Dialogue entre un "libre penseur" et le fondateur du CICNS   janvier 2007

 

 

 

Dialogue entre Michel Thys mithys@skynet.be, ancien président de la Libre pensée de Schaerbeek-Bruxelles, membre d'une loge du Grand Orient de Belgique, texte en bleu clair sur cette page, et André Tarassi, du Centre d’Information et de Conseil des Nouvelles Spiritualités (CICNS), texte en bleu foncé sur cette page. 

 

M. Thys, qui a autorisé la publication de cet échange, a souhaité apporter la précision suivante : 

 

"Je ne m'exprime évidemment qu'en mon nom personnel, et non en celui des membres du Grand Orient de Belgique. S'ils partagent les principes et les valeurs qui m'animent, ils ont chacun leur propre perception du phénomène sectaire, avec toutes les nuances que cela implique."

 


 

Croire ou ne pas croire : 

That's the question !

Choisit-on vraiment ?

 

20 QUESTIONS à débattre, ad libitum (quitte à simplifier à outrance …) :

 

André Tarassi répond à la proposition de débat en reprenant certains points :

 

1. Si l’on estime que la «vérité» n’est jamais que personnelle, partielle et provisoire, n’est-il pas légitime de pouvoir choisir effectivement, c’est-à-dire aussi librement que possible, ses conceptions philosophiques ou religieuses ?

2. Mais un libre choix n’implique-t-il pas de disposer de toutes les alternatives ?

3. Au-delà de l’approche traditionnelle (philosophique, voire théologique) du phénomène religieux, pourquoi ne pas tenir compte aussi, avant de choisir, des récentes découvertes psycho-neuro-physio-génético- éducatives à propos de la foi ? (DAMASIO, P.JEAN-BAPTISTE, M. BEAUREGARD, RAMACHANDRAN, …) 

 

Un libre choix qui se ferait en disposant de toutes les alternatives (je passe sur la prétention de les détenir toutes) est une proposition honnête.

 

4. Bien qu’il soit impossible de démontrer l’existence ou l’inexistence de Dieu, y aurait-il actuellement des arguments probants en faveur de son existence imaginaire et illusoire, (ceci dit sans chercher à convaincre qui que ce soit) ? 

 

Le postulat des « arguments probants » est-il la démonstration d’un désir sincère de proposer et de laisser choisir, ou est-ce déjà une intention de convaincre et convertir ? Nous constatons que la croyance athée ou la secte laïque intégriste peuvent l'une et l'autre reprendre à leur compte les déviances qu’elles aiment dénoncer partout ailleurs…

 

5. L’éducation religieuse précoce est certes un droit constitutionnel, mais étant forcément affective puisque fondée sur la confiance et l’exemple des parents pratiquants et des éducateurs, ne laisserait-elle pas des traces ineffaçables dans le cerveau émotionnel de l’enfant (par plasticité neuronale et synaptique), et ne perturberait-elle pas, à des degrés divers, l'esprit critique de l’adulte, fût-il scientifique ou intellectuel, dès qu’il est question de religion ?

 

Pourquoi le conditionnement religieux serait-il plus perturbateur que le conditionnement laïque ? L’argumentation athée est ainsi fondée comme toute idéologie sur l’idée que le conditionnement, c’est la certitude de l’autre. Je crains aujourd’hui, et nous le constatons dans la psychose française contre les sectes, que le conditionnement laïque ait largement perturbé l’esprit critique du grand public qui ne fait que répéter machinalement les sourates de la république antisectes, et cela dès le plus jeune âge.

 

6. Dire : «Mes enfants choisiront plus tard …», n’est-ce pas méconnaître ou minimiser, évidemment de bonne foi, l’importance de cette influence affective ? 

 

La question du choix est sans doute intéressante, mais quand elle est inspirée par un désir de remplacer un conditionnement par un autre, elle devient fallacieuse.  Par ailleurs, comment des enfants à qui l’on voudrait éviter l’influence affective de l’éducation religieuse auraient-ils « toutes les alternatives » ? Il semble évident que le souhait à l’origine de ce pamphlet n’est pas de proposer le choix le plus large, mais de soumettre l’esprit de l’enfant à une croyance athée plutôt qu’à celle de la religion. Ce petit tour de passe-passe, pour sincère qu’il puisse être, car chacun est toujours sincèrement convaincu de la valeur de ses certitudes, ne peut illusionner que ceux qui n’auraient pas réellement soumis leurs convictions à l’épreuve de la «raison », quoi qu’ils en disent.

 

7. Toutes les religions et toute éducation religieuse (surtout l’éducation coranique, potentiellement à l'origine de dérives, même si elles sont minoritaires) ne sont-elles pas basées sur la soumission, (fût-elle, ailleurs, rationalisée a posteriori), plutôt que sur l’autonomie et sur la responsabilité individuelle ?

 

Les grandes religions, assises sur les préceptes des civilisations passées, ont encore besoin de grandir. Mais la laïcité aussi. Ni l’une, ni l’autre aujourd’hui n’offre réellement d’autonomie et de responsabilité individuelle. Et les intégrismes laïques - et particulièrement antisectes -  dont nous sommes témoins aujourd’hui ne présagent rien de bien nouveau dans la voie proposée par ceux qui se disent « libres penseurs ».

 

 

8. Face aux prodiges de la nature (par exemple le génome, les différents stades embryonnaires, le cerveau, l'oeil, …), et aux lacunes de nos connaissances actuelles, n’est-il pas quand même un peu rapide, simpliste et sécurisant de conclure qu’il existe nécessairement un dieu, dont on a la révélation et auquel on se soumet, ou un grand architecte de l’univers, euphémisme du précédent …?

 

Face aux prodiges, il serait rapide et simpliste (et forcément faux parce que « sécurisant », la vérité serait-elle uniquement dans le fait de trembler ? Est-ce là le nouveau testament de l’athéisme qui demande que l’on tremble devant le dieu de la raison ?) de conclure à l’existence d’un dieu ?

Il est un élément, toujours absent des propos de l’athéisme, c’est l’existence de l’expérience religieuse, littéralement, « celle qui relie », et à partir de laquelle se sont fondées les croyances, les religions et aujourd’hui les minorités spirituelles. L’expérience religieuse n’a rien à voir avec une opinion et pourrait bien ne pas dépendre de la « plasticité neuronale ». 

 

9. Ne serait-ce pas parce qu’il est très difficile de prendre conscience de l’influence que l’évolution animale a exercé pendant des millions d’années sur le néocortex, devenu capable d’imaginer, par anthropomorphisme et grâce au langage, un «Père protecteur, agrandi et substitutif» (R.P. Antoine VERGOTE professeur à l'U.C.L.), en réponse à la peur de l’inconnu, dont la mort, et aux besoins d’amour, d’espérance, d’identité et de sens à donner à l’existence ?

 

Si l’image de dieu, telle qu’elle a été construite au fil du temps, est parfois utilisée comme un substitut à la protection ou l’amour du père, elle n’est qu’une image. Le fait qu’une partie de la population puisse utiliser cette image de manière illusoire n’invalide pas l’expérience religieuse à l’origine des mouvements spirituels les plus divers. Tout peut d’ailleurs être utilisé pour se sécuriser devant les peurs, pour imaginer des choses, même la science ou la croyance athée. Cela devrait inspirer plus de respect aux adeptes de l’athéisme et leur déesse de la science.

 

10. A contrario, les parents incroyants n’ont-ils pas constaté depuis toujours qu’en l’absence d’éducation religieuse et/ou d’un milieu culturel religieux, la foi n’apparaît pas ?

 

Cette supposition est sans fondement, même si elle est arrangeante pour soutenir le reste du propos. L’expérience religieuse n’est pas issue de la culture. Quand elle l’est, il ne s’agit que d’une idéologie.

 

 

11. Pour qu’un libre choix ait les meilleures chances de se concrétiser, ne faudrait-il pas d’abord que les parents croyants, à l’instar des incroyants, n’ inspirent pas à leurs enfants de faux problèmes métaphysiques et visent plutôt à développer davantage leur esprit critique à tous égards et une force intérieure suffisante ?

 

Le fait d’inspirer les enfants à une chose plutôt qu’une autre est à nouveau affirmé ici comme « un libre choix ». L’auteur de ces propos est-il lui-même dupe de son intention ?

 

12. Bien que la religion soit une affaire privée, ne faudrait-il pas ensuite que les enseignants, croyants ou non, idéalement réunis en un seul réseau pluraliste, acceptent  honnêtement et sans prosélytisme, de faire  découvrir aux enfants et aux adolescents, à leur rythme, toutes les options : croyance, déisme, agnosticisme, incroyance, athéisme, morale laïque, libre pensée, franc-maçonnerie, etc.

 

C’est une bonne suggestion qui rejoint la première, mais malheureusement contredite par le reste de ce pamphlet.

 

13. Enseigner (intellectuellement) «le fait religieux», ne serait-ce pas le moyen de compenser l’influence familiale unilatérale et de réduire ainsi les inégalités socioculturelles, voire de remettre en question ou de nuancer la légitimité d’un enseignement confessionnel élitiste, perçu de plus en plus comme un ghetto anachronique, au profit d’un enseignement officiel (belge) de meilleure qualité ?

 

A partir du moment où l’expérience religieuse n’est pas niée, la proposition reste acceptable. Pour la plupart des croyants de toutes églises, il serait aussi indécent de nier la fondation de leur foi que de démontrer qu’un sentiment (joie, amour) n’existe pas sous prétexte qu’il impliquerait le fonctionnement du cerveau.

 

14. Au lieu de laisser les sectes et autres évangéliques harponner de plus en plus de croyants déçus par les religions traditionnelles, et même certains incroyants, n’est-il pas urgent de rendre illégal l’abus de faiblesse et la manipulation mentale et de promouvoir la morale laïque, même si elle est rétive à tout prosélytisme ? 

 

Si l’abus de faiblesse et la manipulation mentale deviennent illégaux, notre société entière devra subir une révolution. Et ce sera aussi bien. Il est soit naïf, soit mensonger de faire croire que les « sectes » auraient inventé ces dérives. Il ne s’agit là que de la très ancienne pratique du bouc émissaire.

 

15. A présent en effet que les valeurs morales ne peuvent plus être imposées dogmatiquement, ne faudrait-il pas faire en sorte qu’elles soient concrètement et librement découvertes et acceptées par le plus grand nombre ?

 

De nombreux croyants, malgré les errances de la foi ces derniers siècles, pensent que les valeurs morales sont mieux défendues, parce que fondées sur l’expérience religieuse le plus souvent, dans les courants spirituels. La haine sous-jacente à la croisade antisectes et laïque ne laisse rien présager de bon (en tous cas rien de meilleur que la haine religieuse).

 

16. N’est-il pas temps aussi de faire comprendre à tous ceux qui l’ignorent que - comme le prouve par l'absurde la délinquance juvénile - la conscience morale, le respect de l’autre et de sa différence, la tolérance, le sens des limites, l’autonomie, l’esprit critique, la responsabilité individuelle, etc., ne peuvent apparaître qu'au prix d’une éducation «humanisante» précoce, fondée sur l’exemple et sur des expériences affectives, vécues ou suggérées par empathie, parfois a contrario ?

 

Oui, ce paragraphe est une belle description de ce que pourrait être une éducation pluraliste, offrant à la fois la connaissance de l’expérience religieuse (celle qui permet de se relier à l’autre, à la nature, au divin etc.) et les valeurs morales qui en découlent.

 

17. Enfin, n’est-il pas urgent de faire découvrir que l’on peut donner à l’existence  un sens non aliénant, moins individualiste, et comportant une spiritualité laïque aux multiples facettes, tant individuelles que collectives, visant à la fois l’épanouissement individuel, la solidarité et la recherche d’un consensus de valeurs communes, bien au-delà des conflits économico-politiques ? 

 

La spiritualité laïque, (on parle bien de celle qui s’est détachée volontairement du « grand architecte de l’univers », n’est-ce pas ?) quand elle se coupe du sens étymologique de « la religion » n’est qu’une théorie. Les croyants véritablement spirituels fondent leur espérance d’un monde plus juste sur la possibilité d’être spontanément animés par l’amour et non pas d'en être seulement convaincus intellectuellement. Une pensée, aussi intelligente soit-elle, n’a jamais fait d’un être humain quelqu’un de spontanément bon ou respectueux. Le défi de l’homme est bien de vivre certaines réalités essentielles pour nos sociétés et pas seulement d’en faire un sujet de débat intellectuel. Même si les religions n’ont pas réussi cela pour le plus grand nombre (c’est-à-dire que l’effet de l’expérience religieuse authentique n’a pas atteint la société dans son ensemble), il reste pourtant qu’elles sont le foyer de personnes de grande valeur dont les souhaits pour l’humanité apparaissent mieux fondés que les colères militantes de l’antisectarisme et de l’athéisme (j’ai cependant été inspiré à répondre à ce pamphlet parce qu’il me semblait plus sage que ce que l’on peut lire par ailleurs sur Internet).

 

18. La tolérance, dont il faut veiller à ce qu’elle ne tolère jamais l’intolérable, ne consiste-t-elle pas à respecter les individus (et ce, d’autant plus s’ils ont remis en question leurs conceptions, s’ils sont tolérants et respectent les valeurs humanistes telles que la dignité de l’homme, de la femme et de l’enfant), mais pas nécessairement leurs idées, toujours critiquables ?

 

Toutes les idées sont respectables. Ce que vous voulez dénoncer, je crois, sont les actions qui en découlent. Une idée peut bénéficier de la présomption d’innocence tant qu’elle n’a pas d’impact sur autrui. Les actions des antisectes n’ont pas démontré qu’elles étaient réellement altruistes. Leurs actions sont critiquables mais ils peuvent avoir les idées qu’ils veulent.

 

19. Ne serait-ce pas une manière - soyons optimistes à long terme - d’inciter les humains, sous toutes les latitudes, à l’apprentissage des relations humaines, à la citoyenneté, à la coexistence pacifique entre les cultures, et de freiner l’actuelle islamisation de la modernité au profit de l’adaptation de l’islam à la modernité ?

 

La pensée « libérée » de dieu et la lutte contre les spiritualités qui en résulte est une option parmi d’autres, respectable en tant qu’idée mais dont l’action devrait être équilibrée par la pensée imprégnée de l’expérience religieuse.

 

20. Même si une telle optique est utopique, ne mérite-t-elle pas d’être débattue ? 

 

Une société qui saurait tolérer toutes ces options (et corrigerait par une justice équilibrée les dérives éventuelles de tous bords), est une belle utopie qui mériterait d’être débattue.

 

 

Michel Thys répond :

 

 

Cher Monsieur,

C’est avec quelques jours de retard que je vous réponds : j’ai en effet tenu au préalable à prendre connaissance des rapports des Commissions parlementaires française et belge, même si elles datent de 1996 et 1997, de textes plus récents et ainsi que de ceux, favorables ou non, aux « sectes », notamment les vôtres, ceux d’Anne MORELLI, de Serge MOUREAUX qui lui répond, du Père TROUSLARD, etc, etc.

Il est heureux que l’on ait abandonné l’idée de définir ce qu’est une secte :  vu le nombre, la diversité, les multiples dénominations (sectes, nouvelles religions, religions minoritaires, nouvelles spiritualités, etc.), et les différents  degrés de dangerosité des groupements susceptibles de se rattacher au phénomène sectaire, il fallait éviter tout amalgame.

Mieux vaut une liste de critères de dangerosité, critères de jugement se situant à la fois au niveau des croyances que des comportements qui portent atteinte aux droits de l’homme, à sa dignité et à sa liberté. J’y reviendrai.

 

Revenons à mes vingt questions que vous avez eu l’amabilité de commenter.

Il  serait vain de chercher à nous convaincre mutuellement du bien-fondé de nos conceptions respectives. Tentons seulement de mieux cerner nos divergences et nos convergences.

Je constate d’ailleurs que statistiquement, au-delà de l’âge de 25 ans environ,  il devient difficile et rare de remettre en cause ses options fondamentales. Question d’amour-propre sans doute, mais aussi sans doute par crainte de se déstabiliser.

Je dois pourtant constater que certaines sectes y parviennent en choisissant des personnes fragilisées ou en état de faiblesse (mais toujours assez fortunées), dont ils trompent la confiance, exploitent la crédulité ou même provoquent, par tout un arsenal de déstabilisation  psychologique, une dépendance, une soumission, une dépersonnalisation, etc.

Quelle que soit leur nombre, officiellement peu nombreuses, les dérives sectaires existent, (cfr cette mère de Perpignan qui a laissé mourir de faim son enfant de trois ans, « sur ordre de Dieu »). Il est même légitime de penser qu’elles ne sont que la partie émergée de l’iceberg … 

Je respecte les croyants, mais je condamne ceux qui imposent une croyance ou l’exploitent.

 

Je ne partage pas l’opinion de Madame MORELLI, qui est pourtant une laïque convaincue, quand elle craint une « chasse aux sorcières », lorsqu’elle prétend, au nom de la liberté de conscience, d’expression et de religion, qu’un adulte est censé être libre et responsable, ni quand elle écrit que les religions ont causé beaucoup plus de tort à l’humanité que les sectes ! Certes, toutes deux sont fondées sur la soumission et l’obéissance. Certes, à des degrés divers, les religions me semblent plus nocives que bénéfiques sur le plan individuel.

Et historiquement, elles le sont plus encore : en ayant influencé tant les dirigeants que les exploités, dans leur jeunesse, en ne leur faisant pas découvrir, ni donc respecter, les valeurs humanistes, en étouffant leur éventuelle conscience morale autant que tout esprit critique, et en facilitant ainsi leur endoctrinement, les religions ont joué un rôle dans toutes les atrocités guerrières et dictatoriales (nazisme, stalinisme, …), souvent attribuées à tort à leur athéisme mal compris. Mais cela n’atténue pas pour autant la dangerosité des sectes : le passé n’excuse ni le présent ni l’avenir.

Défendre les sectes revient en effet à privilégier à tout prix la liberté d’expression, à tolérer toutes les idées, même les plus intolérables, à faire fi du principe de précaution, et donc à donner un blanc seing aux sectes, quelles qu’elles soient, tant qu’un délit condamnable n’a pas prouvé. Or il est clair que les adeptes abusés craignent ou sont dissuadés de déposer plainte, et que le droit pénal, surtout en Belgique, est fort démuni face à des associations qui changent de dénomination, de siège et d’objet social et qui disposent de moyens de défense puissants.  

Je partage néanmoins l’avis de Madame MORELLI lorsqu’elle estime que les religions et les sectes procèdent de la même irrationalité. Mais elles diffèrent à mes yeux par leur degré de dangerosité et de nocivité. J’aurais apprécié que cette historienne pousse sa logique jusqu’à souhaiter que l’on cherche à organiser pour tous les enfants un apprentissage précoce du sens critique, à TOUS points de vue, y compris dans le domaine religieux, pour que le choix ultérieur de leurs convictions se fasse  aussi librement que possible, sur base d’alternatives … Mais les sacro-saints principes constitutionnels de la liberté individuelle( qui devrait pourtant s’arrêter pourtant là où commence celle des autres), de la tolérance absolue, de la neutralité et du non-engagement des enseignants lui semblent apparemment plus importants à prendre en considération.

 

Ceci dit, je pense qu’il faut d’abord s’entendre sur le sens des mots. Certes, mon texte est court et donc simplificateur, mais il ne me semble ni violent ni satirique.

Ce n’est donc pas un pamphlet.

« La croyance athée » : pour moi, et quoi qu’en pense André Comte-Sponville, l’athée ne  CROIT pas que dieu n’existe pas. Il pense, il estime, il conclut qu’il n’existe pas ou alors seulement  comme produit de l’imagination, dans un contexte familial et culturel favorable. Certes, il y a encore des athées rabiques, mais beaucoup moins depuis que l’Église catholique a renoncé à son  cléricalisme provocateur et qu’elle tente de s’adapter à la modernité en récupérant certaines valeurs laïques.

« Secte laïque intégriste » me paraît sévère pour qualifier les laïques opposés aux sectes, tout autant que « secte des adversaires des sectes » d’Anne MORELLI, du moins dans la mesure où ils ne mettent pas toutes les sectes dans le même panier. Inclure toutes les sectes dans les minorités spirituelles, telles que par exemple le  protestantisme belge, n’est-ce pas les faire bénéficier d’un préjugé favorable d’honorabilité qu’elles ne méritent pas nécessairement ?

 

Je conçois que vous trouviez contradictoire que je prône un libre choix entre plusieurs alternatives (et non toutes, bien sûr) tout en proposant celles qui sont laïques. Sans doute avons-nous tous tendance à vouloir faire partager ce que nous pensons ou aimons (la Musique par exemple). Je crains d’ailleurs que cela puisse donner l’impression à certains croyants que j’ai tout compris à partir d’une théorie psycho-neuro-physio-génético-éducative de la foi, et même que je cherche à les convaincre, ce qui n’est pas le cas. Non seulement, je ne nie pas l’expérience religieuse, mais je la comprends, ayant été croyant (protestant) jusqu’à 21 ans (seulement, il est vrai, j’en ai 67), mais je pense avoir eu quand même une certaine expérience de la foi. Ayant vécu assez péniblement cette apostasie, (j’ai mis 4 ans pour devenir athée, en passant par le déisme, l’agnosticisme et l’incroyance), j’ai tenu depuis lors, par quelques articles, en quelque sorte par « solidarité philosophique », à aider peut-être ceux qui, comme moi jadis, cherchent à s’affranchir d’une foi qui leur fait plus de tort que de bien.

 

Mais croire est un état mental qui consiste à attribuer à  une représentation subjective une réalité objective, qui devient ainsi une certitude. Malgré les doutes inhérents à la foi, je conçois donc que les croyants se désintéressent généralement de toute argumentation déstabilisante ou d’une  théorie qui tendrait à expliquer l’origine et la pérennité de la foi, et qu’ils préfèrent ne retenir que ses seuls aspects bénéfiques (réponse aux incertitudes métaphysiques, espérance en un au-delà, réponse aux besoins de donner un sens à l’existence, d’appartenance à une communauté, d’identité, d’apaisement, de sérénité, …

 

Vous écrivez : « Pourquoi le conditionnement religieux serait-il plus perturbateur que le conditionnement laïque ? ». Je me suis en effet posé la question : croyants et incroyants, n’influençons-nous pas tous nos enfants ? Bien évidemment oui, mais à mon avis de manière très différente. Chez les parents croyants, c’est de manière plus affective et donc plus profonde, puisqu’ils s’engagent en témoignant de leur foi et de leurs certitudes par leurs comportements religieux. Ce n’est pas perturbateur puisque cela répond au besoin de sécurité de l’enfant. Les parents incroyants, eux, s’abstiennent d’affirmer l’existence d’un dieu, ne suscitent pas et n’amplifient donc pas de faux problèmes métaphysiques mais répondent au fur et à mesure aux interrogations de leurs enfants, développent à tous points de vue leur esprit critique et font apparaître chez eux une force intérieure leur permettant de supporter sereinement les doutes et les incertitudes par une confiance raisonnable en la science.

Les laïques ne cherchent pas à « soumettre l’esprit de l’enfant à une croyance athée plutôt qu’à celle d’une autre religion » : ils cherchent seulement à reculer autant que possible le libre choix qu’ils feront. Mais ils ont tous constaté qu’en l’absence d’une éducation religieuse et d’un milieu culturel religieux, la foi n’apparaît pas spontanément.

 

Le psychologue religieux Antoine VERGOTE, ancien professeur à l’UCL, en témoigne a contrario dans « Psychologie religieuse », de 1966 : « La disponibilité religieuse ne prend forme qu’à la condition d’être précocement éduquée ». (…) « Les gestes et le langage des parents(…) , la célébration des fêtes religieuses marquent de façon indélébile les souvenirs d’enfance de nombreux adultes et déterminent leurs sentiments d’appartenance religieuse ».

Certes, cette « foi du charbonnier », qui consiste « à sentir Dieu aussi simplement que la chaleur du soleil » (Dr Alexis CARREL), a été rationalisée depuis : on parle à présent de « foi authentique, épurée, Présence Opérante du Tout-Autre ». Cela n’élimine pas les doutes, mais permet, semble-t-il, d’accepter la révélation de l’existence du « Seigneur » et d’établir une expérience religieuse d’un niveau acceptable.

 

Il y a une question qu’apparemment personne ne se pose. C’est de savoir si la foi, l’appartenance à une Église traditionnelle facilite, favorise l’adhésion à une secte.   Les Raéliens semblent l’avoir compris puisqu’ils développent une remarquable argumentation  à l’encontre des monothéismes et du dogmatisme et donc en faveur de l’athéisme. Mais c’est in fine pour récupérer les croyants et les incroyants en les incitant à croire à notre création par des extra-terrestres, et à leur retour, faisant ainsi de la science une nouvelle religion anthropomorphique ! 

Hélas, par souci de tolérance et parce qu’elle se refuse à tout prosélytisme, la laïcité n’a pas été en mesure jusqu’à présent de proposer une alternative laïque et humaniste qui puisse répondre à la baisse de la  religiosité, notamment par la promotion de la morale laïque, en faisant découvrir que l’on peut donner à sa vie un sens non aliénant, moins individualiste, et comportant une spiritualité laïque visant à la fois l’épanouissement individuel, la solidarité et la recherche de valeurs humanistes communes, telles que le respect de la dignité de l’homme, de la femme et de l’enfant, l’apprentissage des relations humaines, la coexistence entre les cultures, etc. Les sectes profitent évidemment de cette carence laïque ! Il faut dire aussi que, pour survivre, les religions, sauf l’islam, préfèrent donner l’impression de se laïciser, mais leur volonté d’influencer les consciences ne disparaîtra jamais …

Nous pourrions évidemment poursuivre longtemps ce dialogue.

Il aura au moins eu le mérite d'avoir eu lieu et, j'en suis certain, d'inciter à la réflexion.

J’espère sincèrement ne pas vous avoir heurté.

 

 

André Tarassi reprend certains points pour répondre :

 

 

Bonjour, et merci pour votre réponse qui, étant dépourvue de toute agressivité, n’a pas pu me heurter comme vous le craigniez. Je vous réponds à mon tour ci-dessous :

 

Je constate d’ailleurs que statistiquement, au-delà de l’âge de 25 ans environ,il devient difficile et rare de remettre en cause ses options fondamentales. Question d’amour-propre sans doute, mais aussi sans doute par crainte de se déstabiliser.

   

Oui, et cette lucidité qui transparaît dans vos écrits est d’ailleurs à l’origine de mon élan à vous répondre. Mais la lucidité n’est pas qu’une affaire de rationalité. Je suis comme vous, sans doute, intimement (et donc finalement : « spirituellement ») "convaincu" de quelque chose.

Le sens que je donne à l’expression « expérience religieuse » est le fondement de mon argumentation. Une argumentation qui ne fonctionne qu’à partir des circonvolutions de la pensée n’est qu’une opinion. Une "expérience", dans le sens où je l’entends, même si on peut avoir tendance aujourd’hui à en chercher des causes purement neurologiques, n’est pas discutable. Il me semble important de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Si "l’expérience religieuse" est une réalité (la "foi du charbonnier" que vous mentionnez justement, sans pourtant réaliser l’incongruité de cet aparté quant à votre certitude que la foi ne peut être que le produit d’un conditionnement), le fait qu’il existe des dérives ne devrait pas conduire à une telle campagne antireligieuse comme elle existe en France en particulier et de plus en plus en Belgique.

 

Quelle que soit leur nombre, officiellement peu nombreuses, les dérives sectaires existent

 

Les dérives existent. Le fait d’y associer le terme « sectaire » est à mon sens la dérive principale à laquelle nous assistons aujourd’hui. Lesdites « sectes » n’ont pas inventé les dérives et semblent, en réalité, en être largement immunisées contrairement à ce que l’on veut faire croire. Le CICNS travaille à une commission d’enquête citoyenne qui enquête sur les dérives réelles (et non pas les seules diffamations, amalgames, exagérations et répétitions médiatiques) au sein de toutes les minorités spirituelles en lien avec plusieurs cabinets d’avocats et les mouvements nommés dans la liste parlementaire de 1996 en France. Nous pouvons d’ores et déjà affirmer que les faits plaident en la faveur de ces « sectes », en comparaison de toute autre organisation humaine, y compris la « classe politique », celle-là même qui mène l’action de salubrité publique contre les sectes et qui reste un foyer intarissable de méfaits et de déviances de toutes sortes.

 

Les sacro-saints principes constitutionnels de la liberté individuelle ( qui devrait pourtant s’arrêter pourtant là où commence celle des autres), de la tolérance absolue, de la neutralité et du non-engagement des enseignants lui semblent apparemment plus importants à prendre en considération.

 

Quand les esprits lucides réaliseront que cette stigmatisation de la « secte » est un conditionnement qu’ils subissent, nous pourrons alors aborder sérieusement la question des dérives. La plupart des personnes qui choisissent une « famille spirituelle » se sentent enfermées dans la secte de la République en France qui leur dicte leur comportement, leur croyance, et se glisse dans leur univers intérieur par la publicité la plus manipulatoire. Si on veut traiter de la manipulation, il faut le faire sans chercher de bouc émissaire. Nous sommes tous sujets et objets de tels comportements. Et je crois, justement, que l’expérience religieuse est la seule réalité qui garantisse de ne pas céder à ce genre d’instinct. Je ne parle donc pas, bien sûr, d’imposer une "croyance mentale" à des enfants comme vous le dites, mais de respecter l’expérience (et le mode de vie qui en découle) de millions de personnes dans nos pays et qui sont actuellement montrées du doigt très injustement (je vous renvoie à nouveau à notre commission d’enquête citoyenne dont nous vous ferons parvenir les résultats, si vous le souhaitez)  

 

Au sujet des "dérives sectaires" dont vous affirmez l'existence, j'aimerais vous faire part des informations suivantes :

 

Le suicide ? 

 

Dans notre pays, après les prisons, les médias ont longtemps déclaré que l'éducation nationale et la police étaient des professions qui conduisaient le plus de personnes au suicide (dans les pays anglo-saxons, on dit que ce sont les psychiatres ou les dentistes les plus touchés !). Avez-vous connaissance d'une campagne contre les méfaits de la police ou de l'éducation nationale sur leur personnel qui le conduiraient à de telles extrémités ? Non. Tout le monde jugerait cet amalgame indécent ou tabou et de fait la plupart des chercheurs aujourd'hui pensent qu'associer l'appartenance à une profession pour déceler les causes du décès est insensé.  Mais ce petit jeu malsain est joué avec les membres de minorités spirituelles pour lesquelles l'appartenance est automatiquement considérée comme la cause d'un suicide (Les recherches démontrent en fait, dans tous les pays, que les membres de religions structurées sont moins enclins au suicide et les membres de minorités spirituelles récentes n'en commettent quasiment pas). Un "libre penseur" peut-il se pencher sérieusement sur ces faits objectifs ?

 

La maltraitance d'enfants ? 

 

Les auditions de la commission parlementaire française de 2006 au sujet de l'enfance et des sectes ont démontré (même si cela n'a pas été mis en avant dans le rapport final) qu'un nombre infime de cas de maltraitance pouvaient être associé à une "secte". Une des auditions, celle de M. Depuis révèle que "les inspecteurs d’académie ou les recteurs, ont procédé à 19 000 signalements auprès des Procureurs de la République concernant des enfants que l’on estimait être en danger pour diverses raisons, physique, morales. Et lorsque nous avons demandé aux inspecteurs d’académie quels étaient, parmi ces enfants en danger, ceux qui l’étaient à cause de mouvements sectaires, ils nous ont répondu qu’il y en avait 8 ". Mais qui en a parlé ? Le site "Allo enfance maltraitée" produit ses dernière statistiques en 2004 : 27 cas sur les 12916 appels reçus peuvent être associés à un phénomène sectaire, soit 0,2 % des cas (il est d'ailleurs question de 27 "accusations" de la part des personnes qui appellent). Ce sont des chiffres officiels, pas des additions que nous aurions créées ! Un "libre penseur" peut-il se pencher sérieusement sur ce fait objectif ?

 

Faut-il continuer l'étalage des faits pour que vous réalisiez que vous, "libre penseur", répétez les manipulations et exagérations des médias ?

 

La manipulation mentale ? 

 

Les personnes qui se sont données la peine de dépasser l'évaluation la plus primaire de ce phénomène (lire par exemple le "petit traité de manipulations pour honnêtes gens" de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois ou "la parole manipulée" de Philippe Breton) ont pu démontrer que la population la plus susceptible d'être victime de manipulation est celle qui est la plus "conformiste", celle dont parlent les auteurs du livre cité, page 262 :  "Il est déroutant de constater que l’individu, bien sous tout rapport, celui qui adhère à la plupart des normes de jugement tout en croyant d’ailleurs s’en départir, celui qui se sent libre, celui qui veut être consistant, celui qui trouve en lui-même les raisons de ce qu’il fait et de ce qui lui arrive… de constater donc que cet individu-là est incontestablement le plus manipulable". 

 

Les libres penseurs seraient-ils plus manipulables que ceux qui sont dits asservis par la foi ? Je n'irai pas jusque-là, ce serait jouer le jeu que je dénonce. Je sais bien qu'il existe une tendance qui consiste à affirmer qu'il y aurait des "délits invisibles" ou des "victimes cachées" mais peu de personnes trouvent cet argument rationnel.

 

Mais, alors, nous pouvons avoir une vision plus fraternelle des choses ?

 

Michel Thys répond  :

 

 

Merci pour ces informations. J'évite toujours, pour ma part, de passer d'un extrême à l'autre : tout n'est pas noir ou blanc ...

 

- Je pense que le nombre plus élevé de suicides dans certaines professions à hauts risques physiques et psychologiques est dû à une personnalité inadaptée à ces fonctions et à un manque de formation, autant que d'assistance (debreefing) a posteriori. 

 

Il est exact que les croyants pratiquants sont moins enclins au suicide. D'abord parce que c'est interdit notamment  par le catholicisme : ce serait se soustraire à la volonté de Dieu. Ils vivent même souvent plus vieux : l'apaisement et la sérénité sont des effets de la prière. Notez qu'en dehors de toute transcendance, la relaxation que procure le yoga, par le contrôle de la respiration et des muscles, a les mêmes effets. Mais contrairement aux croyants des religions traditionnelles (les musulmans exceptés), à qui il est permis de renoncer à leur foi, ou de la nuancer, les adeptes des sectes sont pratiquement empêchés, ou "dissuadés", de la quitter, pour de multiples raisons (culpabilité, impossibilité d'une réinsertion sociale, disparition de leurs ressources, liens familiaux rompus, déstabilisation émotionnelle, communication impossible, etc.). Étant de surcroît (devenus) fragilisés, je peux comprendre que leur seule issue soit parfois le suicide ... Le nombre de cas n'est pas le critère de dangerosité : la simple possibilité de suicide dans une secte suffit, et il faut la dénoncer, en application du principe de précaution.

 

 

- La maltraitance d'enfants par les sectes. L'argument de "délits invisibles" et victimes cachées", me paraît rationnel.

L'exagération et l'amplification du nombre de cas par les media sont certes regrettables, mais j'y vois deux circonstances atténuantes : même si le nombre de ces maltraitances est infime, il existe, et ce n'est pas acceptable. D'autre part, il est légitime de penser que ces maltraitances, hormis les cas mortels difficilement camouflables, ne représentent que la face émergée de l'iceberg ...

 

 

- La manipulation mentale ("Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens") : bien sûr qu'elle n'est pas l'apanage des sectes. Bien que théoriquement mieux protégés par le "libre-examen", bon nombre de libres penseurs, par exemple, se sont sans doute "laissés avoir" lors du test de l'esprit critique des téléspectateurs francophones, réalisé par la RTBF le 13 décembre, à propos de la pseudo-scission de la Belgique : 85 % des gens y ont cru ! Tout comme la plupart des gens, par "soumission librement consentie", se laissent berner par la publicité mensongère, etc. Acheter un objet dont on n'a pas besoin, ou adhérer à une religion ou une secte pour y trouver un réconfort, même si cela n'a apparemment rien à voir, ont quand même en commun de ne pas remettre en question ses options et ses réactions, d'avoir eu sa crédulité abusée et d'avoir été délesté de son argent ...

 

Mais qu'un libre penseur soit plus manipulable qu'un croyant me paraît peu probable : le libre examen, l'esprit critique l'incitent en principe à la vigilance. Mais il est vrai que beaucoup d'entre eux, sans doute encore la plupart, n'ont découvert que tardivement cette manière d'aborder tous les aspects de la réalité et sont encore, peu ou prou, influencés par des réflexes de soumission remontant à leur éducation généralement religieuse. Ceci tend à prouver,  à mon avis, que l'apprentissage du sens critique doit se faire progressivement dès le plus jeune âge, et à tous points de vue. Chez moi, je ne laisse jamais mes petits-enfants de 7 et 10 ans regarder seuls la télévision : je commente tout, même les dessins animés, je les incite à mettre en doute, à réfléchir, à critiquer, à poser des questions, et notamment, s'ils m'en parlent, à propos de la religion de leurs condisciples, puisqu'on ne leur en parle pas au cours de morale. En fait, nous devrions en reparler dans une génération, (mais je ne serai sans doute plus là), lorsque, je l'espère ardemment, même les croyants seront convaincus de la nécessité d'un apprentissage précoce de l'esprit critique, à tous points de vue, et même si cela doit hâter la déconfiture des religions traditionnelles. Mais au profit, soit d'un humanisme et d'une spiritualité laïques, soit d'une spiritualité religieuse. Mais, s'agissant de "choisir" l'une ou l'autre, je me rends compte que je n'ai pas suffisamment répondu à vos commentaires à ce sujet. Je me permettrai donc, si vous me le permettez, d'y revenir bientôt.

 

 

Entre-temps, je tiens à vous dire combien j'apprécie le fait que vous acceptiez de publier des points de vue que vous ne partagez pas, ou seulement en partie. C'était déjà le cas dans les années soixante lorsque le prédécesseur du Père Charles DELHEZ (Journal DIMANCHE) avait publié un de mes articles sur les objectifs de la libre pensée ! Cela témoigne d'une "vision plus fraternelle" des choses.

 

André Tarassi reprend certains points pour répondre :

 

(...) Il est exact que les croyants pratiquants sont moins enclins au suicide. D'abord parce que c'est interdit notamment  par le catholicisme : ce serait se soustraire à la volonté de Dieu. Ils vivent même souvent plus vieux : l'apaisement et la sérénité sont des effets de la prière. Notez qu'en dehors de toute transcendance, la relaxation que procure le yoga, par le contrôle de la respiration et des muscles, a les mêmes effets.

 

Les effets "secondaires" positifs que vous voulez bien accorder à la pratique religieuse ou spirituelle minoritaire pourraient peut-être vous alerter sur un point, auquel vous avez peut-être déjà réfléchi :

La République cherche à préserver l'ordre public (je ne sais pas dans quelle mesure ses objectifs s'apparentent à ceux du gouvernement fédéral Belge). C'est d'ailleurs là un des arguments forts de l'antisectarisme en France "d'accord avec la liberté de conscience, si elle ne trouble pas l'ordre public".

Si les religions organisées (pour les raisons que vous évoquez, certainement, et d'autres que, en tant qu'apostat sincère, vous ne pouvez plus puiser en vous) ou les "sectes", que nous appelons "minorités spirituelles", ont cet effet sur leurs adeptes, pourquoi alors négliger cet effet positif dans une société qui ne craint rien plus que la mort ?

N'y aurait-il pas là une orientation tendancieuse qui se révèle, un sentiment antireligieux primaire qui ferait finalement l'économie d'une véritable confrontation à la réalité ?

Sinon, pourquoi ne pas dénoncer la grande secte (ou religion) Républicaine en soulignant son incapacité à inspirer (selon le point de vue de l'expérience religieuse authentique) ou à "encadrer" (selon votre perception) les citoyens au point que la France est devenue le pays avec le taux le plus élevé de suicides en Europe ?

Il y a bel et bien deux poids et deux mesures, dont vous n'êtes certes pas responsable, mais que les athées ont tendance à défendre avec malhonnêteté pour soutenir leur cause.  

Le CICNS que nous avons créé sous forme d'association est né - il a jailli devrais-je dire ! - du constat direct de cette injustice et des intentions qui l'animent. Personne, à part vous peut-être ?, n'a réellement l'intention de formuler une "pensée libre" pour aider l'humanité à grandir, mais bien d'imposer "une pensée unique" pour faire triompher quelques clans (dont certaines loges de la franc-maçonnerie délestée du grand architecte de l'univers).

Les minorités spirituelles sont, elles, pour la plus grande partie, beaucoup moins ambitieuses : elles demandent qu'on les laisse vivre en paix et tentent maintenant, par la force des choses plus que par goût, d'argumenter leur innocuité.

 

Les adeptes des sectes sont pratiquement empêchés, ou "dissuadés", de la quitter, pour de multiples raisons (culpabilité, impossibilité d'une réinsertion sociale, disparition de leurs ressources, liens familiaux rompus, déstabilisation émotionnelle, communication impossible, etc.). Étant de surcroît (devenus) fragilisés, je peux comprendre que leur seule issue soit parfois le suicide ...

 

Voilà une "liste stéréotypée" que je trouve décevante à la suite de la lucidité dont vous avez fait preuve jusque-là (la campagne vieille de 25 ans que nous avons tous subie grâce au gouvernement socialiste français depuis 1981 est à l'origine d'une "soumission librement consentie" et collective à des amalgames, des diffamations et autres affabulations). Un des lieux communs les plus grossiers dont les activistes antisectes en France ont péniblement accepté de se défaire, tant les faits démontraient le contraire, c'est celui de "l'empêchement de quitter la secte", mythe d'un autre âge. La bascule a d'ailleurs étant tellement radicale que certains se sont emparés du changement pour dire que "les sectes pratiquaient l'ostracisme conduisant au suicide" ; c'est facile, pour un "intellectuel", il suffit de prendre un argument et son contraire pour arriver aux mêmes fins.

Le phénomène que vous décrivez n'existe donc tout simplement pas (toutes les études sociologiques démontrent que ce qui est appelé le "turnover" est très important dans les minorités spirituelles, voir les recherches des sociologues sur notre site). Et la plupart des personnes informées ne le mentionnent d'ailleurs plus.

 

la simple possibilité de suicide dans une secte suffit, et il faut la dénoncer, en application du principe de précaution.

 

Nous avons entendu cet argument apparemment louable de la bouche même du président de la Miviludes en France. Mais il est malheureusement encore unilatéral. Si le suicide est le réel souci (et non pas "la secte" ou "la croyance"), pourquoi ne pas se pencher sur cette question tragique sans créer de bouc émissaire et voir quel partage des atouts de la laïcité et de l'expérience religieuse pourrait être fait pour soigner réellement la société ? La même réflexion s'impose pour les maltraitances au sujet desquelles vous utilisez le même argument malheureusement fondé sur le conditionnement médiatique : "elles existent".

 

il est légitime de penser que ces maltraitances, hormis les cas mortels difficilement camouflables, ne représentent que la face émergée de l'iceberg ...

 

De manière tout à fait rationnelle, pourriez-vous expliquer en quoi cela est "légitime" ?

 

Si cela est légitime, il peut l'être de penser que le monde entier camoufle quelque chose d'horrible et se méfier de tout et de tous afin de construire un monde de suspicion (encore plus, si cela est possible), puisque tout ne serait que pointe de l'iceberg ? Ne serait-ce pas là plutôt l'effet d'une "soumission librement consentie" à des psychoses facilement installées dans le grand public ? Nous connaissons tellement de personnes qui peuvent affirmer des choses dont elles ne savent rien, mais dont elles sont si sûres. Il est important de bien évaluer ses postulats de départ, surtout quand ils sont de l'ordre de la pensée, plus que de l'expérience.

 

 

les croyants seront convaincus de la nécessité d'un apprentissage précoce de l'esprit critique, à tous points de vue, et même si cela doit hâter la déconfiture des religions traditionnelles. Mais au profit, soit d'un humanisme et d'une spiritualité laïques, soit d'une spiritualité religieuse.

 

Oui, votre proposition, la toute première à laquelle j'ai répondu, est non seulement "raisonnable" (ce qui semble constituer le sommet de la conscience humaine dans votre esprit) mais elle manifeste également une tolérance du coeur réjouissante (vous avez conscience que tout ne peut pas provenir que de la cogitation mentale et que certains élans  humains moins mentalisés et plus spontanés ont tout autant de valeur dans la construction d'une fraternité humaine).

 

Je me permettrai donc, si vous me le permettez, d'y revenir bientôt.

 

Bien qu'un peu "intellectuelle" à mon goût, mais le médium utilisé y est sans doute pour quelque chose, j'apprécie cette conversation et nous la terminerons l'un et l'autre quand nous aurons le sentiment qu'elle est arrivée à son terme.

 

Entre-temps, je tiens à vous dire combien j'apprécie le fait que vous acceptiez de publier des points de vue que vous ne partagez pas, ou seulement en partie. C'était déjà le cas dans les années soixante lorsque le prédécesseur du Père Charles DELHEZ (Journal DIMANCHE) avait publié u de mes articles sur les objectifs de la libre pensée ! Cela témoigne d'une "vision plus fraternelle" des choses.

 

L'équipe du CICNS accueille la contradiction et l'argumentation quand elle est fondée sur un désir sincère de voir grandir nos sociétés, ce que je crois avoir trouvé dans vos propos.

 

Michel Thys répond  :

  

Je pense que personne ne conteste les effet psychologiques favorables des religions organisées et des "minorités spirituelles", (ce qui n'empêche pas qu'il puisse y en avoir de moins bénéfiques voire de néfastes). Tant mieux pour leurs adeptes : notamment pour des parents croyants qui  viennent de perdre un enfant et qui trouvent quand même une consolation dans leur foi.

Les incroyants ne peuvent compter que sur eux-mêmes, et sur leurs proches.

 

Je me demande si la peur de la mort est encore aussi présente que jadis : logiquement, elle devrait diminuer parallèlement à la baisse de la religiosité, si l'on pense qu'il n'y a "plus rien après". A moins qu'elle ne soit occultée par l'individualisme forcené de notre société de consommation, ou que l'on espère seulement ne pas mourir prématurément et dans la souffrance.

 

Ce que demandent seulement les laïques, c'est que puissent être découvertes par chacun des voies immanentes, et non plus seulement transcendantes, qui génèrent des effets bénéfiques comparables.

 

Contrairement à ce que vous semblez penser, les laïques en général, et les francs-maçons "libéraux" en particulier, sont farouchement opposés à toute forme de "pensée unique", aussi bien celle des religions, en fonction de leur degré de dogmatisme, que celle de certaines sectes (Raël ou Scientologie, par exemple - je ne les mets pas toutes dans le même panier -), et que celle de la franc-maçonnerie "traditionnelle", "régulière", puisqu'elle impose la croyance en Dieu, ou en un "grand architecte de l'univers, et/ou en l'immortalité de l'âme, et que, comble d'intolérance, elle ne considère pas comme maçons ceux qui laissent le choix de s'y référer ou non. Heureusement, ces obédiences "régulières" anglo-américaines sont en chute libre, mais pas encore au point de s'inspirer de la franc-maçonnerie adogmatique européenne, française et belge notamment, où toutes les options philosophiques et ésotériques sont possibles, dans un esprit de tolérance mutuelle. Cette heureuse évolution des esprits me paraît irréversible. Nous serions en complet désaccord si vous considériez comme volonté de "pensée unique" le fait d'oeuvrer à l'avènement d'une société plus libre, plus solidaire, plus humaine, plus tolérante..., et de contribuer à l'inéluctable évolution des mentalités vers plus d'autonomie et de responsabilité individuelle.

 

Mais si les dogmes sont définitivement condamnés, il n'est pas question de jeter le bébé avec l'eau du bain : il importe de préserver, de sauvegarder l'aspiration de l'homme à ce qui le dépasse, sans pour autant renoncer à la maîtrise de lui-même, par le biais d'une réflexion spirituelle, qu'elle soit religieuse ou laïque. Cet idéal de la franc-maçonnerie, insuffisamment connu, peut paraître utopique, mais, à l'échelle des siècles, et au fil des modestes contributions des maçons, il l'est moins.

 

J'ai en effet lu qu'il est devenu plus facile que jadis que quitter une secte, ne fût-ce que pour éviter des complications dans certains cas. Mais cela n'implique pas, à mes yeux, qu'il soit facile d'en sortir : ce serait en contradiction avec les objectifs de CERTAINES

sectes qui est manifestement d'aliéner leurs adeptes et de les rendre dépendants d'un gourou, notamment dans un but financier.

Les bénéfices des sectes, du moins ceux qui "émergent", en témoignent amplement, me semble-t-il. Je veux croire que vous ne niez pas l'existence de gourous, passé et présents, ni la nocivité de certains, et que vous ne défendez pas inconditionnellement TOUTES les sectes. Le fait que vous préfériez parler de "minorités spirituelles", me semble significatif, et il va de soi que je ne mets pas en doute votre sincérité.

 

A propos du suicide, qui a évidemment bien d'autres causes que celles liées aux sectes, sa prévention, du moins tant qu'il en est encore temps, peut se faire, au-delà du contact humain, aussi bien en évoquant, pour les uns, leur expérience religieuse, que, pour d'autres, la solidarité laïque. Cela implique que les centres de prévention du suicide doivent être pluralistes : inutile de parler de Dieu à quelqu'un qui n'y croit pas, ou alors, même si c'est de bonne foi, ce serait de la récupération de son désespoir, le comble du prosélytisme, (que je condamne de toute manière parce qu'il est unilatéral).

 

Quant aux maltraitances d'enfants, sans doute les media en surestiment-ils le nombre, à l'affût qu'ils sont du sensationnalisme.

Mais sans eux, en aurait-on connaissance ? Dans ce domaine, contrairement aux suicides, il n'y a jamais d' "appel au secours".

La prévention se limite donc à faire prendre conscience, en particulier aux adeptes des sectes, du respect dû à l'enfant, que ce soit en invoquant les principes et les valeurs religieuses que ceux de la morale laïque.

J'estime qu'il est légitime de penser que les maltraitances ne sont que la partie émergée de l'iceberg, parce que ceux ou celles qui s'en rendent coupables, tout en se déculpabilisant (c'était "sur ordre de Dieu"), savent très bien qu'ils sont condamnables.

Il est donc prévisible qu'ils tentent de cacher les faits, lorsque c'est possible.

Mutatis mutandis, ce n'est pas parce qu'il y a exceptionnellement un cas d'euthanasie criminel, dans un but intéressé, qu'il faut mettre tout le monde dans le même sac, comme le fait l'Église catholique.

Nous sommes tout à fait d'accord à propos de la nécessité de favoriser précocement l'esprit critique à tous égards, sans éluder

l'émergence de qualités de coeur génératrices d'un humanisme et d'une spiritualité, qu'elle soit laïque ou religieuse.

 

Il me restera prochainement, comme annoncé, à développer davantage la question du "choix" entre les deux, après quoi nous aurons, je pense, fait le tour de nos points communs et de nos pierres d'achoppement.

 

André Tarassi répond :

 

Je vous laisserai donc le mot de la fin, avec la question du choix.

 

Pour ma part, ce dialogue raisonnable aura en effet permis d'éclairer les pierres d'achoppement qui empêchent deux perceptions comme les nôtres de se rejoindre :

 

La première concerne ce que j'ai improprement appelé  "expérience spirituelle" à défaut de connaître meilleure expression dans la langue française. Je ne parle pas d'une décision intellectuelle qui pourrait conduire tour à tour à affirmer l'existence ou sa propre croyance en dieu ... puis à la rejeter, mais d'une expérience intime, de l'ordre du sentiment, même si elle implique évidemment la neurophysiologie, dont le bénéficiaire ne se perd pas en conjectures sur la nature, parce qu'elle est sa propre évidence et sa propre preuve. C'est une expérience qui, au-delà de cet ancien anthropomorphisme du Divin et la relation affective qui vient avec, offre naturellement la paix, la joie et la communion. L'humanisme ou la fraternité humaine ne peuvent naître que d'une telle expérience, l'éducation que vous proposez ne me semble pas plus efficace qu'une formule de politesse qui masquerait une colère intérieure. Les valeurs humanistes, pour être authentiques, véritablement vécues, ne peuvent pas être que des "concepts" ou des "principes" mais des réalités vivantes dans le coeur des hommes. 

 

Cette expérience, véritablement "religieuse" et "reliante" est la fondation de toute communauté spirituelle, ancienne ou nouvelle. Elle mérite, à mon sens, plus d'attention qu'il ne lui en est accordée aujourd'hui et cette triste mode qui consiste à se servir de certaines dérives pour étouffer ce sentiment essentiel et consolider le monde matérialiste est dommageable pour tous.

 

La seconde concerne le "gourou" dont vous parlez, un terme vénérable dans la tradition Indienne, qui sert maintenant en occident de raccourci pour l'avilissement des nouvelles formes de la spiritualité. Pour un escroc véritable, il y a une centaine de personnes de grandes valeurs qui sont salies par amalgame. Je ne donne pas ce chiffre au hasard, il est une évaluation approximative mais sérieuse de la situation en France. Et cet amalgame n'est pas non plus le fruit du hasard ou d'un malheureux "dommage collatéral", il est le fruit d'une volonté farouche de détruire la diversité des expressions spirituelles. Les véritables escrocs pouvaient être condamnés sans qu'il soit besoin de mettre tout le monde dans le même sac, et sans qu'il soit besoin de créer des lois d'exception comme la loi About-Picard en France qui trahit cette volonté destructrice ciblée.

 

Pour contribuer à ce que la première ne disparaisse pas dans l'oubli d'un monde matérialiste et pour que les seconds ne vivent plus cette injustice, j'ai tenté de partager avec vous mon regard. Je vous remercie pour cet éclairage et pour la bienveillance que vous avez accordée à ce point de vue.

 

Bien cordialement,

 

André

 

Michel Thys répond  :

 

La loi ABOUT-PICARD. 

Y a-t-il «
une volonté farouche de détruire la diversité des expériences spirituelles » ? 


Avant de répondre à votre courriel du 17 janvier, et à son ajout, j’ai voulu relire le texte de la loi ABOUT-PICARD, ainsi que les nombreux commentaires, généralement défavorables, qui ont suivi. Il me semble que, s’il y avait eu une telle volonté, cette loi aurait spontanément vu le jour, avant même que des « dérives sectaires » aient eu lieu. Cette loi est à mon avis une saine réaction d’autodéfense sociétale, face à des délits sans doutes rares mais réels, et moralement inacceptables, qu’ils soient qualifiés de « manipulations mentales » ou d’« abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse ». Il fallait tenter d’empêcher leur répétition. 
Mais le droit pénal exige avec raison que, pour être poursuivi et éventuellement sanctionné, le délit ait été commis. Ce dont profitent manifestement certaines « sectes » …La preuve est souvent difficile à apporter.

Tant que le dommage n’est que potentiel, même s’il est prévisible voire probable, le principe de précaution n’est actuellement pas applicable, puisque la non assistance à personne en danger potentiel n’existe pas encore. De plus, peut-on légitimement protéger quelqu’un contre lui-même ? On le fait déjà pour le tabac et autres drogues, mais c’est plus compliqué et délicat lorsqu’il s’agit de savoir si quelqu’un « en état de faiblesse ou de fragilité », fût-il provoqué, et même s’il est « consentant », ne dispose plus de tout son libre arbitre, et doit donc être protégé. 

La seule solution préventive pour empêcher que certaines « sectes » n’abusent de la crédulité de telles personnes, consisterait, selon moi, non pas bien sûr à imposer, mais à faire découvrir la nécessité d’un apprentissage précoce de l’esprit critique, à tous points de vue, et donc en l’espèce. Mais nous en sommes encore loin, car les religions instituées subiraient évidemment le contrecoup négatif d’une telle optique pédagogique. Les réactions cléricales en témoignent abondamment ! 

Les « gourous ».

Tous les « gourous » n’ont sans doute pas le même profil. Le critère essentiel qui distingue les « non dangereux » des autres, c’est de voir s’ils respectent et de promeuvent l’autonomie des adeptes, plutôt que de les rendre soumis et dépendants. Je conteste d’ailleurs la légitimité de toute autorité « directive » telle que, à des degrés divers, celle des curés, rabbins, imams, papes (sauf Jean XXIII… !), …Jamais un président d’association laïque, ni un « vénérable maître » d’une loge maçonnique, pas plus qu’un « grand maître » d’une obédience (fédération de loges) ne se permettrait , quel que soit son « rayonnement », d’influencer ses auditeurs : tous se limitent à « diriger les travaux », accordant la parole successivement, chacun se forgeant alors sa vérité personnelle, partielle et provisoire, à partir et dans le respect des opinions des autres.

Les spiritualités :

Quoi que vous en pensiez, nous sommes du même avis : «
Les valeurs humanistes, pour être authentiques et véritablement vécues, ne peuvent pas être que des concepts, ou des principes intellectuels, mais des réalités vivantes dans le cœur des hommes ». « L’expérience intime, de l’ordre du sentiment » existe aussi bien dans le cas de la spiritualité religieuse que laïque. L’humanisme et la fraternité aussi, simplement parce qu’avant d’être croyants ou incroyants, nous avons en commun d’être des humains.

Pour être passé jadis de l’une à l’autre, je pense que si quitter la croyance pour l’incroyance procède largement d’une « décision intellectuelle », cela implique également, aussi paradoxal que cela puisse vous paraître, une sorte de consentement affectif préalable, de l’ordre du sentiment, une sorte de conviction en somme, qui témoigne d’une spiritualité cette fois laïque, non plus transcendantale mais immanente, simplement humaine.
Les rationalisations interviennent après, et renforcent cette conviction. 

Dans votre « ajout », vous écrivez que «
l’humanisme ou la fraternité ne peuvent naître que d’une expérience intime, de l’ordre du sentiment ». Mais c’est vrai aussi bien s’il s’agit d’une expérience religieuse que laïque. L’humanisme, la spiritualité, la fraternité ne sont évidemment pas l’apanage des religions, anciennes ou récentes. Les laïques, et en particulier les francs-maçons, les vivent tout aussi intensément, mais différemment.
Face à la disparition croissante des certitudes, et aux incertitudes économiques, nous sommes tous en quête de sens. Dès que nous sommes en présence d’une circonstance qui nous dépasse ou dans un épisode heureux ou douloureux de l’existence, nous devenons sensibles à une forme ou l’autre de spiritualité, avec ou sans connotation religieuse. Ainsi, Eric-Emmanuel SCHMITT, en état de faiblesse sous la voûte étoilée et glaciale du Sahara, a ressenti un bouleversement affectif et a retrouvé la foi. Mais la dimension spirituelle se découvre tout aussi bien par la méditation zen, le bouddhisme, la musique de Mozart, un orgasme simultané, une odeur d’encens, etc …
Par contre, sans redevenir croyant pour autant, André COMTE-SPONVILLE, marchant la nuit en silence dans la forêt, a ressenti « une grande paix, la suspension ou l’abolition du temps, et du discours, une simplicité merveilleuse et pleine, comme si tout l’univers était là, présent, sans mystère ni question, (..), une béatitude, un premier instant de plénitude, … ».

Mais il y a aussi une spiritualité laïque active, celle qui consiste à se sentir sur une même longueur d’onde que celle des hommes et des femmes animés par un idéal commun de perfectionnement individuel et collectif, par le respect des mêmes principes et des mêmes valeurs, etc … Ce qui est « sacré », dans le sens d’inviolable, pour un laïque, c’est d’abord le respect de la dignité de l’homme, de la femme et de l’enfant, et le respect de leurs droits et libertés, ce qui implique la condamnation sans appel de pratiques telles que l’excision, pour ne citer que cet exemple.

Il existe enfin, pour certains laïques, « probes et libres », cooptés pour leurs qualités de cœur et d’esprit, mais aussi, à qualités humaines égales, pour certains croyants ayant sincèrement remis en question leurs certitudes, une spiritualité maçonnique. Mais la voie initiatique qu’ils suivent, la méthode de travail symbolique et les rituels (volontaires, motivés et non subis) qu’ils pratiquent, n’ont un sens que s’ils sont vécus. Ils sont incommunicables autrement que par l’ « Initiation » et l’assiduité en loge. Les symboles de la franc-maçonnerie ne sont pas statiques comme les symboles profanes et religieux : ils sont librement interprétables par chacun. La spiritualité maçonnique n’est pas verticale mais horizontale : s’inspirant de la maïeutique, elle procède d’une quête de sens de soi-même, au contact des autres. La franc-maçonnerie a-dogmatique est une école de liberté, de dignité et de sagesse. Elle s’investit dans la compréhension de tout ce qui est humain, indépendamment de tout absolu, (mais le « grand architecte de l’univers, alias Dieu », peut être perçu comme un symbole, non pas dans le sens déterministe de « forces » qui orienteraient l’évolution dans le sens d’un « progrès », mais dans celui de l’expression des lois bio-physico-chimiques qui, plus vraisemblablement, par complexifications successives, adaptent lentement le vivant au milieu, par essais et erreurs successifs et aléatoires. Mais revenons à ce dont nous « parlions » : la spiritualité maçonnique, c’est finalement l’harmonisation de l’individu par lui-même, le cheminement qui consiste à construire à la fois, par le dialogue, la tolérance et le respect mutuels, son temple intérieur et son temple extérieur. Il en résulte le sentiment exaltant de faire partie d’une chaîne d’union fraternelle qui relie tous les maçons de l’univers.

Il reste à répondre à la question : choisit-on de croire ou de ne pas croire, choisit-on entre spiritualité religieuse ou spiritualité laïque ? Ma réponse est : sans doute rarement. En effet, si les parents sont croyants pratiquants, certains enfants resteront influencés par la foi de leurs parents et leur milieu culturel. Mais dans le cas contraire, compte tenu de l’inaptitude des religions instituées à s’adapter à la modernité, et de la disparition croissante de la foi traditionnelle, ce seront sans doute les « nouvelles spiritualités » qui seront attractives. 
Mais en même temps, on assiste à une diffusion croissante des points de vue laïques,  (par exemple Michel ONFRAY, André COMTE SPONVILLE, Henry PENA-RUIZ, etc …).


J’espère donc que, sans faire de prosélytisme mais en fournissant des alternatives, la laïcité parviendra à faire prendre conscience à tous de la nécessité d’un apprentissage scolaire précoce de l’esprit critique à tous points de vue (cfr mes questions 11 et suivantes), quel que soit le choix des convictions qui en résultera.

Je vais à présent me plonger dans la lecture du dernier ouvrage d’André COMTE-SPONVILLE : « L’esprit de l’athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu ».(oct.2006).


La présentation très objective de l’éditeur est la suivante (elle devrait vous intéresser, si pas vous plaire, comme à moi) : 

« Peut-on se passer de religion ? Dieu existe-t-il ? Les athées sont-ils condamnés à vivre sans spiritualité ? Autant de questions décisives en plein « choc des civilisations » et « retour du religieux ». André COMTE-SPONVILLE y répond avec la clarté et l’allégresse d’un grand philosophe, mais aussi d’un « honnête homme », loin des ressentiments et des haines cristallisées par certains. Pour lui, la spiritualité est trop fondamentale pour qu’on l’abandonne aux intégristes de tous bords. De même, la laïcité est trop précieuse pour être confisquée par les antireligieux les plus frénétiques. Aussi est-il urgent de retrouver une spiritualité sans Dieu, sans dogmes, sans Églises, qui nous prémunisse du fanatisme et du nihilisme.
André COMTE-SPONVILLE pense que « le 21e siècle sera spirituel et laïque, ou ne sera pas ». Il nous explique comment. Passionnant. ».

 

Cordialement, Michel Thys.

 

 

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