LOPPSI, régulation d'Internet et lutte antisectesFévrier 2010 et mise à jour de décembre 2010 Le récent projet de
Loi d'Orientation et de Programmation pour la Performance de la
Sécurité Intérieure (LOPPSI 2, voir une présentation générale dans
Le Monde) s’inscrit dans un
mouvement législatif répressif français qui semble ne pas avoir de
limites et il trouvera probablement sa traduction dans le champ de la
lutte antisectes. Constatons une nouvelle fois qu’une terminologie
adéquate tente, comme c’est l’usage dans la communication
gouvernementale, de rendre artificiellement positives des mesures que
de nombreux commentateurs considèrent comme liberticides (ainsi la
videosurveillance devient
la videoprotection). Un des points clés
du dispositif LOPPSI-2 est le filtrage du Net. Officiellement ce
filtrage cible les sites pédopornographiques, mais il ne fait aucun
doute qu’une fois en place, un système de filtrage pourra s’appliquer
à d’autres domaines. L’article 4 du projet LOPPSI est d’ailleurs très
large puisqu’il affirme qu’est
«(…) à la charge des fournisseurs d’accès à Internet l’obligation
d’empêcher l’accès des utilisateurs aux contenus illicites » La liste
des sites dont il convient d’interdire l’accès leur sera communiqué
sous la forme d’un arrêté du ministre de l’intérieur (…)». Pour
Sandrine Bélier, Eurodéputé Europe Ecologie : « Filtrage
et blocage du Net sont aujourd’hui des expressions courantes dans
l’arsenal législatif présenté par un gouvernement particulièrement
décomplexé dans son rapport aux libertés publiques » (Marianne).
« « Après validation par le
juge d'instruction, les enquêteurs pourront placer un mouchard qui
permettra de fouiller un ordinateur et d'enregistrer tout ce qui est
fait dessus. On ne connaît pas encore les modalités exactes mais
seront concernés des délits comme la non déclaration de revenus,
l'aide au séjour de personnes en situation irrégulière ou encore
dégradation de bien publics... », détaille le porte-parole de la
Quadrature du net » (Nouvel
Obs). « « La mise
en place du filtrage est vraiment une étape importante parce qu'après
l'instauration on passe de l'autre côté du miroir de la démocratie »,
s'élève Fabrice Epelboin [auteur d’une analyse sur le commerce de la
pédopornographie]. A terme, il craint que « l'Etat ne surveille
tout ». « Filtrer Internet sur la base d'une liste secrète ce n'est
pas vraiment digne d'une démocratie... ». Pour la LDH, avec la Loppsi
« on est face à une volonté de contrôle général avec des dispositifs
liberticides mis en place par le pouvoir », avance Jean-Claude Vitran »
(Nouvel
Obs). Malgré la certitude
d’un dérapage dans l’utilisation des moyens de filtrage du Net, il
est probable qu’une bonne communication sur le respect de la liberté
d’expression, permettrait aux pouvoirs publics de convaincre
l’opinion de l’utilité d’un tel système visant uniquement des sites
pédopornographiques. Dans le climat antisectes ambiant, il est
probable que Georges Fenech saurait convaincre l’opinion, fausses
données et fausses rumeurs à l’appui, de l’utilité d’un filtrage des
sites appartenant aux « sectes » (il en possède déjà la liste avec le
« référentiel-de-la-MIVILUDES-qui-n’est-pas-une-liste-noire »). Etant
un fervent partisan des
descentes surprises et brutales,
de type policier, au sein des communautés spirituelles, il pourrait
être tenté de justifier les intrusions du même type dans
les matériels informatiques de membres de minorités spirituelles. La question du
filtrage des sites de minorités spirituelles considérées comme des
« sectes » n’est pas nouvelle puisqu’elle se pose déjà dans
l’évaluation des outils de contrôle parental proposés par les FAI
(Fournisseur d’Accès Internet). Nous avons par exemple pu constater
l’opacité des critères de mise en liste noire, s’agissant des
« sectes », du logiciel de
contrôle parental d’Orange. A
trois reprises nous avons demandé à Orange de nous informer sur leurs
sources d’information, sans réponse de leur part. Gageons que dans un
climat de peur bien orchestrée tel qu’il est généré actuellement par
les pouvoirs publics, une censure larvée qui ne dira jamais son nom a
de beaux jours devant elle si les citoyens ne réagissent pas.
LOPPSI 2- Ou comment la
connaissance du corps social est remplacée par sa surveillance –
décembre 2010 Lorsqu’une personne
souhaite comprendre les difficultés qu’elle rencontre dans son
rapport aux autres, la moindre des choses est de commencer par une
introspection. Se contenter d’accuser les autres de son malaise est
l’assurance de ne pas sortir de l’ornière dans laquelle on pense se
trouver. Puisque la vie en société n’est, au bout du compte, qu’une somme complexe de rapports humains, une démarche naturelle pour l'assainir consisterait avant tout à approfondir la connaissance du corps social. Mais pour porter véritablement ses fruits, cette démarche d’ensemble nécessiterait au préalable une prise de conscience à l'échelon individuel de nos propres mécanismes interrelationnels. Comme ce n'est pas le cas et que l'organisation de la société ne favorise en rien cette prise de conscience, les solutions proposées aux tensions sociales vont à contresens de ce qui est souhaitable. La loi LOPPSI 2,
parmi bien d’autres, est l’exemple même de ce contresens. Le corps
social, non mature, et voulant se protéger de ce qu’il considère à
tort comme des maladies, cherche donc à pointer du doigt, vilipender,
exclure des citoyens qui, prétendument, ne respecteraient pas,
pèle-mêle, les valeurs républicaines, la laïcité, nos règles de
« vivre ensemble » etc. Ainsi et à titre d'exemples, les Roms ont été
désignés ponctuellement comme responsables de l’insécurité, l’affaire
du voile intégral a permis de stigmatiser un peu plus les musulmans,
la lutte contre les « sectes » tente depuis trente ans de décapiter
les aspirants à de nouveaux choix spirituels, thérapeutiques et
éducatifs. En remplaçant
« connaissance en profondeur du corps social » par « surveillance en
profondeur du corps social », le soupçon et la méfiance s’installent
dans toutes les strates de la société. Les députés, censés nous
représenter de façon éclairée, viennent de démontrer une nouvelle
fois leur manque de clairvoyance en votant, entre autres articles,
l’article 4 de la loi LOPPSI 2 sur la surveillance du Net (Nouvel
Obs). Georges Fenech
président de la MIVILUDES, dont un des surnoms est « Monsieur
tolérance zéro » fait, lui aussi et sans surprise, cette méprise :
confondre « connaissance » et « surveillance ». Lors d’un numéro
d’Envoyé spécial (25
septembre 2010), en réponse à la journaliste lui demandant
si « la surveillance n’est pas
de nature à faire que les mouvements [spirituels] se referment »,
il expliquait : « C'est notre rôle,
vous savez nous sommes une institution qui travaille sous l'autorité,
la tutelle du premier ministre, c'est une interministérielle parce
que nous touchons à tous les domaines et la surveillance, ça veut
dire, connaître le phénomène, analyser ses dangers...éventuels, et
surtout informer nos concitoyens ».
Les centaines de milliers de personnes qui font des choix alternatifs
spirituels, thérapeutiques, éducatifs sont donc réduits à la
condition de « phénomène » qu’il faut surveiller. Georges Fenech
avait par ailleurs déjà précisé : « Pas
évident de mettre cinq cents sectes et communautés sous surveillance »
(VSD). Bien entendu, des voix s’élèvent contre la loi LOPPSI 2 ; mais tant que la prise de conscience ne concerne pas tous les points aveugles du corps social, et en particulier la question des dérives de la lutte antisectes – une question qui appartient aujourd’hui à « l’impensé » français -, il n’y aura pas de progrès. Car ce ne sont pas tant les sujets de débat qui importent mais bien cette tentation de stigmatiser a priori l’autre lorsqu’il bouscule nos limites souvent étriquées. |
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