Le fait religieux à l'école

Une comparaison des approches québecoise et française 

 

Par le CICNS

 

"Les écoles québécoises offriront, à compter de 2008, un programme d'éthique et de culture religieuse aux élèves du primaire et du secondaire." (Le programme d'éthique et de culture). " 

Entre autres caractéristiques de ce programme, il est précisé : 

"Au regard de la formation en culture religieuse, le programme permettra aux élèves de : se familiariser avec l'héritage religieux du Québec (catholicisme et protestantisme, judaïsme, spiritualités amérindiennes); s'ouvrir à la diversité religieuse (islam, bouddhisme, hindouisme, etc.) et de développer, par rapport à celle-ci, des attitudes appropriées (respect, tolérance, ouverture au dialogue, etc.); reconnaître que des personnes puisent ailleurs que dans la religion leur conception de la vie, de la mort, de la souffrance, etc.; se situer de façon réfléchie au regard des religions et des nouveaux mouvements religieux." 

 

Ce programme prévoit en particulier de ne plus utiliser le terme "secte", à connotation péjorative, et de le remplacer par "nouveau mouvement religieux". 

 

En France, qu'en est-il ? En février 2002, Régis Debray remettait au Ministre de l'Education Nationale un rapport intitulé "L'enseignement du fait religieux dans l'Ecole laïque" montrant la nécessité d'un tel enseignement (Rapport de Régis Debray). Ce rapport a conduit entre autres à la mise en place de l'Institut Européen en Sciences des Religions (IESR : un centre d'étude visant à rapprocher pratique pédagogique et recherche scientifique) et à une loi d'orientation et de programme pour l'avenir à l'école où il est mentionné : "L’école est le lieu de la formation du citoyen et donc de la construction d’une culture commune pour vivre ensemble. Cette culture repose sur le partage des valeurs républicaines communes. Elle suppose des savoirs scientifiquement établis, elle repose aussi sur la prise en compte des diversités culturelles et religieuses de la France d’aujourd’hui. Les savoirs concernant le fait religieux - histoire, œuvres, patrimoine, compréhension du monde actuel... - sont enseignés dans le cadre des différentes disciplines, mais il est indispensable que tous les professeurs bénéficient d’une formation solidement ancrée dans un apprentissage de la pratique de la laïcité." (IESR

 

Dans un pays comme la France où beaucoup s'arc-boutent sur une conception déformée de la laïcité jusqu'à la tétanisation, il est à craindre que l'enseignement du fait religieux ne soit aseptisé au point de le dénaturer. Ce point a d'ailleurs été soulevé par Régis Debray dans son rapport : "Comment séparer l’examen des faits des interprétations qui leur donnent sens ? Peut-on réduire à une rhapsodie d’observations extérieures et froides un engagement vécu de l’intérieur qui fait corps avec la personne même ? Autant réduire la musique à une suite de notes sur papier rayé, ou demander à un aveugle de parler des couleurs…". Le même type de question a été évoqué au Québec : " La segmentation des traditions religieuses en thèmes fait perdre de vue ce qui paraît être l’essentiel aux yeux de plusieurs : l’expérience religieuse. Pour certains, le mot « phénomène » est problématique, car il amène à camper le religieux comme un objet observable se réduisant à ses manifestations extérieures. Des répondants considèrent important que l’on puisse entrevoir ou pressentir l’expérience individuelle, le vécu religieux au quotidien et la compréhension qu’ont d’eux-mêmes les croyants en tant que personnes, dimensions qui pourraient être vues aussi de l’intérieur." (Programme d'éthique et de culture). 

 

Ces considérations ne sont pas anodines car c'est sans doute à partir de témoignages vivants que pourra se construire chez l'élève une attitude tolérante vis à vis de croyances qui lui sont étrangères. Apprendre la tolérance est indissociable de l'enseignement du fait religieux.

 

Cette dimension n'a pas échappé aux universitaires de l'IESR qui précisent (sur le site de l'IESR) : "(...) le fait religieux concerne aussi l’établissement et l’ensemble de la communauté scolaire ; ses membres doivent pouvoir comprendre la diversité des différents publics scolarisés. Comment vivre avec le pluralisme ? Comment faire vivre et travailler ensemble toute la diversité des croyants et des incroyants ? Comment conjuguer la liberté d’expression des identités culturelles et religieuses et la nécessité d’un apprentissage égalitaire du métier de citoyen ?". 

 

Le Conseil de l'Europe est également actif sur ces sujets. Jean-Paul Willaime, directeur de l'IESR, précise que cet organe européen : "pratique une laïcité d’intelligence et de dialogue. La laïcité européenne est le bien commun de tous (...) il réfléchit à l’enseignement des faits religieux et relatifs aux convictions dans le cadre de l’éducation scolaire publique s’adressant à tous les enfants, dans le complet respect des libertés de conscience des élèves et de leurs parents, et en absence de toute discrimination"

 

L'environnement de l'Education Nationale en France est-il conforme à ce qu'on est en droit d'attendre ? Non, pour ce qui concerne la question des sectes. Le phénomène d'émergence des nouvelles spiritualités a été déformé par une partie des pouvoirs publics jusqu'à ne plus représenter qu'un menace quasi superstitieuse pour la société. 

La politique de lutte contre les sectes a bien entendu touché le monde de l'éducation : il existe des correspondants sectes dans chaque région, les agents publics reçoivent des formations sur le phénomène sectaire orientées par la vision partiale qu'en donne la MIVILUDES (mission rattachée au Premier Ministre) et des associations comme l'UNADFI et le CCMM. Nonobstant les témoignages de responsables de l'Education Nationale (lors de la commission d'enquête parlementaire "l'enfance volée" par exemple) qui font état de la quasi absence de plaintes pour dérives sectaires en leur sein, la MIVILUDES et un certain nombre de parlementaires se chargent de montrer du doigt des administrations accusées d'être trop peu vigilantes. 

L'épouvantail des sectes est agité à tous les niveaux. 

 

Ce serait une erreur de croire que les nouvelles spiritualités sont un épiphénomène. Raphaël Liogier lors du colloque que nous avons organisé à Paris précise (Actes du colloque du CICNS) : "(...) Je crois que quand on est sociologue, on ne peut pas éviter d'étudier les nouveaux mouvements religieux. Parce que ces nouveaux mouvements religieux, qu'on appelle habituellement en France de manière globale, les "sectes", ils sont quand même caractéristiques - peut-être caricaturalement, mais justement - des traits de ce qu'est l'évolution des croyances. L'évolution des croyances qui touche, de façon moins forte, mais qui touche même les mouvements religieux dits "normaux" et qui touche même des activités complètement sécularisées." Ces nouvelles spiritualités sont donc partie intégrante "des diversités culturelles et religieuses de la France d’aujourd’hui", dont parle la loi de programmation. Dans le contexte actuel il est probablement prématuré d'intégrer dans l'enseignement le fait des nouveaux mouvements religieux. La prise de recul et la réflexion préalable nécessaire à cette intégration ne devrait pas, en revanche, laisser libre cours à un ostracisme de ces minorités, ce qui est le cas aujourd'hui. 

On peine à lire dans la réforme du primaire de Xavier Darcos (Présentation des programmes du primaire) cette dimension d'ouverture à la diversité des croyances et convictions. Le ministre de l'Education français présente l'introduction de l'instruction civique et morale en ces termes : "Cet enseignement permet à l'enfant de découvrir progressivement les valeurs, les principes et les règles qui régissent l'organisation des relations sociales, depuis l'observation des règles élémentaires de civilité jusqu'aux règles d'organisation de la vie démocratique. Les principes de la morale et l'importance de la règle de droit sont notamment présentés au travers de maximes (« la liberté de l'un s'arrête là où commence celle d'autrui ») ou d'adages juridiques tels que « nul n'est censé ignorer la loi». Il inclut la connaissance des symboles de la République française et, pour la première fois, des symboles de l'Union européenne. Enfin, les élèves découvrent les traits constitutifs de la nation française, du projet européen et de la francophonie.

 

On est loin, trop loin à notre goût, du texte sur le "programme d'éthique et de culture religieuse" présenté par le gouvernement québécois.

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