Courrier au père Denis Lecompte, doyen de Cambrai

Lettre adressée au Père Denis Lecompte, doyen de CAMBRAI et coordinateur national du Service de l’Episcopat "Croyances nouvelles et dérives sectaires", à l'occasion de l'annonce de conférences sur le thème "Les jeunes, cible des sectes : s'informer pour réagir", organisées dans le cadre des activités de l'UDAPEL (Union Départementale des Associations de Parents d'éleves de l'Enseignement Libre) du diocèse de Cambrai.

Père Denis Lecompte
8, rue St.Georges
59400 CAMBRAI

Montpezat de Quercy, 14 mai 2007

Monsieur Lecompte,

Le CICNS est une association indépendante dont l'objet est d'équilibrer le débat sur la place des nouvelles spiritualités en France.

Nous avons pris connaissance d'une série de conférences que vous allez donner sur le thème : "Les jeunes, cible des sectes : s'informer pour réagir". Ce sujet est délicat car passionnel et prompt à susciter la peur, particulièrement en France qui a mis en place un arsenal unique en Europe de lutte contre les dérives sectaires.

Depuis trois ans, notre travail de recherche sur les conditions d'existence des nouvelles formes d'expression spirituelle aboutit à un constat préoccupant sur l'état de la liberté spirituelle en France. Ce travail s'est fait en ouvrant une large tribune à celui des sociologues, des juristes et de divers acteurs sociaux qui prennent le recul nécessaire pour aborder ces questions. Nous allons également à la rencontre de ceux qui subissent des discriminations en raison de leurs choix spirituels. Ces interviews et témoignages sont disponibles sur notre site : http://www.cicns.net/Video.htm. Le site propose également un large éventail d'analyses et de réflexions.

Un certain nombre de personnes nous ont contactés sur le thème de la prévention contre les sectes. En réponse, nous avons écrit un texte qui analyse le bien-fondé, ou non, d'une prévention spécifique contre les sectes dans le contexte français. Nous le joignons à cette lettre en espérant qu'il permettra de compléter votre propre regard sur le sujet.

Nous serons intéressés de poursuivre ce contact avec vous et vous prions d'agréer, Monsieur Lecompte, nos salutations les plus cordiales.

Pour le CICNS, le Président

Eric Bouzou


Faut-il mettre en place une prévention spécifique contre les prétendues sectes ?

Cette question en appelle deux autres :

1- Qui désigne-t-on par le terme "secte" ?

2- Y a-t-il un objet à cette prévention ?

1) Qui désigne-t-on par le terme secte ?

Il convient tout d'abord de rappeler que le terme "secte" dans son acception actuelle n'a plus, en France, la signification sociologique qui désignait un groupe "spirituel" s'étant séparé d'un tronc commun.

Il n'a pas non plus de signification juridique.

La signification usuelle est le sens commun que lui a donné le grand public suite à l'action des pouvoirs publics sur la question des nouvelles spiritualités. Dans les années 70 l'émergence de nouvelles spiritualités était globalement considérée comme inoffensive. A partir des années 80 le terme "secte" qui désignait ces minorités a acquis un sens péjoratif jusqu'à devenir synonyme de groupe délinquant (avec un chef d'accusation éloquent puisqu'on parle de viols, pédophilie, réseaux mafieux, escroquerie, manipulation mentale etc...).

Rapidement une psychose est née, entretenue par les pouvoirs publics et les médias. La politique de lutte contre les sectes des années 80 et 90 a été, suite à ses excès, remplacée par la lutte contre les dérives sectaires, mais cette modification de dénomination n'a pas mis fin à la discrimination tous azimuts des débuts de la lutte anti-sectes.

Un amalgame entre spiritualité et criminalité est ainsi perpétré.

Dans le rapport parlementaire sur les sectes de 1996, une liste désigne 173 mouvements comme groupes dangereux sans qu'ils aient été entendus : 20 auditions à huis clos et anonymes ont eu lieu durant l'enquête. Au sujet de la légitimité du rapport, Maître Pérollier, avocat au barreau de Marseille s'exprime (Interview CICNS) : "Peut-on parler de légitimité, à partir du moment où seulement 30 personnes ont participé à cette Commission d'enquête, où d'autre part, d'après les informations que l'on a pu avoir, sur les 30 personnes, seules 7 ou 8 ont véritablement participé au vote et ont adopté ce rapport ? Comment peut-on parler de légitimité, à partir du moment où-et ça, c'est de notoriété publique-aucun sociologue des religions, aucun chercheur n'a été entendu par la Commission d'enquête ? Là, il y a un problème majeur."

La liste de 1996 a été complétée en 1999 par une deuxième commission d'enquête parlementaire sur le thème "sectes et argent". Pas plus que la première, cette enquête n'a respecté le contradictoire.

Ces deux listes ont été diffusées dans tous les médias et dans toutes les administrations. Bien qu'une note du Ministère de l'Intérieur ait explicitement dit qu'elles n'ont aucune valeur juridique et bien qu'une circulaire du Premier Ministre recommande de ne plus s'y référer, elles sont en permanence utilisées pour discriminer des groupes et des personnes, avec la particularité de ne pas être opposables juridiquement puisqu'elles sont dites n'être qu'indicatives.

Il est donc important de retenir que la grande majorité des groupes appelés sectes en France le sont à partir de listes qui n'ont aucune valeur juridique et sans que ces groupes et personnes aient été entendus. Le classement en tant que "secte" repose donc sur l'élaboration d'une rumeur et non pas sur des faits précis comme nous le détaillerons dans la section suivante.

L'utilisation de la rumeur de "secte" induit beaucoup de violence, d'autant plus insidieuse que l'on s'y est habitué. Il est naturel aujourd'hui de dire que tel ou tel groupe est une secte, alors que cette accusation devrait être réservée à une cour de Justice étant donné le chef d'accusation implicite. Mais force est de reconnaître que notre jurisprudence n'a pas encore reconnu ce terme comme une diffamation.

Le terme "secte" fait de facto sortir les groupes incriminés du cadre de notre laïcité et on peut même dire qu'il fait perdre à leurs membres leur citoyenneté. Cette accoutumance à une violence verbale a par exemple autorisé récemment un député, lors d'un journal télévisé de grande écoute, à affirmer que les membres d'une minorité bien connue du public étaient tous de "parfaits délinquants" sans que le journaliste n'ait même l'idée d'exercer son esprit critique. Quand le sens du débat démocratique est perdu à ce point, c'est là véritablement que la démocratie est en danger.

Suite à ce constat, il est donc légitime de se poser les questions suivantes lorsqu'un groupe est accusé d'être une secte :

- Que sais-je vraiment sur ce groupe ?

- Les éléments qui sont à ma disposition me permettent-ils de porter sur ce groupe un jugement lourd de conséquences ?

2°) Y a-t-il un objet à cette prévention ?

La lutte contre les sectes, sous la forme qu'elle a prise en France, est une spécificité qu'on ne retrouve pas dans les autres pays européens (si ce n'est la Belgique, qui montre néanmoins un peu plus de mesure). Il est incompréhensible (et ce point reste inexpliqué par les autorités françaises) qu'aucune des démocraties européennes n'ait pris en compte le prétendu danger des sectes et que seule la France ait pris la mesure de la situation.

La politique anti-sectes française et l'arsenal de lutte qui en est la conséquence, sont justifiés par la théorie du fléau social que représenteraient les dérives sectaires, fléau qui mettrait en danger la République. Après plus de 20 ans de lutte, il n'existe aujourd'hui aucune preuve tant sociologique que juridique de l'existence d'un tel fléau.

Maître Florand, avocat au barreau de Paris (interview de Me Florand par le CICNS): "(...) Ce qui serait vraiment une délinquance sectaire, ce serait une délinquance qui serait générée par le mouvement selon le credo du mouvement ou sur ordre du fondateur, du grand maître, du gourou ou de la fondatrice. Là, il s'agirait vraiment d'infractions qui seraient sécrétées par l'appartenance à une secte. Or ces infractions n'existent pas, elles relèvent du fantasme (...) le fantasme est ravivé traditionnellement par des phénomènes, je dirais, un peu collectifs. (...) Le problème des sectes n'existe quasiment pas en France, (...) c'est un problème qui est essentiellement, totalement, artificiel."

Raphaël Liogier, directeur de l'Observatoire du religieux à l'IEP d'Aix en Provence (Interview de Raphaël Liogier par le CICNS) : "(...) Il n'y a pas un problème spécifique des sectes et en réalité il y a très peu de sectes. Il y en a beaucoup en termes de multiplicité, de couleurs d'associations différentes mais en termes de chiffre, l'impact sur la société française est assez faible globalement. Cela veut dire que des individus qui ont des problèmes, concrets, réels, avec leur voisin, avec leur fille ou leur mari, c'est zéro. En termes d'impact social c'est 0,000… Je ne dis pas que ça n'existe pas mais je dis c'est zéro en termes d'impact sociologique, ça ne compte pas."

La récente troisième commission d'enquête parlementaire sur le thème "sectes et mineurs" est un exemple criant de l'absence de cas de dérives sectaires. La commission avait annoncé l'existence de 80 à 100 000 enfants en danger. Les auditions de différentes administrations et associations ont montré chiffres à l'appui que ces affirmations étaient infondées. A titre d'exemples et pour leurs dernières statistiques : Allo enfance maltraitée (appel au 119) a répertorié : 27 cas d'appels pour raisons sectaires sur 13000 (0,2%), 08Victime en a répertorié 300 sur 36000 (0,8%), l'Education Nationale dénombre 8 dossiers sur 19000 (0,04%) faisant état d'une problématique sectaire. Encore faudrait-il sur ces cas vérifier exactement ce que recouvre le terme de " raison sectaire ". Malgré ces évidences factuelles, la commission a prétendu que les administrations n'avaient pas fait correctement leur travail et ont proposé des amendements de lois liberticides pour empêcher l'enseignement à domicile, amendements qui fort heureusement ont été refusés par les députés.

La théorie du fléau social se base uniquement sur le témoignage des apostats : des personnes qui quittent un mouvement et se retournent contre lui. Si la souffrance de ces personnes ne peut être mise en doute et s'il est nécessaire de leur venir en aide, l'analyse des causes de cette souffrance ou des préjudices subis ne peut en aucune manière se satisfaire de raisonnements simplistes qui mettent en cause systématiquement le groupe d'appartenance et ses croyances. Un deuxième point important est d'évaluer combien de ces cas difficiles ont conduits à une condamnation en cour de Justice. Ces études pourtant indispensables pour évaluer l'ampleur du prétendu fléau social n'ont jamais été fournies et pour cause puisque les chiffres disponibles pointent vers un nombre de problèmes insignifiant.

Didier Leschi, chef du bureau des cultes au Ministère de l'Intérieur (Interview Témoignage Chrétien n°3238 1er février 2007) : "Ce que nous disons, c'est qu'il y a des fonctions judiciaires et administratives. Dans ces matières, il faut bien sûr comprendre la douleur qui peut s'exprimer. Mais il faut aussi considérer que les troubles à l'ordre public sont ceux qui peuvent faire l'objet de procédures judiciaires ou de police administrative. Ils sont soumis au contrôle du juge. S'il y a de la maltraitance des enfants, si on dépouille les gens, il existe un cadre juridique qui doit être utilisé. Mais si quelqu'un se trouve désespéré à l'idée d'avoir passé vingt ans dans un mouvement dont il ne partage plus les idées ou d'y avoir cotisé de manière exagérée, cela relève du problème de croyances immodérées. Cette douleur, de nombreux adhérents du Parti Communiste ont indiqué l'avoir éprouvée On n'en devait pas pour autant interdire le PC."

La prévention contre les sectes telle qu'elle a été mise en place en France ne repose donc sur aucun élément factuel. Les problèmes existants peuvent être traités par la Justice sans s'appuyer sur une psychose nationale qui n'a d'autre but que de détourner l'attention des citoyens.

En revanche les discriminations subies par des milliers de personnes accusées d'appartenir à des sectes dangereuses sont systématiquement passées sous silence. Ces discriminations, qui sont le fruit inévitable et quasi indélébile des rumeurs, vont de sérieuses difficultés à s'intégrer dans son environnement de vie, à des problèmes professionnels, bancaires, des problèmes en cas de divorce, des problèmes pour louer des salles de réunions, des refus de visas, des refus de permis de construire, jusqu'à des assauts de police dont la violence semblait limitée aux pays non démocratiques.

3°) La voie à suivre

L'émergence spirituelle de ces dernières années est un phénomène de société important, il ne sert à rien de le nier et la façon dont cette question de société a été traitée en France au travers de la lutte contre les sectes ne peut avoir d'issue. Les personnes qui font un choix alternatif spirituel, de santé, de vie, sont dans leur grande majorité honnêtes et sincères et poursuivrons leurs démarches parce que cela donne un sens à leur existence. La lutte actuelle contre les sectes ne fait que retourner la société française contre une partie d'elle-même.

Il est temps de passer à une démarche de connaissance au niveau individuel et collectif.

Le niveau individuel concerne les enseignants et les étudiants. Nous les invitons à croiser leurs sources d'informations pour se faire une opinion. N'est-ce pas là la base du développement du sens critique cher à notre système éducatif ? L'opinion commune sur les sectes est le fruit d'une désinformation qui est entretenue. Il est nécessaire de restaurer un débat équilibré.

Au niveau collectif, il est temps de mettre en place en France un véritable observatoire indépendant des nouvelles spiritualités qui permettra, au travers d'analyses pluridisciplinaires croisées (sociologique, juridique, psychologique, théologique, etc...), de les démystifier. Le cadre de la loi (lorsque la loi ne devient pas liberticide comme la loi About-Picard) étant la seule limite admissible à la liberté de conscience.

Nous invitons les lecteurs de cette présentation à visiter notre site : www.cicns.net et en particulier notre page d'interviews de sociologues, avocats, acteurs sociaux ainsi que les témoignages de personnes discriminées : http://www.cicns.net/Video.htm.

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