Aum Shinri-Kyo

Par le CICNS

Le 20 mars 1995, un attentat terroriste a été perpétré dans le métro de Tokyo par quelques membres de Aum Shinri-Kyo, un groupe fondé en 1984 par Shoko Asahara, tuant 12 personnes et en blessant plusieurs milliers. L'événement a été largement médiatisé. 

Shoko Asahara a été condamné à mort par pendaison en février 2004 après 9 ans de procès (la sentence a été confirmée en appel en septembre 2006 mais n'a pas encore été appliquée en 2012).

La lumière n'a jamais été faite sur l'implication de Asahara, en partie parce que ce dernier a toujours gardé le silence. Il n'a pas été démontré qu'il avait demandé à ses disciples de perpétrer un attentat et des chercheurs américains qui se sont déplacés sur les lieux ont même déclaré que Aum Shinri-Kyo n'avait pas les moyens financiers et technologiques de produire le gaz sarin utilisé lors de l'attentat. Murai Hideo scientifique, membre de Aum Shinrikyo, dont le témoignage aurait disculpé Asahara, a été assassiné un mois après l'attentat de Tokyo. Selon de nombreux témoignages, il semble qu'il ait été le véritable organisateur de l'attentat mais cette possibilité n'a pu être retenue par la justice japonaise du fait de son décès. Les causes de son assassinat restent mystérieuses et son assassin a été tué en prison par la suite.

Le groupe, rebaptisé Aleph, existe toujours aujourd'hui. Ses membres ont présenté des excuses publiques pour l'acte des quelques adeptes impliqués dans l'attentat. Leur porte-parole, Tatsuko Muraoka a déclaré : 

« À la suite du déroulement du procès impliquant Aum Shinri-Kyo, nous sommes arrivés à la conclusion que nous ne pouvons nier que certains des membres de notre mouvement ont été impliqués dans cet attentat. Il est regrettable que tout cela soit arrivé. Nous souhaitons présenter nos excuses les plus sincères aux victimes de l'attaque et à leur famille. »

Quoi qu'il en soit, les agissements de certains individus ont permis de faire de ce groupement religieux japonais un des épouvantails de la lutte antisectes.

Voici le point de vue alternatif d'un japonais sur cette affaire dans le contexte de l'Histoire du Japon.


Extraits du rapport de Kenichi Asano, professeur de journalisme à Doshisha University

 

De la lutte anti-AUM à l'élimination de toutes les hétérodoxies

Introduction

Le temple Yasukuni Shinto, situé près du palace impérial à Tokyo, est consacré à Hideki Tojo et autres criminels de la deuxième guerre mondiale. Pendant la guerre, l'armée japonaise a été responsable de la mort de 20 millions de personnes innocentes dans l'Asie et le Pacifique. Pourtant, à Yasukuni, Tojo et les autres responsables de ces morts sont vénérés comme des dieux au nom du Shintoïsme. Le Shintoïsme est la religion qui a servi de fondation à l'impérialisme et aux vues militaires de la société japonaise, avec lesquelles les peuples d'Asie, autant que les Japonais, ont été endoctrinés avant et pendant la deuxième guerre mondiale. Notre société, qui ne demande pas de compte à l'empereur Hirohito et au Shintoïsme, demande aujourd'hui la dissolution de Aum ShinriKyo et piétine les droits de leurs membres sincères. Cette demande est issue des charges retenues contre certains membres de ce mouvement, en rapport avec l'attentat au sarin du métro de Tokyo.

De manière ironique, alors que le détestable Shintoïsme nationaliste qui joua un rôle central dans la législation agressive et meurtrière du Japon pendant la guerre est demeuré intact, les adeptes de Aum sont persécutés sans pitié et leurs membres les plus importants sont traduits en justice les uns après les autres. Bien qu'il y ait un tabou national au sujet de la culpabilité de l'empereur Hirohito pendant la guerre, un consensus n'a pas tardé à apparaître sur ce que nous devrions faire de Shoko Asahara et ses disciples, avant même qu'il n'ait été condamné : "Les membres de Aum devraient tous être pendus !". Peu se sont exprimés pour défendre les droits de ces personnes.

D'où vient cette haine à l'égard de Aum ?

Dans de nombreux pays, il est normal de voir différentes religions et ethnies vivrent ensemble. Au Japon, il y a beaucoup moins de diversité. C'est dans ce contexte culturel et religieux homogène qu'est né AUM Shinrikyo à la fin des années 1980. Le mouvement devint vite populaire, particulièrement parmi les jeunes. Lorsque je vivais à Jakarta, ils participèrent à une élection nationale qui contribua à leur expansion. Les membres de AUM Shinrikyo purent s'exprimer lors d'un débat télévisé appelé "Asamade Nama Terebi," et ils remportèrent à cette occasion une large victoire sur leurs opposants d'un autre groupe religieux. Ils furent félicités par les organisateurs de l'émission. Les livres du fondateur, Shoko Asahara, se sont alors vendus comme des petits pains et étaient présentés par piles entières, non seulement à Doshisha University, mais également à Kyoto University, une des plus prestigieuses universités du Japon. Quand je devins professeur de journalisme à Doshisha University en 1994, je faisais de nombreuses conférences et j'avais pris l'habitude de distribuer des questionnaires dans l'auditoire demandant le nom de personnalités qu'elles aimeraient entendre dans des conférences futures. Le nom de Asahara était toujours parmi les premiers 1.
En mars 1995, cependant, le regard sur ce mouvement changea brutalement à la suite de l'attaque au sarin du métro de Tokyo.  Le grand public japonais conclut immédiatement que Aum était responsable et n'a cessé, depuis, de nourrir la discrimination et le harcèlement à l'égard d'adeptes présents ou passés de AUM Shinrikyo. 

En conséquence de quoi, tous les adeptes de AUM qui n'ont jamais été accusés d'aucun crime sont privés de leur droit de vivre comme ils le souhaitent. Le principe démocratique moderne qui dit que les accusés sont présumés innocents jusqu'à ce qu'ils soient jugés coupables n'a pas encore trouvé sa place au Japon. Pire encore, il y a peu de compréhension au Japon sur le fait que les journalistes et la presse devraient en fait veiller sur les investigations criminelles de manière à empêcher les abus de pouvoir.  Au contraire, les médias Japonais se sont associés aux autorités et ont conclu rapidement que Shoko Asahara était l'organisateur de cette attaque. Les médias ont donc joué un rôle important dans la certitude de l'opinion publique que les enseignements de Aum étaient dangereux et menaient à des homicides.

Tout cela ayant conduit aux discriminations à l'égard des membres de Aum et aux actions illégales et anticonstitutionnelles des autorités, acceptant, par exemple, à la demande de résidents que les membres du mouvement soient expulsés de leurs domiciles.

Les gens sont effrayés par les membres de Aum, bien qu'ils ne sachent pas vraiment dire pourquoi. Des magasins affichent des panneaux "pas de membres de Aum" sur leur devanture, des vendeurs de journaux refusent de leur vendre quoi que ce soit, ainsi que des stations d'essence, des piscines municipales. D'autres signes à la fenêtre de certaines résidences disent "Partez d'ici, allez dans l'espace, loin de la terre !"

Je trouve cette hystérie collective encore plus effrayante que le mouvement Aum lui-même.

Les néo-fascistes au Japon utilisent la situation AUM comme prétexte pour augmenter leur influence sur la société et pousser à la création d'un état policier.  

Le 4 août 1999, le "Comité de liaison des droits de l'homme et de la conduite des médias" dont je suis le directeur,  a mené une enquête dans le bâtiment de Aum à Tochigi. 19 personnes participèrent à cette action et nous avions également avec nous  M. James Lewis, un expert américain en religion.

En approchant du bâtiment, nous avons trouvé de nombreux signes dans la rue en opposition à la présence de AUM. Nous avons été reçus par deux représentants de Aum qui nous ont montré une vidéo de ce qui se passe quotidiennement devant leur centre. J'ai trouvé cette vidéo profondément troublante. On y voit certaines personnes devant le bâtiment crier "pourquoi ne vous tuez-vous pas, vous n'avez nulle part où aller, nulle part où vivre ?"  et à la fin, un passage montre un activiste d'extrême droite écrasant délibérément son véhicule dans les portes du centre, blessant deux membres qui tentaient d'ouvrir les portes (d'autres persécutions quotidiennes ont lieu à l'encontre des membres).
En février 1999, les médias nationaux rapportaient que le regain d'activité de Aum inquiétait les résidents de différentes villes. En réponse à cette situation, la NPA (National Police Agency) et le PSIA (Public Security Investigation Agency) ont organisé des campagnes anti-Aum. Il se trouve que cela coïncidait avec la tentative du gouvernement de passer certaines lois controversées à l'assemblée nationale.

Le PSIA, qui a frôlé la dissolution, a vécu une résurrection soudaine depuis l'attentat de 1995. Pour assurer sa survivance, cette agence a été l'acteur principal de cette manipulation collective par les médias, résultant dans cette demande récente d'une loi anti-Aum.

Si cette loi devait être votée, le PSIA pourrait élargir son organisation et son champ d'action, avec un pouvoir de surveillance sur les organisations religieuses, les groupes de droits de l'homme et autres entités similaires. 
Il est impératif de garder à l'esprit que le passage de cette nouvelle loi est la continuité de la loi présentant des mesures contre le crime organisé. Ces lois mises ensemble représentent un changement fondamental. L'accent ne sera plus mis sur l'individu mais sur les groupes et ces lois qui sont proposées pour renforcer le pouvoir de la police permettront en fait au gouvernement d'instaurer un état policier au Japon.
Pour contrebalancer cette publicité négative et incendiaire,  AUM Shinrikyo a publié un petit livre intitulé "La situation actuelle de AUM Shinrikyo et les problèmes qu'il confronte". Le livre explique que les adeptes de AUM cherchent simplement des lieux où ils pourraient vivre en paix et pratiquer leur religion.  
L'autre jour, je rencontrais un ami journaliste de télévision qui revenait d'un long voyage aux Etats-Unis. Il me disait "Je suis effrayé par ces Japonais qui crient de façon hystérique contre Aum. Il me semble que tout le pays s'engage vers une forme de totalitarisme". Mais, pour ma part, quelque chose m'effraie encore plus. 

Nous sommes confrontés aujourd'hui à une proposition de loi qui nie le système légal hérité d'après la guerre et qui tente de contrôler les pensées et les croyances de certains groupes. 

(1) A la fin des années 80, Shoko Asahara n’était plus un inconnu. Il rencontra cinq fois le Dalaï Lama dont il se disait le disciple. Même après l’attaque au gaz sarin, le Dalaï Lama aurait, selon le magazine Stern (Stern 36/95, p. 126), réaffirmé son amitié pour le responsable de Aum Shinrikyo, appelant ce dernier « un ami, peut-être pas parfait, mais un ami ». De nombreux courriers attestaient de relations très amicales et respecteuses entre Asahara et les nombreuses autorités tibétaines, incluant Khamtrul Rinpoche et Kalu Rinpoche.

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