Les nouvelles formes du sentiment religieux :Un défi pour la laïcité moderne ?
Actes du colloque national organisé par le Centre de formation et d’études judiciaires
le 29 janvier 2003 Dominique Kounkou
« Ce colloque est destiné à rappeler la situation historique et à analyser la situation présente et l’application du concept de laïcité, au regard de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat dans le temps. Il permet d’envisager ce que pourraient être ses applications dans le futur, confrontées à de nouvelles problématiques qui étaient inconnues en 1905, à la faveur de flux transnationaux de la mondialisation, et en particulier avec l’arrivée de nouveaux cultes et de cultes minoritaires auxquels la loi n’était ni préparée ni destinée… » Maître
Paul Albert Iweins « La
laïcité est la conséquence de la neutralité de l’état, qui ne peut mettre
son enseignement au service d’une confession religieuse et la garantie de
l’unité morale d’une nation divisée sur le problème théologique… …On
doit pouvoir considérer aujourd’hui l’utilité de l’enseignement des
religions sans caractère prosélyte puisque… la laïcité est aujourd’hui
un concept reconnu de tous dans une société pacifiée sur cette question… » Maître
Jean-Marc Florand « Je
ne résiste pas à l’envie de vous lire le texte lu à la tribune de
l’Assemblée Nationale, en novembre 1906, par le ministre René Viviani : « …
Tous ensemble, par nos pères, par nos aînés, par nous-mêmes, nous nous
sommes attachés, dans le passé, à une œuvre d’anticléricalisme à une œuvre
d’antireligion. Nous avons arraché les consciences humaines à la croyance…
Ensemble, et d’un geste magnifique, nous avons éteint dans le ciel définitivement
des lumières qu’on ne rallumera plus. » Cela
est tout à fait révélateur du climat passionnel et antireligieux dans lequel
a été votée la loi de 1905» Maître
Olivier-Louis Séguy « Malgré
les hautes aspirations que présuppose la démarche religieuse, l’idée
suivant laquelle la conviction religieuse marginale, communément qualifiée de
sectaire, était répréhensible, s’est imposée dans l’esprit du plus grand
nombre. Les
pouvoirs exécutifs et législatifs se sont engagées résolument dans cette
voie… » Et
plus loin : « Une
prise de conscience salutaire pourrait permettre d’instaurer le dialogue nécessaire,
seul susceptible d’éviter les excès dans lesquels la mouvance anti-sectes
s’est laissée entraîner puisqu’il est évident que l’emportement
secticide, quand bien même il serait inspiré par de bonnes intentions, est également
de nature sectaire ». Maître
Anne Demetz « Définir
juridiquement la religion conduirait l’état français non à « reconnaître »
comme religion « officielle » tel ou tel groupement, mais, au
contraire, à traiter, sans discrimination, les groupements, dans la mesure où
le recours par l’Etat à des critères objectifs, déjà validés par des
normes internationales en matière de droits fondamentaux, donc supérieures,
lui permettrait de décider, avec plus de légitimité, si l’ensemble des
droits et obligations attachés à la liberté de religion sont applicables à
un groupement (rappelons à cet égard qu’à l’heure actuelle, à défaut
d’une définition juridique de la religion, il a été jugé que la seule réunion
d’un groupe et d’une croyance peut être constitutive d’une religion)… » Maître Bernard Joly « L’intervention
des collectivités territoriales dans le champ religieux » Ou il est question de financement , d’attribution d’aides, de lieux de culte, d’interdiction de signes et emblèmes religieux, de subventions aux pratiques cultuelles « La
situation actuelle apparaît comme peu satisfaisante. Les dérogations légales
et les assouplissements jurisprudentiels aboutissent à une situation peu
lisible, largement anachronique et porteuse d’inégalités en fonction de la
plus ou moins grande ancienneté de l’implantation des cultes en France ». Raphaël Liogier «…Ce
qui est grave ici n’est pas en soi que cette tentative de discrimination/déclassement
ait eu lieu – il est normal, au sens sociologique du terme, que les
acteurs et les groupes sociaux tentent d’optimiser leur position par tout
moyen, en classant, mais surtout en déclassant, les acteurs et les groupes qui
leur sont opposés – mais que cette entreprise ait réussi, au delà de toute
attente, à atteindre les cercles les plus centraux du pouvoir… » Et
plus loin : « Ce
qui coince en France c’est que cette prétention (à soutenir des valeurs
et des représentations) est déniée : l’Etat ne s’occupe pas de
religion, mais les « grandes religions » disposent d’un temps télévisuel
chaque semaine sur les chaînes publiques ; les pouvoirs publics négocient
avec des représentants légitimes issus d’organisations légitimes (la fédération
protestante de France, le Conseil Représentatif des institutions juives de
France, le Comité inter-épiscopal orthodoxe, l’Union des bouddhistes de
France, etc.) ; le ministère des affaires étrangères finance les congrégations
catholiques à Jérusalem ; le Parlement dresse des listes de « mauvaises
religions », le Bureau central des cultes organise les élections des
membres du Conseil français du culte musulman, etc. La
laïcité stricte est, de toute façon, un concept impossible… » Et
plus loin : « Ce
qui ne peut pas passer au niveau national directement, parce qu’on est trop
proche de la constitution passera avec un texte un peu plus flou dont on contrôle
l’interprétation au niveau local. C’est ainsi que l’on fera un texte au
statut flou, le rapport sur les sectes, assorti d’une structure interministérielle
qui fait en sorte qu’il soit respecté au niveau local, même si cela est
officiellement illégal ». Régis Dericquebourg « Je
m’étonne à propos des listes…Il y a une hypocrisie à dire que cette liste
n’a pas d’effet juridique d’un côté, et d’un autre côté à ne pas
sanctionner l’usage de cette liste… » Et
plus loin : « Nous
doutons de l’importance de la laïcité dans la lutte contre les groupes
religieux minoritaires… En premier lieu la lutte anti-sectes de ces trente
dernières années s’inscrit dans une lignée de persécutions qui a traversé
l’histoire bien antérieurement à 1905… En second lieu, les mises en garde
contre les sectes qui apparaissent dans les années 70 font partie d’un
courant d’opinions qui se répandait en Occident… » Et
plus loin : « Parmi
les éléments qui laissent penser que la lutte anti-sectes française est
politique, on peut retenir… que consacrer près d’un million d’euros
(auxquels s’ajoutent de multiples subventions locales et les indemnités de
personnel de tous les ministères détachés) à la chasse aux sectes et à
l’inquisition dans un pays où l’on ne peut fournir un hébergement aux
sans-abris et où l’on maintient des effectifs indécents dans les classes est
un choix politique digne d’une société du mépris. » Maurice Duval « …Les
réactions d’hostilité parfois violentes face aux mouvements qualifiés de
« secte » se nourrissent aussi de bénéfices financiers, et bon
nombre des tenants de ce combat ont un intérêt financier à maintenir le
climat belliqueux. Les livres pour le grand public sur cette question, les émissions
de radio et de télévision, les articles de journaux, se vendent bien en dépit
de leur caractère extrêmement répétitif… » Et plus loin : « …Ces
adeptes, pensés comme étant dangereux , seraient de surcroît très
gentils. Le péril en serait d’autant plus grand que cette gentillesse
rendrait leur dangerosité invisible. La peur est une denrée qui se vend
bien… » Et plus loin : « Cette
idéologie anti-secte aboutit à la volonté de ne pas savoir, y compris par des
institutions étatiques…L’État privilégie l’illusion du savoir sur le
savoir. D’ailleurs, l’ex-président de la MILS n’avait-il pas déclaré,
selon un article du Monde, qu’il ne faut pas chercher à comprendre les
« sectes »...» Et
plus loin : « On
comprendra alors que dans cette atmosphère, dire autre chose que le discours
attendu et convenu, c’est attirer immédiatement la suspicion. » Et plus loin : « La
notion de « groupe sectaire », non définie, donc dépourvue de la
moindre réalité, est une notion idéologique, c’est un instrument qui érode
la démocratie, et, pour reprendre l’expression de R.D., elle forge le
« haineusement correct ». A terme, la conséquence en sera
d’interdire tout ce qui n’est pas dans la norme… » Jacques Robert « J’ai
été heureux ce matin d’entendre…qu’aucune religion n’était au-dessus
des loi et par conséquent, si des religions ou des mouvements religieux, quels
qu’ils soient, se rendaient coupables d’actes délictueux, notre code pénal
était largement suffisant pour sanctionner toutes ces expériences délictuelles.
On n’a pas besoin d’un nouveau délit de « manipulation mentale »
dont personne ne sait ce qu’il veut dire. » Philippe Gast « On
remarquera tout d’abord l’influence générale de la religion sur l’État,
et la tendance fondamentale des législateurs de faire passer leur propre adhésion
morale dans leur législation : en effet, il ne faut jamais oublier que le
droit est fait pour ceux qui le font et que, si la dimension matérielle est
essentielle, on y retrouve aussi une influence intellectuelle et religieuse… » Et plus loin : « La
connotation négative (du mot secte) est donc restée dans le langage
actuel… Or précisément, dans un État de droit, démocratique, libéral et
laïque, le seul sens négatif que l’on peut associer à une structure est le
fait qu’une structure viole l’État de droit par la mise en œuvre de sa
doctrine… » Et plus loin : « La dangerosité religieuse est à considérer en bloc, à cause de son dogmatisme qui s’oppose aux fondements de la Démocratie en devenant fanatisme… Mais comment la Démocratie peut-elle s’en prémunir sans discrimination ni atteinte à la liberté de culte et de croyance, autrement que sur la base d’une recherche objective et bien fondée conceptuellement ? » Et
plus loin : « Ces structures répondent à une demande des citoyens qui y adhèrent…Il y a beaucoup de mouvements qui n’ont pas été condamnés, ni au tire des personnes morales, ni au titre des personnes physiques. Au contraire ils amènent une satisfaction légitime à ceux qui les suivent, voire ils représentent un facteur de paix sociale, au moins pour leurs membres et leur environnement » Jean
Baubérot « Dans le langage courant, le fait même de dire « l’Église », sans jamais préciser « l’Église catholique », alors qu’en fait c’est d’elle et d’elle seule qu’il s’agit, montre bien qu’on lui attribue une sorte de légitimité religieuse exclusive… Il s’agit d’une discrimination implicite, admise, non reconnue comme telle et donc contre laquelle il n’est pas socialement licite de protester. » Et
plus loin : « Mon hypothèse centrale, c’est qu’en fait, la culture française, savante ou commune, sauf exception, n’a jamais voulu être à la hauteur de la loi qu’elle a votée en 1905…C’est peut-être cela qui constitue notre premier problème : arriver à intégrer cette culture de la loi de 1905, une culture de pacification, de laïcité inclusive et qui fait confiance, qui accepte les religions telles qu’elles sont en leur demandant de respecter la tolérance civile. » Jean
Duffar « Les obligations positives (selon le droit européen) : Aussi la neutralité ne va-t-elle pas jusqu’à l’indifférence. Un état engagerait sa responsabilité s’il laissait se développer, sans réagir, une opposition ou une dénégation de croyances religieuses de nature à dissuader tous ceux qui les tiennent de garder leur religion. Il doit prévenir tout harcèlement ou toute persécution afin « d’assurer ceux qui professent ces croyances et doctrines la paisible jouissance du droit garanti par l’article 9 » Cour, Otto Preminger Institut, 20 09 1994, 47 ; Wingrove, 25 11 1996, 48. »
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