Chaine LCP - « gare aux gourous »

LCP – L’Echo des lois – Dérives sectaires : gare aux gourous (octobre 2011)

La chaîne parlementaire poursuit sans faiblir son entreprise de désinformation et de propagande sur la question des « sectes ». En Octobre 2011 dans la série « l’Echo des lois » était diffusé un reportage intitulé « dérives sectaires : gare aux gourous » à l’occasion des dix ans de la loi About-Picard (loi punissant l’abus de faiblesse par « sujétion psychologique » et permettant la dissolution des « mouvements sectaires »), tant il semble important au lobby antisectes de célébrer les anniversaires des lois liberticides. Rappelons à toutes fins utiles que la chaine parlementaire a un accord de partenariat avec la MIVILUDES, en clair qu’elle en est l’un des porte-voix en toute « dépendance ». Nous commentons cette émission consternante ci-dessous.

Journaliste : « Ce mois-ci projetons-nous dans le monde méconnu des sectes, un mot qui fait peur et éveille les plus grande craintes ; simples spiritualités ou endoctrinement, guides vers de nouvelles fois ou gourous manipulateurs, il est difficile de déterminer où et quand commence le danger ».

[Cicns] : Le danger, dans l’esprit du public, commence assurément lorsqu’une telle introduction est assénée, surfant sur une psychose entretenue depuis trente années, que la journaliste ne remet pas en question. Dès la première minute le discours est donc biaisé et orienté. Il ne sera question que de gens ou de situations présentées comme dangereuses, une technique journalistique permettant d’aspirer les « simples spiritualités » et les « guides » dans le grand sac des sectes, comme le fait habituellement la MIVILUDES. À aucun moment, la journaliste ne se montrera capable de remettre en cause ces amalgames.

Suivent quelques images sur le Mandarom, une « secte » dont on n’entend plus parler depuis des années, mais pourquoi se priver d’images hors contexte lorsqu’elles permettent d’étayer un propos fallacieux ; puis quelques images de l’assaut des forces de police sur les bâtiments des davidiens, dont il ne fait plus aucun doute (hypocrisie mise à part, s’entend) qu’elles sont responsables de la mort des adeptes de ce mouvement, un fait « dérangeant » que la journaliste n’a à l’évidence pas pris la peine d’étudier ; puis quelques images de Raël expliquant qu’il n’y a aucune activité sexuelle illicite dans son mouvement. Le montage est donc parfait : après les images du massacre des davidiens auxquels le commentaire off semble reprocher la mort de femmes et d’enfants, les paroles d’un leader spirituel quel qu’il soit ne peuvent que tomber à plat.

Journaliste : « Selon un sondage Ipsos, il existerait 600 mouvements sectaires (…) soit 15 millions de personnes auraient été approchées par ces groupuscules ».

[Cicns] : Un exemple parmi de nombreux illustrant l’ignorance totale de la journaliste sur le sujet qu’elle commente. Ipsos n’est certainement pas à l’origine de ce chiffre qui émane directement de la MIVILUDES ayant mandaté l’institut de sondage.

Journaliste : « (…) Il n’existe pas de définition des sectes. Elles ne sont pas interdites, mais tout n’est pas permis au nom de la liberté de croyance et de religion, une loi encadre ces dérives sectaires, c’est la loi About-Picard votée en 2001 (…). Dix ans après, où en est-on, s’est-on donné les moyens de lutter contre ces dérives (…) ? ».

Suivent quelques images du massacre du temple solaire dont le commentaire off précise : « Le Vercors n’a pas livré tous les secrets de tous ceux qui sont venus mourir ici ». Le Vercors n’a rien à voir avec l’échec de l’enquête policière ; par ailleurs, la suggestion déguisée d’un suicide collectif dans l’expression « sont venus mourir ici » s’oppose aux faits, mais qu’importe. Quinze années après et malgré le film d’Yves Boisset évoquant distinctement la piste politico-mafieuse, ce drame sert toujours de rouleau compresseur et de justification à la doxa antisectes.

Journaliste : « La loi [About-Picard] introduit la notion de sujétion psychologique, elle condamne les techniques qui déforment le jugement et conduisent à des actes préjudiciables, l’adepte devient victime consentante s’il prouve l’emprise mentale ».

[Cicns] : Ce charabia semble convaincre les auteurs du reportage oubliant de préciser que les notions de « sujétion psychologique » et d’ « emprise mentale » ne sont pas définies et sont des concepts pseudo-scientifiques.

Quelques images de chamans suivent, hors contexte, pour alimenter l’effroi du téléspectateur.

Journaliste : « La nouvelle arme contre les dérives sectaires, c’est le délit de sujétion psychologique, c'est-à-dire l’asservissement d‘autrui. L’ancien adepte peut désormais prouver qu’il a été manipulé, il devient donc une victime. (…) Trente-cinq condamnations ont été prononcées grâce à la loi About-Picard ».

[Cicns] : La journaliste s’est-elle demandée comment il est possible de prouver quoi que ce soit avec une notion non définie ? Ou plutôt ne peut-elle voir qu’il est possible d’affirmer n’importe quoi moyennant un rapport de force (associations antisectes/MIVILUDES versus prétendues « sectes ») médiatique et juridique suffisant. La situation est la suivante : aujourd’hui aucun magistrat sérieux ne peut prétendre maîtriser la notion malhonnête d’emprise mentale. Le magistrat doit donc passer par des experts et ces experts appartiennent tous à la mouvance antisectes. Il ne s’agit donc pas d'expertise scientifique mais de lobbying déguisé en science, qui, fort heureusement ne convainc pas tous les magistrats.

Suit une longue séquence sur le couple Lorenzato en procès avec Robert Lé Dinh. Le parti pris d’un média pour une partie à un procès en cours est détestable. C’est une instrumentalisation du processus juridique d’autant plus problématique dans un procès aux assises (cas de Robert Lé Dinh) avec des jurés potentiellement spectateurs et influençables (nous avons exprimé la même indignation à l’encontre de l’émission « Toute une histoire » animée par Sophie Davant). Pour faire croire à un semblant d’équilibre, les auteurs laissent le dernier mot à Robert Lé Dinh clamant son innocence. Mais après un tel montage, ces paroles apparaissent comme pathétiques et se retournent contre lui, l’objectif évident de cette séquence.

Là où le commentaire off parle de « prison mentale », « d'emprise mentale », il est intéressant de noter la façon dont le mari parle de sa relation avec Lé Dinh : « Il se crée comme ça, si vous voulez, une relation d’autorité à subalterne entre lui et nous et on devient ses sujets ». À ce vocabulaire commun décrivant une relation d’autorité même forte, en des termes qui pourraient être entendus dans n’importe quelle structure humaine, a été substitué, par les activistes antisectes, un vocabulaire artificiel et pseudo-scientifique. Il ne s'agit pas pour nous d'évaluer s'il y a eu crime ou pas dans cette affaire, mais de constater que ce vocabulaire « réservé » aux sectes est une construction pernicieuse pour sortir ces groupes ou personnes du droit commun. Penser qu’ils utiliseraient des techniques d'asservissement particulières absentes des autres secteurs de la société est absurde.

Journaliste : « Dans ces dossiers délicats, les policiers et les magistrats doivent mettre à jour cette limite invisible entre le consentement et la manipulation, mais pour les y aider, depuis 2009, une cellule spéciale est chargée de la lutte contre les dérives sectaires, c’est la CAIMADES. C’est ici que travaillent dans l’ombre ces enquêteurs spécialisés dans la traque des gourous; pour la première fois, ils ont accepté la présence d’une caméra.  Elle est née après la loi [About-Picard] pour répondre aux spécificités de ces dérives. »

Enquêteur de la CAIMADES : « Ce qu’on fait, c’est relativement simple, mais lorsque derrière il faut que l’on démontre une manipulation mentale, là ça fait appel à des notions très précises, très techniques qui nécessitent une formation particulière ».

[Cicns] : Il n’y a pas de spécificité aux dérives sectaires. Les critères de dérives sectaires sont une collection d’opinions sur des comportements flous jugés inquiétants, collection suffisamment large et évasive pour pouvoir accuser de dérive sectaire n’importe quel groupe. Mais bien entendu seuls les mouvements qualifiés de sectes (minorités spirituelles, éducatives et thérapeutiques) sont visés. Ces critères sont donc un outil imparable de discrimination.  

L’utilisation de la notion de manipulation mentale (ie l’équivalent du brainwashing américain, selon la propre traduction de Georges Fenech lors d’une conférence qu’il a donné en Australie, une notion abandonnée outre Atlantique car pseudo-scientifique et inapplicable), prétendument caractérisant une dérive sectaire et  propre aux « sectes » est une indignité dont la France aura sûrement à répondre un jour devant des juridictions internationales (CEDH par exemple), tant elle franchit la ligne jaune d’une pseudo-science appliquée à un droit qui n’a plus rien de commun. Et il apparait littéralement effrayant d’entendre un enquêteur de la CAIMADES prétendre qu’une telle notion ferait appel à des notions « très précises, très techniques », critères établis, selon une deuxième enquêtrice, par les « experts psychiatres », entendre : ceux mandatés par la MIVILUDES. Le sociologue Arnaud Esquerré décrit l’utilisation du concept de manipulation mentale contre les « sectes » en termes de « dispositifs du pouvoir sur le psychisme [qui] sont plus inquiétants que d’autres, parce qu’ils nous touchent plus profondément encore que les autres. Et parce que, plus que d’autres dispositifs de pouvoir, ils laissent à ceux qui en ont la maîtrise une marge d’arbitraire plus grande ». Il faut bien alors constater que l’Etat cherche à faire exactement ce qu’il reproche aux « gourous ».

Journaliste : « L‘un des chevaux de Troie des dérives sectaires, c’est le domaine de la santé. Derrière certaines médecines alternatives se cachent des charlatans et des gourous. (…) Ces nouvelles thérapies sont diffusées sur Internet. Elles promettent la guérison du Sida soigné par les huiles essentielles. (…) D’autres promettent de guérir le cancer ».

[Cicns] S’ensuit une critique en règle de la technique du Docteur Hamer.

La journaliste n’a probablement pas vu le documentaire « House of Numbers » (un brûlot qu’on ne risque pas de voir diffusé sur des mass médias français) dans lequel le Pr Luc Montagnier, prix Nobel de médecine pour sa découverte du VIH, explique que le meilleur moyen de se débarrasser du virus VIH pour les populations africaines est de vivre dans des conditions sanitaires et nutritives satisfaisantes ; est-on si loin des « huiles essentielles » moquées dans le reportage, le Pr Montagnier est-il un dangereux « gourou » ?

Concernant le cancer, chacun a connu, aujourd’hui, plusieurs personnes proches décédées des suites d’un cancer soigné mais non guéri par la médecine conventionnelle et parfois dans de grandes souffrances. Les statistiques des thérapies anticancéreuses ne sont pas bonnes (voire désastreuses), il suffit pour cela de regarder autour de soi, ce qui remet sérieusement en cause leur scientificité proclamée (voir notamment un avis construit sur Agoravox) et permet de comprendre les demandes de certains patients pour d’autres types de traitements. Dans ces conditions, considérer une mort postérieure à une thérapie classique comme « rentrant dans les statistiques » et une mort suivant une thérapie alternative comme un délit voire un crime est malhonnête et foule aux pieds la loi Kouchner sur la liberté de choix thérapeutique.

La médecine a été sacralisée en France (voir Jean Baubérot et Raphaël Liogier, Sacrée médecine – Histoire et devenir d’un sanctuaire de la raison, Entrelacs) depuis la création en 1803 du délit d’exercice illégal de la médecine pour lutter contre les « charlatans » à une époque où la médecine n’avait pas encore fait ses preuves et était donc essentiellement constituée de « charlatans officiels ». Le monde médical et du médicament a donc une longue habitude de pouvoir affirmer n’importe quoi impunément, mais peut-être plus pour très longtemps.

[Cicns] Après la séquence « thérapies alternatives », le reportage s’attaque au cas de la Scientologie sur fond de procès en appel de l'Eglise française. Curieusement, c’est la séquence la mieux équilibrée puisqu’elle donne la parole à des scientologues à deux reprises et sans limiter l’expression à un sujet/verbe/complément. La parole est également donnée à Me Jean-Marc Florand, avocat de l’Eglise de Scientologie. Les auteurs du reportage semblent avoir compté sur le statut « d’épouvantail » conféré à la Scientologie, suffisant pour obtenir un mouvement de rejet auprès du public. Puis, la Scientologie a la « fâcheuse manie » d’utiliser la voix judiciaire chaque fois qu’elle juge être victime d’une diffamation, il vaut donc mieux se défouler sur les petites « sectes » ; Robert Lé Dinh devra donc s’accommoder du lynchage médiatique dans son box d’accusé.

[Cicns] La séquence scientologue est suivie par la séquence « fin du monde », « Bugarach » avec un texte copie conforme de celui de Georges Fenech lors de son survol en hélicoptère dans la région. Les auteurs abordent ensuite le cas de ces « gourous » qui publient leurs « méthodes et leurs transes » sur l’Internet avec des sites hébergés à l’étranger : « une faille dans la traque des dérives sectaires ».

Journaliste : « Des espoirs sont nés avec la loi [About-Picard] mais a-t-elle tenu toutes ses promesses ? »

[Cicns] La loi About-Picard est un sommet d’hypocrisie parlementaire et gouvernemental dont la France a le secret. Cette loi spécifiquement libellée à l’encontre des « sectes » pendant la première partie des travaux a été reformulée par certains parlementaires qui ne pouvaient laisser passer un texte opposé à la règle de droit commun de façon aussi flagrante. Le terme « secte » a donc été remplacé par le terme général « personne morale ». Cela n’a pas manqué d’inquiéter certains députés sur l’utilisation potentielle de cette loi à l’encontre des religions, partis politiques, syndicats. Catherine Picard, rapporteuse de la loi et aujourd’hui présidente de l’UNADFI siégeant au Conseil d’Orientation de la MIVILUDES, les a rassurés en affirmant qu’elle ne serait pas utilisée contre ce type de structures. Pour bien faire les choses, il a été précisé dans le titre de la loi qu'elle concerne la « répression des mouvement sectaires » : le titre d’une loi n’étant pas applicable, il est donc non opposable pour infraction aux règles de droit commun par exemple.

Interrogé dans le reportage, Catherine Picard précise : « L’avantage de ce texte est qu’il a été très symbolique à un moment donné ». Bien que peu utilisé, ce texte n’est pas du tout symbolique pour ceux qui ont subi une condamnation sur la base de l’accusation frauduleuse de « manipulation mentale ». George Fenech, également interviewé, reste étonnamment en retrait sur l’évocation de ce texte de loi dont il a pourtant aidé à organiser l’anniversaire à l’Assemblée Nationale. Quant à Maitre Daniel Picotin, avocat antisectes notoire, il considère que la loi About-Picard ne va pas assez loin...

Journaliste : « Loi aboutie pour les uns, inachevée pour d’autres. Difficile de légiférer sur un tel sujet sans s’attaquer aux libertés individuelles, un équilibre délicat semble avoir été trouvé par cette loi. (…) Grâce à cette loi, la France est pionnière dans la lutte contre les dérives sectaires, nous avons même inspiré notre voisin belge. La liberté de conscience a été préservée, chacun peut pratiquer sa spiritualité, sa religion, seuls les délits sont condamnés grâce à cette notion fondamentale de « sujétion psychologique ». Ce texte, cette loi, nous l’avons vu, permet de distinguer la manipulation et le consentement. Mais cette loi connait quelques difficultés, elle est encore méconnue, les policiers et les magistrats sont réticents à manier ces notions de « sujétion » et de « manipulation mentale » pourtant essentielles à la reconnaissance du statut de victime de sectes. ce numéro de L’Echo des lois touche à sa fin, j’espère qu’il vous a permis d’y voir plus clair sur la loi, ses enjeux, ses limites ».

[Cicns] : Il est particulièrement pathétique d’assister à une telle méprise sur un sujet qui, visiblement, dépasse de loin la compétence et la capacité de curiosité des journalistes auteurs de ce reportage, allant même jusqu’à suggérer que ce qu’ils pensent avoir « compris », certains policiers ou magistrats réticents devraient le comprendre plus rapidement. Cette méprise est d’autant plus criante sur le sujet particulier de la « manipulation mentale », puisque les auteurs opèrent dans la machine à manipuler l’opinion la plus sophistiquée jamais inventée par l’homme : les mass média. Un triste numéro d’anti-journalisme, un de plus.   

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