent qui a pris et pourrait encore prendre dans l’Histoire des noms différents. Notre propos n’est pas de mesurer le Maccarthysme par rapport au nazisme, à la terreur de 1793 ou à la Sainte Inquisition, mais de montrer que les mécanismes auxquels il a obéi sont les mêmes qui ont amené ici ou là une tragédie parce que laissés libres d’entrave voire encouragés. Le Maccarthysme n’est pas allé aussi loin que le nazisme. Cependant la question que nous devons dès maintenant nous poser, et qu’il convient de garder à l’esprit tout au long de cette étude, est de savoir si un nationalisme ou une peur momentanée de l’homme, dont le ressort idéologique s’appuie immuablement sur l’exclusion et la malédiction de la différence, ne porte pas toujours en germe le bulbe de la peste qui a ravagé le siècle passé. C’est la raison pour laquelle le Maccarthysme doit être mis en perspective. Bien que notre étude porte sur les mesures prises par le gouvernement américain pour détruire ce qu’il estimait être une menace pour sa sécurité, il conviendra de dépasser cet aspect circonstancié des événements pour en mieux saisir les mécanismes profonds et récurrents (...)

1 CHRONOLOGIE ANALYTIQUE DU MACCARTHYSME

Les ancêtres du Maccarthysme

(...) En 1798 ce sont les Français qui sont voués aux gémonies. La révolution ne plaît guère aux autorités américaines qui votent un ensemble de lois connues sous le nom d’alien and sedition acts permettant notamment au président des Etats-Unis de décréter l’emprisonnement ou la déportation de tout étranger " dangereux pour la paix et la sécurité des Etats-Unis ou dont on peut raisonnablement soupçonner qu’il est impliqué dans des machinations secrètes ou qui constituent une trahison contre le gouvernement des Etats-Unis. " Nous verrons que les termes et le raisonnement en vigueur à la fin du XVIII° siècle trouveront encore un écho en 1950. Si une telle crainte de l’extérieur pouvait se comprendre pendant une période où les Etats-Unis devaient ou venaient de s’affirmer face aux puissances coloniales, le même réflexe paraît moins explicable en 1950 alors qu’ils ont accédé au statut de grande puissance.

Nous le voyons ici, l’étranger ou l’inconnu fait traditionnellement peur aux américains. Il déclenche une vague de rejet qui se traduit par une volonté d’extermination de ce qui est perçu comme l’expression du Mal. Les communistes vont en faire l’expérience dès les années vingt. S’ensuivront alors des vagues d’attraction et de répulsion successives au gré des événements politiques intérieurs et surtout extérieurs sans que jamais une volonté d’intégration de la doctrine marxiste ne soit envisagée par la classe politique. Eleanor Roosevelt dont le mari fut président des Etats-Unis de 1932 à 1945 et parfois soupçonné de sympathies communistes pour sa gestion progressiste des affaires économiques et sociales, écrira à propos des professeurs d’université renvoyés à cause de leurs opinions marxistes : " On ne peut souscrire au parti communiste et être en même temps un bon citoyen américain, encore moins un professeur. " Il n’y a aucune acceptation, même du côté gauche de l’échiquier politique, des idées communistes. Elles seront toujours perçues comme une menace pour la société et l’existence même des Etats-Unis, légitimant ainsi des répressions souvent brutales.

Les années vingt ou le pré-maccarthysme

L’année 1917 voit la révolution triompher en Russie et avec elle la doctrine marxiste-léniniste. Celle-ci prône la dictature du prolétariat qui supprimera la notion de classes sociales amenant finalement la disparition de l’Etat instrument de la préservation des inégalités dès lors dépourvu d’objet. Un désaccord politique et social apparaît donc entre les deux pays, accentué par le retrait des troupes russes jusque là alliées des Etats-Unis dans le conflit mondial.

La fin des hostilités va cependant rapidement être relayée par des secousses dans la société américaine. Plusieurs grèves dans les secteurs métallurgique et sidérurgique, auxquelles s’ajoutent des problèmes liés à la prohibition et à la campagne des suffragettes pour le droit de vote des femmes plongent l’Amérique dans une crise sociale qu’elle va croire résoudre en stigmatisant une fraction infime de sa population : les communistes. C’est pour l’heure Mitchell Palmer, Garde des Sceaux, qui sonne l’hallali : " Les langues du feu révolutionnaire viennent lécher les autels des églises, jaillir dans les beffrois des cloches des écoles, ramper jusqu’aux recoins les plus sacrés des maisons américaines, remplacer les serments du mariage par les lois du libertinage, enflammer les fondations de la société. " La métaphore n’a pas grande valeur poétique, mais marque suffisamment les consciences. Aussi quand durant l’été 1919 une succession d’attentats anarchistes frappent les Etats-Unis, culminant le 2 juin avec huit villes visées dont la capitale Washington et la propre maison de Palmer, il ne fait plus aucun doute que les anarchistes sont en fait des communistes. L’élection du représentant socialiste du Wisconsin est annulée par le congrès et Palmer, croyant y voir une approbation tacite de sa croisade par les représentants de la nation, réunit des commandos qui vont frapper les bastions de la gauche et l’extrême gauche américaines que sont les syndicats et les locaux du parti communiste. Le point culminant de ces " Palmer raids " sera atteint en décembre 1919 avec la déportation en toute impunité de 249 sympathisants communistes vers l’Union soviétique.

Ces prémices du Maccarthysme révèlent un processus intéressant soulignant deux réflexes. D’une part le manque de capacité de la société américaine à remettre en question son modèle social. Si ce dernier chavire, la cause en vient obligatoirement d’un élément exogène incompatible avec les standards de " l’american way of life" D’autre part, une tendance à systématiquement rapprocher une menace intérieure à une crainte extérieure, cette dernière interprétée comme l'inspiratrice et le soutien de la première. Il s’agit donc de légitimer une répression qui, objectivement manque de justifications. Nous retrouverons, pour une part, ce même type d’amalgame avec le Maccarthysme.

Normalisations et ruptures de l’entre-deux guerres

La conférence de Yalta en février 1945 fait à nouveau basculer l’Amérique dans la phobie rouge, position d’autant plus durable que la droite conservatrice a pris le pouvoir au congrès. L’année 1947 marque le début d’une radicalisation des autorités américaines. Le président Harry Truman propose un plan d’aide pour la Grèce en lutte contre des rebelles communistes, et profite d’un discours à ce sujet pour dresser un état du monde. Il existerait deux sortes de pays. Ceux fondés sur la volonté du peuple et ceux basés sur la volonté d’une minorité qui se maintient par la terreur et l’oppression. Le communisme est assimilé au fascisme. Ce manichéisme nous ramène à la prose de Palmer et ses références religieuses. Ici sont clairement identifiés le Bien et le Mal, dans une redoutable simplification des relations internationales (voir la situation actuelle avec le terrorisme ndw).

Le détonateur de Wheeling

(...) Le peuple américain ne se préoccupait guère des communistes. Il a toujours été opposé à l’idéologie marxiste-léniniste sans cependant aller jusqu’à souhaiter une extermination des communistes. Pourtant la chasse aux communistes va prendre dès 1950 une ampleur sans précédent, s’apparentant toujours plus à l’Inquisition dont elle empruntait certaines procédures (...) Nous l’avions déjà évoqué dans notre introduction, le Maccarthysme n’est pas allé aussi loin que le nazisme. Joseph McCarthy n’était pas non plus Torquemada. Gardons cependant en mémoire cette analyse de John E. O’Connor dans son article Analysing Ed. R. Murrows’s report on J. McCarthy dans lequel il note que " la peur du communisme a amené le peuple à écouter Mccarthy. La peur d’être visé par lui ou porté sur une liste noire a intimidé l’opinion qui n’a pas osé se dresser contre lui. La peur a fait plus que rendre l’opposition silencieuse ; elle lui a fait accepter l’abrogation des droits constitutionnels reconnus à tout individu sans la moindre protestation. "

(...) La classe politique américaine n’a jamais accepté de considérer les thèses marxistes comme philosophiquement valables. Harry Truman ira jusqu’à dire dans son adresse inaugurale de 1948 que le communisme est une fausse philosophie. Les nouveaux maîtres du congrès veulent aller plus loin que le simple rejet ; ils veulent une éradication. Dès lors, si les démocrates veulent reconquérir le pouvoir, ils devront chasser sur les terres républicaines dont le cheval de bataille est l’anti-communisme. Il y a donc, dès la fin des années quarante et plus encore lors de la prise du congrès par les républicains, un consensus politique sur la question des communistes : ils doivent disparaître.

McCarthy perçoit qu’il tient là un thème qui touche tout l’échiquier politique et donc la possibilité de se populariser à outrance. Le 9 février 1950, il prononce à Wheeling un discours au cours duquel il accuse le département d’Etat d’employer sciemment 205 membres du parti communiste qui agiraient pour le renversement du gouvernement sous les auspices de l’URSS. Ici pointe la dialectique qui sera à l’oeuvre durant toute cette période et au sein de tous les comités d’enquête qui vont être créés : la loyauté envers le PC signifie systématiquement la déloyauté envers les Etats-Unis. Un mois après le discours de Wheeling Mccarthy réitère devant le Sénat et expose en détail 81 cas de trahison (1). Ce discours n’est pas fondateur au sens strict du terme de la volonté de traquer les communistes qui se trouvent sur le sol américain. Il n’est pas le plus violent. D’autres propos le sont beaucoup plus et son livre Fight for America (Fight se dit Kampf en allemand…) fait office de véritable bible. Il est par contre un formidable détonateur qui amène jusque dans l’Amérique profonde la peur des communistes. Un dessin paru dans le journal united electrical news le 14 février 1950 où un vendeur de meubles présente un modèle de chambre à coucher avec un lit sans pieds " spécialement conçu pour les gens qui ont peur d’avoir des rouges sous leur lit. " traduira parfaitement ce sentiment.

De 1950 à 1954, Mccarthy tient le flambeau de l’anticommunisme, le président Truman jusqu’en 1952 puis Eisenhower à partir de ce moment le soutiennent plus ou moins ouvertement. Le congrès crée des comités d’enquêtes sur la pénétration communiste dans la société américaine et son Administration (un parallèle peut être fait aujourd'hui entre les associations de militants anti-sectes et le soutien qu'ils reçoivent plus ou moins discrètement des autorités ndw). Les Etats fédérés imitent cette fièvre inquisitoriale et les atteintes aux droits civils se multiplient. Le terme de chasse aux sorcières, en référence à l’affaire de Salem, apparaît. 

(...) Les pays européens, indique Franck L. Schoell dans son "Histoire des Etats-Unis", ont pensé à ce moment que les Etats-Unis allaient basculer dans le fascisme. Nous allons voir, par une étude du fonctionnement des organes qui ont appliqué les sermons de Mccarthy, que la chasse aux sorcières était ouverte à tous les pouvoirs, judiciaire, exécutif et législatif. Le Maccarthysme a dépassé de beaucoup Joseph Mccarthy en se servant de lui comme un vulgaire prête-nom.

2 L’APPAREIL INQUISITORIAL ET SES PRINCIPES DE FONCTIONNEMENT

L’arsenal législatif et réglementaire.

Beaucoup de textes ont servi au développement du Maccarthysme. Des textes législatifs d’abord (voir les lois actuelles votées "contre les sectes" ou "contre le port du voile islamique" ndw), qui donnent les grandes orientations sans cependant négliger le détail.

La surveillance des étrangers

En 1940, l’ Alien registration act, dit aussi Smith act du nom de son inspirateur, impose aux étrangers désireux de fouler le sol américain de se faire enregistrer et de répondre à cette question qui figure encore sur les cartons distribués dans l’avion avant l’atterrissage aux Etats-Unis : " Êtes-vous ou avez-vous été membre du parti communiste ou d’une organisation qui lui est affiliée ? " Il faut noter que cette loi s’applique tant aux nationaux qu’aux étrangers. Elle constitue la première atteinte manifeste à la liberté d’expression et de pensée contenue dans le premier amendement de la Constitution américaine de 1776, interdisant au gouvernement de faire une loi qui restreindrait la liberté de parole.

Le deuxième texte concernant la surveillance des étrangers est l’internal security act, dit aussi Mac Carran act, voté en 1950 et qui renforce les dispositions du Smith act en matière d’immigration notamment par un contrôle beaucoup plus drastique des octrois de visas. Cette loi renforce aussi les sanctions en matière d’espionnage en disposant que tout individu " soupçonné " d’avoir communiqué, transmis ou livré une information " mettant en péril la sécurité nationale " sera poursuivi pour trahison et faits d’espionnage. Le soupçon a remplacé la preuve (...) La notion de sécurité nationale ne sera jamais clairement définie par le législateur américain, laissant ainsi une large place au pouvoir d’interprétation du juge (cela rappelle la volonté actuelle de ne pas définir le mot "secte" laissant le même pouvoir d'interprétation aux juges d'aujourd'hui ndw). Il en va de même pour le terme " soupçonné " qui donne la prévalence à l’intime conviction sur la preuve formelle.

En 1952, le congrès vote l’immigration and nationality act qui autorise les autorités policières à placer sous contrôle judiciaire les étrangers ayant des activités " subversives. " La notion d’ "activité subversive " n’étant pas clairement définie et incombant aux autorités chargées du contrôle, la procédure va totalement à l’encontre des règles de procédures légales fixées, le " due process of law "

Pour terminer, en 1953, la circulaire du secrétaire d’Etat Dulles, qui deviendra sous la présidence de Lyndon Johnson patron de la Central Intelligence Agency, interdit les ouvrages " communistes " dans les centres culturels américains à l’étranger. Nous retrouvons ici l’atteinte à la liberté d’expression et de pensée défendue par la Constitution.

La surveillance de l’Administration

( ...) Le décret présidentiel n° 9835, pris en mars 1947, impose à tout fonctionnaire fédéral de se soumettre à une procédure d’évaluation de son loyalisme. Cette procédure implique notamment la signature d’un serment de loyauté dans lequel l’intéressé reconnaît ne pas être affilié au parti communiste. En cas de décision défavorable, conduisant à son limogeage, le fonctionnaire peut faire appel devant un conseil de révision de la loyauté qui donne un avis au gouvernement. Chaque fonctionnaire peut être mis en cause s’il appartient à une organisation " désignée par le garde des sceaux comme totalitaire, fasciste, communiste ou subversive, ou comme ayant adopté une politique prônant ou approuvant des actes de force ou de violence pour dénier à des personnes leurs droits constitutionnels, ou cherchant à modifier la forme de gouvernement des Etats-Unis par des moyens anticonstitutionnels. " Il pèche, comme les textes que nous avons déjà évoqués, par le flou juridique des notions qu’il entend incriminer. La notion de loyalisme n’est pas définie, laissant la place aux interprétations personnelles des agents chargés d’éprouver celui des fonctionnaires. Ce texte sera modifié en 1951 dans un sens plus restrictif, en disposant que désormais le doute et non plus " l’évidence, raisonnablement évaluée " permettra de limoger un fonctionnaire en mettant en cause sa loyauté.

La surveillance des syndicats

Le Taft-Hartley act voté en 1947 par le congrès très conservateur élu en 1946 impose à tout dirigeant syndical de prêter serment qu’il ne fait pas partie du parti communiste ou qu’il ne soutient pas une organisation qui prône ou enseigne le renversement du gouvernement par des moyens inconstitutionnels. Un syndicat dont le dirigeant ne prête pas serment n’est plus représentatif et perd donc son droit à participer aux négociations collectives. La loi est ouvertement anticommuniste et en complète contradiction avec le premier amendement. Elle aura des conséquences désastreuses sur la représentation syndicale aux Etats-Unis, puisque le patronat constituera ses propres listes noires, listes sur lesquelles tous les sympathisants communistes ou supposés tels sont inscrits, et pratiquera une discrimination à l’embauche parfaitement illégale.

Cette présentation de l’arsenal législatif et réglementaire ne saurait oublier celles des dispositions qui ont eu des répercussions sur les particuliers, indépendamment de leur profession ou de leur nationalité.

La surveillance des particuliers

Mitchell Palmer, dont nous avons déjà pu apprécier les qualités de poète, avait créé en 1920 la liste dite du Garde des Sceaux qui répertoriait six types d’organisations dont les activités étaient jugées subversives et partant devaient être interdites. Toute personne adhérente à l’une de ces organisations commettait un crime. Cette liste sera rétablie en 1947. Elle aura pour effet principal de désagréger le tissu associatif américain puisque le Garde des Sceaux pouvait, pour tout motif d’opportunité, faire interdire une association qu’il jugeait correspondre aux critères retenus par le décret présidentiel n° 9835 déjà cité. (voir aujourd'hui, en France, la liste parlementaire de 1995 ndw).

C’est le Smith act qui sera la meilleure arme des chasseurs de communistes (...) Locke nous a appris que le peuple dispose du droit de résistance à l’oppression dans le cas où le trust serait rompu par le gouvernement. Le Smith act dénie ce droit aux américains qui devraient fléchir sous la botte d’un dictateur sans s’opposer à lui sous peine d’être traduits devant les tribunaux pour crime. Le gouvernement pourrait prendre la forme d'une tyrannie absolue, il serait illégal de s’y opposer. Lorsque nous aurons vu que le Smith act va servir d’argument de base à la condamnation des dirigeants communistes à partir du milieu des années quarante et surtout après 1950, il ne fait plus aucun doute que l’Amérique était proche du fascisme durant ces sombres années. D’autre part, il est nécessaire de comprendre que le Maccarthysme est venu s’agréger à ces dispositions. La proposition de le voir comme un mouvement impersonnel telle que nous l’avons formulée en introduction se voit ici renforcée. Le Maccarthysme a donné son nom à des mécanismes qui le précédaient, qui avaient une existence autonome et dont la marque a ravagé l’Histoire de l’Humanité. Ainsi s’il n’est pas allé aussi loin que le nazisme ou l’Inquisition, comme nous le soulignions précédemment, c’est sans doute par manque de temps, non de moyens.

Le Mac Carran act de 1950 vient renforcer ce point de vue puisqu’il autorise la création de camps de concentration susceptibles d’accueillir les agents de la subversion en cas d’urgence décrétée par le président (...) Le Mac Carran act doit encore être retenu pour avoir créé le " subversive activities control board " chargé de déterminer quelles associations entraient dans la catégorie communiste ou pro-communiste. Ces dernières devaient alors se faire enregistrer auprès du Garde des Sceaux qui interdisait à ses membres de devenir fonctionnaire en application du décret n° 9835 et déférait ses dirigeants devant les tribunaux en vertu du Smith act. La non-déclaration étant punie de lourdes amendes ou d’emprisonnement, il ne restait plus à ces associations qu’à se dissoudre elles-mêmes.

En 1954, le communist control act déchoit le parti communiste de ses droits et privilèges en tant qu’association, sans pour autant le déclarer illégal, portant la législation américaine à un degré de raffinement en matière d’hypocrisie qu’elle n’avait atteint jusqu’alors qu’en matière de ségrégation raciale. 

Les individus dont le FBI juge les activités suspectes n’obtiennent pas de visa pour l’étranger, leurs correspondances privées sont ouvertes dès 1948 par les services des postes, toute parole en faveur de l’URSS est interprétée à partir de 1950 comme une preuve de déloyauté et de volonté de renverser le gouvernement des Etats-Unis par la force. Les communistes sont donc au centre d’un tir législatif croisé qui vise à les confondre et les éradiquer sans que le congrès prenne jamais la responsabilité d’interdire le parti communiste.

Cette volonté farouche d’exterminer la " vermine communiste " (à mettre en parallèle aujourd'hui avec les propos très similaires de Roger Ikor à l'égard des religions et de toutes démarches spirituelles ndw) dont parlait Mccarthy disposait d’une aide précieuse, celle des comités législatifs créés par le congrès afin, officiellement, d’aider les représentants dans leur travail législatif par une meilleure connaissance de la pénétration communiste au sein de la société américaine. Louable attitude d’un législateur soucieux d’appréhender un problème dans toute sa richesse et sa complexité avant d’en déterminer les meilleurs remèdes. Outre que les remèdes, nous venons de le voir, n’ont pas vraiment reflété cette sérénité affichée, les comités ont vite dépassé les exigences du travail législatif pour se tourner vers la pratique plus distrayante de l’Inquisition.

Les comités législatifs à l’assaut des droits des individus

Plusieurs comités vont jouer un rôle important dans la marche du Maccarthysme vers la purification. Chaque chambre du congrès disposera de son comité d’investigation. Nous avons retenu deux de ces comités pour illustrer ce phénomène où au relâchement progressif du contrôle parlementaire a correspondu une atteinte de plus en plus marquée aux droits constitutionnels de l’individu.

The House on Un-American activities Committee

Le plus fameux des comités qui ont ainsi fleuri durant la chasse aux sorcières est le House on Un-American activities Committee ou HUAC, comité placé sous l’autorité de la chambre des représentants (...) Outre le nombre impressionnant d’enquêtes et d’auditions qu’il va diligenter de 1945 à 1958 (environ 350 et 3000 auditions de témoins), c’est devant ses membres que tout Hollywood va défiler pour attester ou nier la réalité de la pénétration communiste dans les studios cinématographiques américains. L’épisode le plus frappant de ces auditions restera la condamnation des Dix d’Hollywood qui, pour avoir refusé de répondre à la question "êtes-vous ou avez-vous été membre du parti communiste ? " seront inculpés d’outrage au congrès et condamnés à des peines de prison par un tribunal de droit de commun. Les studios et les syndicats d’acteurs, Ronald Reagan en tête, annoncent qu’ils n’emploieront plus de sympathisants communistes, Chaplin et Brecht fuient les Etats-Unis après avoir été grossièrement attaqué dans la presse pour Chaplin et interrogé par HUAC pour le poète allemand. L’industrie du cinéma a bien sûr été affaiblie par ces investigations qui entrent directement en conflit avec un art pour lequel la liberté d’expression est la sève. Il faut cependant savoir que la plupart des exclus d’Hollywood ont pu continuer leur travail sous des noms d’emprunt ou bien à l’étranger. La même possibilité était par contre rarement offerte à ceux, moins connus, qui se sont fait convoquer par une commission d’enquête pour avoir simplement dans leur bibliothèque un ouvrage traitant de la condition des ruraux en Russie ou parce que leur nom a été évoqué au cours d’une audition.

Le comité Canwell

A côté de HUAC, nous retrouvons nombre de structures identiques créées par les Etats fédérés, eux aussi désireux de prendre leur Bastille. Dans l’Etat de Washington, c’est le comité Canwell dont la notoriété ne traversa pas l’Atlantique mais qui put jouir d’un prestige indéniable grâce notamment au caractère pour le moins affirmé de son président Albert J. Canwell. Le comité se distingua en effet par son mépris des buts et procédures légales ayant présidé à sa création, et son président par (son)  irascibilité. La résolution prise le 26 février 1947 par la chambre des représentants de l’Etat de Washington portant création d’un comité sur les activités " un-americaines " est tout aussi édifiante. Elle lui donne pour mission de tenir des auditions publiques, de rassembler tout document et d’entendre tout témoin susceptible d’aider au travail législatif de la chambre, de saisir les juridictions compétentes quand il l’estime nécessaire à la poursuite de ses investigations et enfin " de faire toutes choses nécessaires pour qu’il puisse exercer ses pouvoirs et atteindre les buts fixés par cette résolution " . En langage métaphorique cela s’appelle un chèque en blanc et en langage juridique les pleins pouvoirs. 

Les commissions de discipline universitaires

Les universités, pour la plupart privées aux Etats-Unis, sont un secteur très sensible pour le Maccarthysme qui voit là l’opportunité pour un professeur communiste d’endoctriner une jeunesse encore mal assurée dans ses choix politiques  (on retrouve ici un autre parallèle avec la crainte actuelle que "les sectes" ne pervertissent la jeunesse et les consignes distribuées dans l'éducation nationale en France pour se prémunir d'un tel risque ndw) Pour pallier cette éventualité, les étudiants seront fichés par un bureau de collecte des informations propre à leur université qui pourra à tout moment et sur simple requête d’un comité législatif transmettre les dossiers ainsi constitués. Le cas des professeurs va donner lieu à un intense débat dans la communauté universitaire américaine, entre les partisans d’une interdiction d’enseigner pour les professeurs sympathisants des thèses marxistes-léninistes et ceux qui voient dans cette interdiction une intolérable atteinte à la liberté académique. 

Pour le président de l’Université de Washington, Raymond Allen, un communiste n’est pas un homme libre, donc un professeur communiste ne peut pas enseigner (cette certitude fait songer à l'affirmation des ADFI aujourd'hui qui prétendent que les membres de sectes ne sont pas libres à leur insu !). Nous rejoignons ici le problème de la liberté académique. Pour M. Allen, dans un article qu’il fit publier dans la revue Educational forum en mai 1949 : "la classe a été appelée la chapelle de la démocratie. En tant que prêtres du temple de l’éducation, les membres du corps enseignant ont un devoir sacré d’expulser de leurs rangs le faux prophète du communisme. "  (encore une similitude étonnante avec les discours actuels contre le port du voile islamique dans les écoles Françaises et "le temple laïque" que constitue l'éducation nationale qui ne saurait être souillé par les salissures religieuses) 

Les atteintes aux droits des individus

(...) La pratique, et les textes parfois nous l’avons vu avec le comité Canwell, montrent que les comités appliquent des procédures juridictionnelles sans pour autant garantir la réciproque à leurs victimes. L’individu se voit donc mis en cause et traité comme un accusé sans disposer des droits que le " due process of law " lui garantit dans le cadre d’une procédure pendante devant un tribunal (voir la situation dans les tribunaux français largement influencés par  l'hystérie collective au sujet des "sectes". Sans que la justice française n'atteigne aujourd'hui les dérives du Maccarthysme, on peut s'interroger sur le glissement progressif auquel nous assistons et qui pourrait à terme inexorablement mener à une semblable dictature). 

Melvin Rader dut témoigner devant le comité Canwell pour son appartenance au parti communiste. Sa carrière universitaire fut brisée et il décrit, dans un livre foisonnant sur les pratiques de la chasse aux sorcières False witness paru en 1969, la procédure en vigueur devant le comité : " Durant l’audition, il n’y avait aucune des protections assurées par la Constitution devant une cour de justice. Les libertés des premier et cinquième amendements étaient violées par une pratique quasi-inquisitoriale. Il n’y avait ni juge ni jury, aucun droit à un contre-interrogatoire des témoins hostiles, aucune possibilité de soumettre une preuve ou un témoignage à l’appui de sa propre défense. Bien que l’assistance d’un conseil fût autorisée, celui-ci était soit réduit au silence soit drastiquement limité dans l’objet de ses discours. Au lieu d’être présumé innocent tant que la preuve de la culpabilité n’a pas été apportée, on avait la charge de prouver son innocence (Il se produit la même chose actuellement en France (voir l'affaire l'Essentiel ndw). "  Nous pourrions citer un nombre conséquent de témoignages allant dans ce sens. Celui-ci nous semble le plus complet dans la mesure où il couvre l’ensemble des aberrations du système. Il suggère par ailleurs l’idée que les comités voulaient avant tout corroborer leurs préjugés plutôt que découvrir la vérité.

(...)  Le comité interroge alors ces personnes une par une avec cette sempiternelle question:  " êtes-vous ou avez-vous été membre du parti communiste ? " Deux possibilités s’offrent alors au témoin devenu accusé. Soit il répond par l’affirmative et donne quelques noms afin de gagner un peu de crédibilité aux yeux des membres du comité et leur prouver qu’il a ou va réellement rompre avec le parti. Soit il refuse de répondre ou ne donne aucun nom et se voit convoqué pour une deuxième audition afin de lui laisser le temps de bien réfléchir à sa position. S’il maintient le cap, il est alors déféré devant un tribunal de droit commun pour outrage au congrès et n’a plus pour ultime recours que la cour suprême des Etats-Unis. Ces pratiques de délation et de reconnaissance de ses crimes, ici l’appartenance au parti communiste, rappelle la technique des communistes chinois à leur prise de pouvoir en 1949 exigeant de leurs prisonniers qu’ils confessent des crimes qu’ils n’avaient pas toujours commis. Les propos de M. Jackson qui siégea à HUAC, et rapportés par Victor Navasky dans son livre Naming names publié en 1980, vont parfaitement dans le sens d’un tel rapprochement : " Je n’accordais aucune valeur au témoignage d’un individu qui n’était pas disposé à venir devant le comité dans le but de coopérer et qui conservait du respect pour les activités du parti communiste. " Cette adéquation entre des pratiques communistes et celles d’individus mettant toutes leurs forces dans le combat contre les idées marxistes-léninistes serait savoureuse s’il ne nous ramenait pas à ce constat que les procédures initiées avant Mccarthy et démultipliées par la force de ses idées comportaient les germes d’une tragédie pourtant encore fumante en 1950.

La dernière des remarques à propos des atteintes aux droits des individus par les comités législatifs porte sur deux notions plus larges et moins techniques, celles des libertés de conscience politique et d’expression. Il s’agit de garanties que l’on retrouve dans tout dispositif constitutionnel démocratique. Les Etats qui bafouent l’une de ces deux libertés basculent aussitôt dans la catégorie des régimes totalitaires niant l’autonomie de l’individu. Les dirigeants américains ont souvent pointé du doigt cette tare du régime soviétique pour mieux affirmer la supériorité de leur modèle libéral respectueux de l’intégrité intellectuelle. Il ne fait aucun doute dans notre esprit que la gestion soviétique des libertés individuelles est une hérésie politique. Mais ce qu’il est impératif de condamner chez les uns doit aussi l’être chez les autres. Tocqueville l’avait noté : " En Amérique la majorité trace un cercle formidable autour de la pensée." Il n’y a donc pas de conception permanente des libertés, et partant de là il est possible de conclure que l’Amérique est un pays fasciste ou au moins totalitaire, en puissance. 

Nous l’avons vu, le refus de coopérer avec les comités législatifs signifiait une inculpation pour outrage au congrès. Les membres des comités étaient protégés par l’immunité parlementaire et ne pouvaient donc faire l’objet d’aucune plainte de la part des témoins. Les délateurs, quant à eux, bénéficient de l’immunité judiciaire alors que les comités ne sont pas des organes juridictionnels. Il est intéressant de voir comment, aux violations des droits répétés dont faisaient preuve les comités, répondaient les rebelles aux règles de la chasse tant devant leurs inquisiteurs que devant leurs juges.

Les moyens de défense et les réponses de la cour suprême

Le refus de témoigner des personnes assignées devant les comités a été fondé sur deux moyens successifs, le second cherchant à pallier le refus de la cour suprême de considérer les requêtes fondées sur le premier.

Le premier amendement de la Constitution

Dans un article paru le 27 juillet 1948 dans le Seattle Post Newspaper, la directrice du théâtre du répertoire de Seattle expose les raisons qui l’amènent à refuser de témoigner devant le comité Canwell. Les audiences sont pour elle une atteinte au premier amendement de la Constitution américaine aux termes duquel " le congrès ne pourra faire de loi pour établir une religion officielle ou interdire la liberté des cultes ni pour restreindre la liberté de parole ou de presse ou le droit des citoyens de s’assembler pacifiquement… " Me James vise ici les questions portant sur les opinions politiques des témoins. Par contrecoup, il s’agit d’une attaque contre le Smith act de 1940 qui interdit aux communistes d’adhérer à un quelconque parti ou association de se réunir. Les Dix d’Hollywood ont aussi fait appel à la protection du premier amendement sans succès puisqu’ils seront condamnés par les tribunaux de droit commun.

Comment expliquer que de telles violations des droits constitutionnels n’aient pas été censurées par les tribunaux judiciaires ou en dernier ressort par la cour suprême ? deux raisons nous donnent les motifs de cet oubli manifeste des droits individuels. Le premier tient à la notion de sécurité nationale et au pouvoir d’interprétation de la loi par les juges aux Etats-Unis (une situation d'actualité dans le monde entier à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et des lois qui ont été votées depuis, réduisant un peu partout les libertés individuelles ndw). 

(...) La décision du 27 mars 1950. Les magistrats ont à se prononcer sur la légalité du Smith act par rapport au premier amendement. La cour commence par établir que le parti communiste correspond à la qualification légale visée et condamnée par le Smith act. Elle établit ensuite que " la structure et le but du Smith act doivent être interprétés comme une volonté du législateur de punir l’intention de renverser le gouvernement " et non pas seulement les actes ayant ce dessein. Concernant le premier amendement, la cour estime qu’il ne s’agit pas de droits illimités mais au contraire " subordonnés à d’autres valeurs et considérations. " dont elle ne donne d’ailleurs aucune définition et se contente de rappeler les précédents. Elle décide ensuite que même si le Smith act est imprécis dans ses termes, le fait qu’il existe un "danger clair et présent  suffit à suspendre les garanties du premier amendement. Le renversement du gouvernement étant aux yeux de la cour la chose à éviter le plus pour les Etats-Unis, " il incombe aux autorités d’agir dès les premiers signes de menace. " En l’espèce, la cour estime que les dirigeants du PC incitaient à agir " dès que possible " et qu’ainsi ils représentaient un danger clair et présent. La protection du premier amendement ne leur était donc pas accordée. La cour suprême verrouille totalement son dispositif en décidant que la question de la détermination du degré de dangerosité des activités litigieuses relève de la souveraine appréciation des magistrats.

La protection du premier amendement n’étant plus garantie, une nouvelle orientation a été prise par les témoins réticents aux interrogatoires, celle offerte par le cinquième amendement de la constitution.

Le recours au cinquième amendement

Celui-ci dispose que " nul ne sera tenu de répondre d’un crime capital ou infamant sans un acte d’accusation d’une chambre de mise en accusation (grand jury), de son propre chef ou sur demande des autorités légales…nul ne pourra, dans une affaire criminelle, être obligé de témoigner contre lui-même, ni être privé de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière… "

McCarthy (déclarera que)  " le refus d’un témoin de répondre à une question portant sur ses idées politiques au motif que cette question viole le cinquième amendement est la preuve la plus positive que l’on puisse obtenir de son appartenance au parti communiste " Enfin il ne faut pas oublier que la convocation devant un comité était automatiquement interprétée comme la preuve d’une appartenance ou de croyances communistes. Les assignations ayant souvent été délivrées sur le lieu de travail, la protection du cinquième amendement se révélait rapidement inopérante face à l’opprobre ainsi jetée sur l’individu convoqué.

Les procédures inquisitoriales dont le Maccarthysme a usé étaient appuyées par la solidarité des organes de l’Etat en la matière. Le pouvoir exécutif avec le président, législatif avec le congrès et judiciaire avec la bénédiction de la cour suprême montrent bien que tout l’appareil d’Etat avait faim de communistes (...)  si le Smith act de 1940 classe l’appartenance au parti communiste parmi les comportements criminels, il existe une différence fondamentale entre le condamné à mort et le communiste : le premier a commis aux sens psychologique, intentionnel et matériel un crime tandis que le second ne fait que défendre des idées politiques jugées subversives. Le condamner pour des idées que l’on juge contraires à la liberté d’expression ou de conscience en lui retirant le droit d’exercer ces libertés peut se concevoir sur le plan juridique, mais ne tient pas au niveau philosophique. C’est le retour à la phrase doublement contestable de Saint-Just : "pas de liberté pour les ennemis de la liberté. " D’une part ce présupposé a servi de justification aux massacres souvent aveugles de la terreur. D’autre part réside malheureusement là le paradoxe de la démocratie qui autorise ce qui peut la détruire.

L’anticommunisme a lentement pénétré tous les secteurs de la société américaine alors que nous constations au début de notre étude avec M.F. Toinet qu’il était au milieu des années quarante une préoccupation essentiellement politicienne. Le Maccarthysme tient un rôle essentiel dans cette évolution mais nous avons montré qu’il devait être dépassé afin de permettre une meilleure compréhension des mécanismes qui l’ont transcendé. L’analyse de son déclin va reprendre cette double dimension. La chasse aux communistes est juridiquement illégale en 1957 après le revirement de jurisprudence de la Cour Suprême, mais la chasse continue. Seule la couleur du gibier a changé.

3 LA FIN DE LA SAISON

La volonté de se débarrasser du chasseur

Le Maccarthysme doit beaucoup à la notion d’extériorité. La politique étrangère et les relations internationales, la crainte d’une influence extérieure sont autant de facteurs externes qui ont agi directement sur son existence et trouvé une place de choix dans son essence. Cette même dialectique va malheureusement mais logiquement s’appliquer à son déclin. Deux éléments, la situation internationale et la presse, vont initier sa chute alors que les munitions et le gibier ne manquent pas.

L’évolution de la situation internationale

Le rôle de la presse

(Le déclin du MacCarthysme) L’excellent article de John E. O’Connor déjà cité montre merveilleusement l’impact de l’image sur la population américaine par une analyse éminemment méthodique d’un reportage sur Joseph Mccarthy diffusé le 9 mars 1954, soit quelques semaines avant le début des auditions avec l’armée qui seront elles aussi un désastre pour le sénateur puisque diffusées en direct par la télévision américaine. Ces auditions vont en effet montrer à un peuple qui a jusqu’ici seulement lu des phrases lapidaires frisant l’aphorisme, un individu vulgaire dans ses gestes et ses paroles, vomissant une bile haineuse sans véritable raisonnement et prompt au mensonge le plus éhonté (Ceci nous renvoie à la grossièreté et l'inculture des propos de la plus grande partie des militants antisectes aujourd'hui ndw).

(Aux états-Unis) Il fallut attendre le 2 juillet 1964 pour qu’une loi sur les droits civiques fasse enfin disparaître ces panneaux honteux sur lesquels figuraient les mots " whites only " qui interdisaient à un homme à peau noire de boire à la même fontaine publique que l’homme blanc. Les noirs n’étaient pas des citoyens à part entière, ou plutôt à part égale. Les communistes n’avaient pas non plus cet honneur, pas plus que les américains d’origine japonaise en 1940. Un tel mépris des hommes est une tumeur pour une grande démocratie. Albert Camus nous le rappelle en écrivant " toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme ".

(...) Le Maccarthysme ou quel que soit son nom, est un potentiel de la société américaine qui semble avoir besoin d’un démon à pourchasser pour mieux se sécuriser (cela se retrouve dans toute société et la France et l'Amérique d'aujourd'hui sont comparables sur ce point à l'Amérique de 1950 ndw). 

5 CONCLUSION

Cette réflexion nous amène (...) à réfléchir sur le critère du Maccarthysme. Nous avons rapproché ce phénomène de l’Inquisition. Cette maladie de l’Europe peut-elle renaître ? et si oui pour quelles raisons ? là encore une réflexion s’impose sur les tendances au rejet que l’on peut observer ici ou là. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les institutions européennes, dans lesquelles nous voyons un garde-fou efficace contre les violations des droits individuels, soient rejetées en France, principalement par les tenants d’une idéologie qui prône la préférence nationale, expression moderne de la ségrégation.

Le Maccarthysme ne serait pas une maladie américaine et vivrait en germe dans toute société ? Cette conclusion est une possibilité (...)


( 1 )  Mccarthy prononce un discours à Wheeling le 9 février 1950. Il n’en existe aucune copie. Un mois plus tard, il développe les mêmes arguments devant le Sénat. Noter les références religieuses outrancières et les nombreux raccourcis intellectuels
 

Joseph McCarthy: Communists in the State Department (excerpt)

Ladies and Gentlemen:

...Today we are engaged in a final, all-out battle between communistic atheism and Christianity. The modern champions of communism have selected this as the time. And, ladies and gentlemen, the chips are down, they are truly down.

Lest there be any doubt that the time has been chosen, let us go directly to the leader of communism today-Joseph Stalin. Here is what he said-not back in 1928, not before the war, not during the war-but two years after the last war was ended: "To think that the Communist revolution can be carried out peacefully, within the framework of a Christian democracy means one has either gone out of one's mind and lost all normal understanding, or has grossly and openly repudiated the Communist revolution."

And this is what was said by Lenin in 1919, which was also quoted with approval by Stalin in 1947: "We are living," said Lenin, "not merely in a state but in a system of states, and the existence of the Soviet Republic side by side with Christian states for a long time is unthinkable. One or the other must triumph in the end. And before that end supervenes, a series of frightful collisions between the Soviet Republic and the bourgeois states will be inevitable.

Ladies and gentlemen, can there be anyone here tonight who is so blind as to say that the war is not on? Can there be anyone who fails to realize that the Communist world has said, "The time is now"that this is the time for the show-down between the democratic Christian world and the Communist atheistic world ? Unless we face this fact, we shall pay the price that must be paid by those who wait too long.

Six years ago, at the time of the first conference to map out peace-Dumbarton Oaks-there was within the Soviet orbit 180 million people. Lined up on the antitotalitarian side there were in the world at that time roughly 1,625,000,000 people. Today, only six years later, there are 800 million people under the absolute domination of Soviet Russia-an increase of over 400 percent. On our side, the figure has shrunk to around 500 million. In other words, in less than six years the odds have changed from 9 to 1 in favor to 8 to 5 against us. This indicates the swiftness of the tempo of Communist victories and American defeats in the cold war. As one of our outstanding historical figures once said, "When a great democracy is destroyed, it will not be because of enemies from without but rather because of enemies from within." The truth of this statement is becoming terrifyingly clear as we see this country each day losing on every front.

Now I know it is very easy for anyone to condemn a particular bureau or department in general terms. Therefore, I would like to cite one rather unusual case-the case of a man who has done much to shape our foreign policy.

When Chiang Kai-shek was fighting our war, the State Department had in China a young man named John S. Service. His task, obviously, was not to work for the communization of China. Strangely, however, he sent official reports back to the State Department urging that we torpedo our ally Chiang Kai-shek and stating, in effect, that communism was the best hope of China.

Later, this man-John Service-was picked up by the Federal Bureau of Investigation for turning over to the communists secret State Department information. Strangely, however, he was never prosecuted. However, Joseph Grew, the undersecretary of state, who insisted on his prosecution, was forced to resign. Two days after, Grew's successor, Dean Acheson, took overas undersecretary of state, this man-John Service-who had been picked up by the FBI and who had previously urged that communism was the best hope of China, was not only reinstated in the State Department but promoted; and finally, under Acheson, placed in charge of all placements and promotions. *

This, ladies and gentlemen, gives you somewhat of a picture of the type of individuals who have been helping to shape our foreign policy. In my opinion the State Department, which is one of the most important government departments, is thoroughly infested with Communists.

I have in my hand fifty-seven cases of individuals who would appear to be either card-carrying members or certainly loyal to the Communist Party, but who nevertheless are still helping to shape our foreign policy.

Source: Record, 81 Cong., 2 Sess., pp. 1952-57

BIBLIOGRAPHIE COMMENTEE

D’une manière générale, il existe beaucoup de documents sur le Maccarthysme. La difficulté vient de ce que 95 pour cent de cette documentation n’est accessible que sous deux conditions : la première est de parler la langue de Faulkner et la seconde de disposer d’un ordinateur et d’un bon forfait internet.

La seule source en langue française qui ne soit pas introuvable en dehors des bibliothèques est le livre de Marie-France Toinet :

"La chasse aux sorcières" EDITIONS COMPLEXE

Ce livre constitue une approche globale du Maccarthysme. On comprend ainsi ses origines récentes, son fonctionnement et ses conséquences. Si le lecteur est intéressé par des " scènes de chasse " célèbres telles que l’affaire Alger Hiss, la condamnation des époux Rosenberg et les auditions de Walt Disney ou Ronald Reagan, le livre n’évite aucun des poncifs du genre. Cette lecture constitue malgré cela un tableau complet du phénomène et se révèle très profitable pour clarifier des documents plus approfondis qu’il est impératif de se procurer pour mettre le sujet en perspective.

- Deux livres majeurs, dont nous n’avons pu consulter que de très larges extraits, sont très intéressants pour approcher le Maccarthysme dans toute sa complexité.

"Senator Joe Mccarthy" de Richard H. Rovere

"Naming Names" de Victor Navaski publié en 1980.

Lire également la note de la page "Haine" au sujet de "Punishment Park"

Lire également http://membres.lycos.fr/chassesorcieres/pageprincipale20.htm

Haut de page


© CICNS 2004-2015 - www.cicns.net (Textes, photos et dessins sur le site)