Courrier à M. Philippe Houillon

Lettre à l'attention de M. Philippe Houillon, Président de la Commissions des Lois Constitutionnelles, de la Législation et de l'Administration Générale de la République, avec copie à M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée Nationale.

Montpezat de Quercy, le 19 juin 2006

Objet : Commission d'enquête parlementaire n° 3107

Réf : cicns/PH/n°1

Monsieur le Président,

L'association CICNS (Centre d'Information et de Conseil des Nouvelles Spiritualités) œuvre à la défense et à la reconnaissance du droit de chacun à vivre et à exprimer la spiritualité de son choix. Vous pouvez obtenir plus d'informations sur notre action en visitant notre site : www.cicns.net.

Nous avons pris connaissance d'un projet de commission d'enquête parlementaire intitulé : "Influence des mouvements à caractère sectaire et conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et morale des mineurs" et proposé par M. Philippe Vuilque.

Le traitement des prétendues sectes en France est devenu une spécificité française dont certains se félicitent mais qui est jugée sévèrement par les institutions européennes (CEDH) et par l'ONU (voir le dernier rapport de la rapporteuse spéciale Asma Jahangir suite à sa visite en France). L'évolution opportune du vocabulaire - dérives sectaires et mouvements à caractère sectaire ont remplacé le terme de secte - ne parvient pas à masquer la politique de discrimination mise en place à l'encontre des minorités spirituelles.

Une des tristes victoires de cette politique est d'avoir réussi à faire croire dans l'opinion publique à l'existence d'un fléau social qu'il conviendrait de traiter en priorité. Après vingt années de lutte, il n'existe aucune preuve tant sociologique que juridique d'une délinquance significative des minorités spirituelles. Certains sociologues et juristes renommés que nous avons rencontrés n'hésitent pas à dire que le problème des sectes, tel qu'il est appréhendé en France, n'existe pas.

Le rapport parlementaire de 1996 a initié ce que l'on peut appeler une phobie collective en dénonçant sans analyse contradictoire l'ensemble des groupes spirituels alternatifs. Les sociologues et experts en la matière ont été écartés de cette enquête. Ce rapport qui n'a pas de valeur juridique et malgré une note du Ministère de l'Intérieur, a cependant été utilisé par toutes les administrations et les médias pour stigmatiser des groupes et des personnes. La rumeur a fait son chemin. Nous regrettons que les hommes politiques ne se sentent vraiment concernés par la rumeur que lors de scandales judiciaires (Outreau) ou lorsqu'ils sont personnellement impliqués.

Ce premier rapport a été suivi du rapport de 1999 sur "Les sectes et l'argent" qui n'a pas mieux respecté les règles élémentaires de notre démocratie.

La loi du 18 décembre 1999 sur le renforcement du contrôle de l'obligation scolaire a spécifiquement été votée à l'encontre des dites "sectes" au mépris de la décision du Conseil Constitutionnel de novembre 1977 sur la liberté d'enseignement.

La loi About Picard 2001 est le point culminant de la lutte anti-sectes. Le texte de loi mentionnant les personnes morales de façon générale est destiné en réalité à une application limitée aux minorités spirituelles : comme l'a précisé oralement Mme Picard rapporteuse devant le Parlement : "En aucun cas ne sauraient être visés les syndicats, les groupements professionnels ou les mouvements politiques". La loi n'est donc pas la même pour tous même si le texte s'évertue à respecter un libellé démocratique. Cette loi a été sévèrement évaluée par la CEDH. Nous vous invitons a lire les commentaires de Patrice Rolland, professeur à la Faculté de Droit de l'Université de Paris XII : la-loi-17.htm.

Cette chronologie montre le rôle prédominant de notre Parlement dans la mise en place d'une politique de discrimination dans notre République laïque. La raison de l'ordre public ne peut être invoquée sérieusement sans révéler les énormes carences de cette politique pour comprendre le phénomène d'émergence des nouvelles spiritualités.

Il s'ensuit que nous ne pouvons placer notre confiance - et c'est sans doute un point crucial - dans le travail des parlementaires sur ce sujet en l'état. De nombreux acteurs de cette commission, dont M. Philippe Vuilque et M. Georges Fenech, sont les artisans de la lutte anti-sectes française. Ces personnes ont perdu toute crédibilité au cours des années quant au respect des règles du contradictoire sur un sujet éminemment sensible aux yeux de l'opinion.

Nous vous demandons donc de mettre un terme à cette commission d'enquête parlementaire. Il est indispensable que les conditions de participation de toutes les parties (universitaires, juridiques, associatives) soient assurées avant d'initier un tel projet.

La situation actuelle nous a conduit à initier une commission d'enquête citoyenne sur la liberté spirituelle en France dont vous trouverez la présentation sur www.cicns.net/CEC.htm.

Nous vous remercions de l'attention que vous voudrez bien porter à ce courrier et vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre haute considération.

Eric Bouzou

Président du CICNS

PS : Nous joignons à cette lettre un commentaire sur la proposition de résolution et un communiqué de presse du CICNS sur le même sujet.

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